Sylviane Lacroze

Depuis son plus jeune âge, Sylviane Lacroze est sensible aux blessures de l’âme humaine et admirative de sa plasticité. Pour aller plus loin que ses intuitions, elle en fait ses métiers : éducatrice spécialisée tout d’abord, où elle ne cesse de créer, auprès des jeunes qu’elle accompagne, des ateliers d’expression et de création (marionnette, conte, dessin, peinture, théâtre, modelage). Puis, faisant converger ses passions, comme psychothérapeute à médiums malléables. Sans jamais oublier ses propres créations en peinture, en écriture ou en photographie, ni son langage inné avec la nature et les arbres en particulier.

Son écriture, imprégnée de toutes ces approches, se veut un témoignage sensible de voix humaines, avec leurs peines et leurs joies, leurs doutes et leurs victoires. Tout cheminement fait de chaque Être humain le héros de sa vie.

Sylviane Lacroze

En cours d’édition, chez le même éditeur : Jour de pêche et C’est en hiver que l’arbre fait ses racines

 

Ecrire ?

Passer de très courts récits à un récit plus conséquent m'a longtemps paru impossible. Etablir un fil cohérent, un rythme au service d'un récit, des séquences agencées selon un ordre sensé et compréhensible ? Je ne considérais pas tout cela à ma portée. Ni même dans mes envies. 
Ma première expérience a été d'écrire pour un autre (Apprend-tissage - Jean-Michel Testard - Editions Nombre7). Avec la conscience, dans l'après-coup, que j'aurais pu aller plus loin.  
L'écriture « théâtrale » (Lettres à Benjamin) me convenait bien. J'avais déjà le fil conducteur et je m'affranchissais de la dépendance de l'écriture à deux en m'autorisant mon propre écrit. Avec mes propres sensations. Mes propres émotions suscitées par une fiction qui ne concerne pas ma vie réelle. (Ah bon ?) Surprise ?... Et découvrir tout le plaisir de pouvoir « aboutir » à un récit qui se tienne.
Et puis il y a eu les « Petits oiseaux » ! (Petits oiseaux - Yôko Ogawa - Actes Sud Babel ). Car je crois que toute écriture est nourrie de lectures. Et là - alors que j'en ai lu des récits sensibles, des écritures concises, des mots comme des diamants, des constructions littéraires fascinantes - là, il y a eu une image : l'empreinte en creux, dans le grillage, du corps du frère bien-aimé. Le creux de l'absent. Qui continue à donner forme à sa présence alors qu'il n'est plus.
La fulgurance de cette vision palpable pour moi a déclenché l'écriture de « La vieille femme de l'Univers » (qui a pris maintenant le titre de L'homme sous le figuier). Je comprenais ma façon de voir et de sentir. Écrire en creux. Ne pas tout dire. Suggérer. Suffisamment pour que l'on puisse s'identifier à un personnage, se projeter dans une situation. Tout en laissant une part inachevée, en suspend, un froissement qui traduise l'impossible, l'inaccessible, l’indicible de l'autre. Où la sensibilité et l'imaginaire du lecteur donneront leur texture, leur couleur, leur poids. Enrichiront et démultiplieront le récit, qui, même captivant, n'enferme pas...

 

La création

Elle murmure longtemps
Dans les flux du sang
Et soudain
Se vrille au corps
Jusqu’à l’incandescence
Pour délivrer
Sa puissance
Dans l’œuvre naissante

 

L’homme sous le figuier, roman 

Résumé

La mort de Lucie brise Clément. Quand, surgie d’un manuscrit, la Vie lui parle. Tandis qu’une vieille femme s’installe sur son banc, tricote, théâtralise, tisse l’Univers, invite Clément à jouer avec les mots et les émotions. A moins qu’elle ne se joue de lui.

Et peu à peu, il perçoit le legs de Lucie, des arbres, du bois, de la terre. Alors, il invente pour des enfants blessés, l’atelier des Philodendrons.

