Un petit chapeau aux couleurs fanées sur la tête, ce matin-là, comme chaque matin, tenant à la main son cabas duquel dépassaient poireaux, fanes de carottes et plumes de volaille fermière - c'était jour de marché - Albertine Parut poussa de toutes ses forces la lourde porte de l'église, franchit le ...
Quand je l'ai vue la première fois, c'était au parc barbieux, un jour d automne, ce temps où tout fout le camp, où les feuilles et les idées s envolent, où la pluie inonde les chemins et nous réveille les larmes, nous rappelle nos chagrins et nos morts.Je promenais mon chien emmitouflée dans ma doudoune tellement le vent froid me glaçait les os.
Elle marchait vite dans les allées du parc. Elle portait un long manteau de couleur sombre dans lequel elle paraissait perdue, et se déplaçait avec fluidité et assurance. Elle s'enroulait littéralement dans la cadence de son pas rythmé
Je ne la connaissais pas mais mon regard saccrocha à elle tout de suite. Elle n avait pas d âge, était -elle jeune? Elle en avaitl allure, était-elle une femme mure? Elle en avait la démarche.Dans tous les cas, c'était une femme menue fine et délicate qui glissait sur l asphalte avec légèreté et élégance. Elle traversait l'espace sans s arrêter, presque sans respirer, on aurait pu croire qu elle était une fée, un ange descendu du ciel qui lévitait sur la terre de sa silhouette aérienne. Je la suivais dans les chemins trempés du parc, curieuse du pays où elle m'emmènerait.
Elle semblait si éclairée si transparente si tranquille et cela lui donnait la consistance d'un esprit venu d'ailleurs. Elle diffusait une lumiere et son corps tout vibrant luisait comme habité d' une étincelle.
Oui, elle respirait la grâce et brillait dans l ombre de cette fin d automne. Elle était seule et pourtant on aurait pu croire qu elle était accompagnée d une présence immatérielle ,indicible, et en même temps perceptible tellement elle vibrait.
Je l épiais. Que faisait elle? qui était elle cette inconnue, si étrange et mystérieuse qui irradiait dans le brouillard? Portait elle un message de l au delà?
Elle semblait parler aux arbres, chanter avec les oiseaux, rire avec le vent dans les branches, lire et comprendre le langage de la nature, respirer avec la terre, pleurer avec la pluie , elle conjuguait le silence avec le present, avec la solitude.
Elle captura mon attention et m entraina dans mes rêveries vers cette lumière blanche où tout flotte ,loin des conflits ,des bruits et des encombrements de la ville. Je m accrochais à son pas qui s accélérait au rythme des larmes qui coulaient des nuages.Elle portait la solitude comme une fête, comme un cadeau qu on offre au soleil, ouverte à l instant, sans projet, sans sursaut, libre et vide de toute attente.
La , ici plus loin le temps n avait pas de réalité pour elle , il était devenu un vaste champ de fleurs blanches tout autour d elle ,une vapeur d eau douce qui enrobe et nourrit l'âme, un chant qui coure dans le vent et chante à l'oreille, un monde où tout est joie, liberté, plénitude, grâce. Du jamais vu
Cette femme, cette étincelle si énigmatique si hors du temps seule, tellement seule semblait être une source, une lumièr, un feu qui rayonne, éclaire dans la nuit noire le passant qui la croise. Une étoile posée sur un banc si près de moi, si fragile et si forte, si inquiétante et rassurante, me donner à la fois à penser , à méditer et à prier.
Je ' approchais pour m'assurer que je ne revais pas que l'automne, la pluie le brouillard continuaient de tomber et d arroser le parc et que le froid était bien là à me glacer les pieds. Inquietante étrangeté,et joie certaine m'habitaient.
La nuit s'abattit sur le parc, il faisait maintenant noir. C'est là que je la vis disparaitre et s enfoncer dans le chemin sous les grands chênes, comme si elle n'avait jamais existé, comme si rien n'avait jamais existé. Ni passé , ni futur, juste un instant dans ce présent comme une éternité. Etre seule mais pleine du tout devenait réalité. Je ne la revis jamais.