Sa déambulation baroque, colosse barbu porté par son caddy, animait tout le quartier. Je craignais son apparition, démarche incertaine, marin bousculé par une mer houleuse. Il fendait sans un regard le flot des voitures, capitaine au long cours à la recherche d'un port d'attache, insensible aux clam...
Le père Cutador était une vulgaire et poissarde copie d'un matador, un putassier de Blaireau à deux balles, conquistador hébété des comptoirs de PMU. Son physique taurin avec un blair présomptueux sous un front bas, fuyant, avare de lumière où le regard était si opaque à un trait d'esprit lumineux, que sa femme, elle-même, y voyait l'impasse d'un trou du cul du monde. Et quand il donnait de la voix, c'était pour vociférer dans un jet de postillons pestilentiels des poncifs, comme s'il cherchait à les incruster sur la croûte de bois du comptoir taché de vinasse bon marché. Les clients acquiesçaient savamment de leur chef hirsute déjà rubicond avec l'espoir bien ténu et tristement pitoyable de gagner une tournée.
L'épouse Cutador attendait cet éclat beuglant pour se manifester. Elle était la parfaite incarnation imbriaque de la Cagole, qui s'évertuait pour plaire à son affligeant mari, d'afficher stupidement un sourire d'ange surpris par un démon vociférant des imprécations lubriques. Et avec le retroussement de sa lèvre de babouin déshydraté par une trop longue abstinence qui laissait voir une gencive encore humide et violacée, elle avait pris l'habitude de se pavaner dans le PMU, dandinant sa masse informe sur deux jambes chaussées de bottes couleur crème sure, les mollets saucissonnés pour mieux attirer les clients errants, les appâter vers ses cuisses énormes, rebondies et bouffies, dans lesquelles se terreraient cette meute inquiète et pouilleuse avide de chaleur et de luxure.
A la vue de sa greluche de femme gesticulante de la croupe, le père Cutador se démantibulait la mâchoire dans un rire de tessons de bouteilles brisées, gueule d'enfer au banquet démoniaque, puis cognait sur le comptoir dans un geste auguste décadent pour imposer le silence. Il se saisissait alors du large torchon, guenille immonde coiffant son épaule de bœuf en rut, et s'avançait au milieu de la salle pour offrir, à son auditoire béat et abruti d'alcool, sa dernière estocade à sa légitime pintade. Promptement, ardemment des « olé » hystériques fécondaient les entrailles de la Cutador en une bacchanale où le plus vils des personnages de Bosch se seraient donnés rendez-vous ; la Cutador exultait, les yeux révulsés tandis que lui s'écroulait sur le flanc, terrassé, la bave aux lèvres, ruisselants sur le sol poussiéreux qui refluait en un rut où se noyait toute humanité.
« Au cu, aucune hésitation, les Cutador sont cuits » chantaient les derniers clients avant de s'en retourner vers leurs taudis laissant les gisants sans un regard, abandonnés à leurs bestiales illusions, tapies dans le ruisseau baveux de leur union.
Outrance, démesure, caricature, violence... le texte parvient avec brio à décrire un duo d'affreux personnages en s'inspirant du style hyper concentré et extrêmement imagé de Léon Bloy ; je publierai bientôt sur mon blog un travail détaillé sur cet auteur, vous pouvez déjà en avoir un avant-goût avec sa définition du style ...