Couverture

Extrait 1

"Elle s'arrête. Il soupire longuement. Elle attend. Cela fait trois fois qu'elle déclame son texte. Il ne sait comment lui redire. Tous les deux jours environ, ils se retrouvent sur le banc. Le froid ne les dissuade pas. Le figuier n'a plus de feuilles. Il tend ses branches sur lesquelles s'accrochent quelques figues fripées vers un ciel blanc. Alentour, les arbres dénudés élargissent l'horizon.
Il cherche à s'esquiver :
- Mais vous n'avez pas de metteur en scène ?
- Oui. Mais je vous ai dit qu'il est malade.
- Alors attendez qu'il soit guéri !
- Vous savez, ça peut être très long.
- Vous n'êtes donc pas sûre de jouer ?
- On n'est jamais sûr de rien.
Il a encore du mal à s'avouer qu'il est déçu. Il s'attendait à quelque chose de grandiose. Il croyait presque que la vieille femme était elle-même la vieille femme de l'Univers. Le décalage est énorme. Depuis qu'il la côtoie, il la trouve pleine de charme, simple et profonde à la fois. Directe. Amusante aussi. Il s'est surpris à rire avec elle. Pour pas grand chose. Et c'était si bon. Mais comme actrice, ou même simplement lectrice, ça non !
Il n'a pas voulu la blesser. Il sent bien comme elle investit ce projet de théâtre. Il lui a parlé comme à une enfant. Peut-être même comme à une attardée. Elle n'a rien dit, ce jour-là. Mais elle est partie plus tôt. Et aujourd'hui, il n'a pas envie de recommencer. Que pourrait-il lui dire de plus ?
- Pas « de plus ».
- ??
- N'en dis pas « plus », mais dis « autrement ».
- Ah ?!
- Comment ? demande la vieille femme en se rapprochant. Je n'ai pas compris.
- Non, rien ! Je me parlais à moi-même.
.../...
- C'est pas bon, tout ça ! lance-t-il à la vieille femme. Vous n'êtes pas en train de réciter une poésie du cours élémentaire ! Vous incarnez - que dis-je ? - vous ÊTES la vieille femme de l'Univers ! Est-ce que vous la sentez ? Est-ce que vous la voyez ? Est-ce que vous l’entendez ?
La vieille femme s'est redressée avec l'esquisse d'un sourire aussitôt effacé.
- Je crois, dit-elle d'une petite voix inhabituelle."

 

Extrait 2 - le chat

"Il marche en prenant conscience de chacun de ses pas. Ses enjambées pèsent à leur juste mesure sur la terre souple. Il fait son poids, pas plus ni moins, et la terre le soutient avec force et constance. Il sent une sorte d’assurance nouvelle. Alors que rien n’est certain autour de lui, dans sa vie.
Lorsqu'il arrive au portail de sa demeure, le chat accourt vers lui par bonds joyeux. Il se jette dans ses pieds et entreprend une danse en se frottant à ses chevilles, à droite, au milieu, à gauche, au risque de se faire marcher sur une patte.
- Oui ! dit l'homme en se penchant sur le chat et en lui grattouillant la tête, entre les deux oreilles. Extase du chat. Moustaches frétillantes. Queue dressée. Il tricote des nœuds autour des jambes de son maître.
- Attention, tu vas me faire tomber !
D'ailleurs son pied se dérobe et il tombe sur un genou. Il se laisse aller sur la cuisse puis se retrouve assis dans l'herbe. D'un bond, le chat se précipite entre ses jambes et repousse son ventre par petits coups de tête et du flanc. L’homme ne résiste pas. Il s'allonge complètement en riant, les deux mains sous la tête. Aussitôt le chat s'étale de tout son long sur le torse de l'homme, une patte de chaque côté du cou, la tête au creux de sa gorge. Il adhère complètement au corps de l'autre. « Le poids lourd » se dit l'homme, « pour un jeu de corps à corps ». Et il sent combien l'animal s'abandonne complètement, dans une confiance absolue. « La même impression qu'avec l'enfant ». Il redresse vivement la tête pour vérifier.
Le chat ne bouge pas d'un poil. Il écoute les battements de son cœur s'harmoniser avec ceux de l'homme. Jeu de cœur à cœur. Son petit corps doux collé à la poitrine humaine, monte et descend au rythme lent de sa respiration.
L'homme sent une brusque tendresse. Ému. Avec des larmes dans les yeux.
Un coup de vent et les tiraillements de son estomac le décident à se relever.
- Au fait, dit-il au chat en s'appuyant sur un coude, j'avais l'impression que tu m'apportais une bonne nouvelle ?
- Oui, je t'ai retrouvé, ronronne le chat."
 

 

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