Je me souviens de ce moment suspendu. De la porte béante, ouverte sur l'infini. Une vue vertigineuse. Une beauté presque irréelle. Et les battements de mon cœur. Si forts. Battements d'excitation ? Ou peur ancestrale ? Je savais pourquoi j'étais là et fais face à l'inconnu. Pourtant, tout m'échappe....
Je me souviens de ce moment suspendu. De la porte béante, ouverte sur l'infini. Une vue vertigineuse. Une beauté presque irréelle. Et les battements de mon cœur. Si forts. Battements d'excitation ? Ou peur ancestrale ? Je savais pourquoi j'étais là et fais face à l'inconnu. Pourtant, tout m'échappe. L'instant, les instants à venir. Un tête-à-tête avec le vide.
Je sens l'air vibrer autour de moi. Une odeur de kérosène, âcre et suffocante, me coupe le souffle. Voilà à quoi ressemble le purgatoire. Les flammes brûlent un carburant fossile qui condamne l'humanité à petit feu. Où suis-je à un concert de Rammstein ? Mais qu'est-ce que je fais là ?
Je ne suis pas seul. Inséré dans une file. Maintenant, c'est mon tour. Je me tiens là, bras écartés en croix. J'implore le ciel. J'attends le signal. Celui d'une main qui se pose sur mon épaule. Une légère pression. Et tout bascule.
Ce n'est pas un jeu. Quelque chose d'instinctif et de primal s'éveille en moi. Un territoire à conquérir. Celui des oiseaux… ou celui du sol.
Je fais le vide dans ma tête. Je retiens mon souffle. Comme pour ne pas souffler dans le ballon. « Négatif », dit l'ange-gendarme. Il me tape sur l'épaule, pour me signifier d'avancer. Circulez. Et là, c'est le vide.
Je me souviens de l'instant de la claque. Monumentale. Un coup en pleine face. De mon recul brutal. De l'air qui hurle à mes oreilles. Ma peau fouettée par la bourrasque. J'ouvre enfin les yeux. Non ! Ce n'est pas l'ascension vers la lumière. C'est la chute. Vertigineuse. La plongée. Le vide. De mon étonnement. Mon incrédulité. C'est ainsi que l'on accueille aux portes de l'Eden ?
À plus de cent kilomètres à l'heure, je file droit vers la terre. Voilà donc ma punition. Après cette tentative de purification, un rejet brutal. Une tromperie divine.
Et pourtant…
Quelque chose change en moi. Ma peur et ma colère s'estompent. Le fracas du vent devient une étreinte. Je relâche ma tension. J'accepte ce moment. Ce n'est plus une chute, c'est un vol. Et pour la première fois, je cesse de lutter. J'accueille l'instant. Le vide n'est plus un ennemi. Il m'appartient. Je lui appartiens. Nous sommes en symbiose. Suis-je devenu un oiseau ?
Tout à coup, une secousse violente m'extirpe de ma torpeur.
Comme un pantin tiré par des fils. Je me redresse d'un coup. Quelque chose me retient. Est-ce Dieu ? Non. Je lève les yeux vers le ciel. Une immense toile blancheau-dessus de moi. C'est elle, ma rédemption. Je suis soulagé.
Le vacarme s'éteint. Le chaos cède la place à une étrange douceur. Je suis porté par le vent. Je plane, léger, suspendu. Je ne suis plus un simple homme. Je suis un ange. J'observe le monde des humains, minuscule. Tels des mouvements d'insectes. Quel privilège de vivre ce point de vue !
La terre se rapproche. Bien trop vite. L'impact est brutal. Mon corps roule sur le sol dur et rugueux. Chaque contact m'arrachant une grimace. Une rafale me projette et me traîne comme un fétu de paille. Le sol râpe ma peau à travers mes vêtements. Je ressens des brûlures sur mes bras et mes jambes.
Enfin, je m'arrête. Je bondis. Agrippe mon parachute pour qu'il cesse de me malmener. Mon cœur tambourine furieusement. Un cri de vie dans mon corps secoué.
Je m'en souviens, comme si c'était hier. Ce goût intense de vie me traverse encore. Cette énergie vitale et humble. C'est dans mes chutes que j'ai découvert qui je suis.
Laurent ESPIN