Dans le hall, pour une énième fois, c'est encore mon corps qui se souvient d'abord. Il se souvient et la migraine arrive. Il se souvient et l'angoisse me vrille le bide. Le goût de métal dans la bouche. L'odeur du cancer, âcre, tenace, qui me file encore la gerbe.
Je me souviens.
Je me souviens du coup de poing de l'annonce. Je me souviens de l'incompréhension, du vertige, du chaos et de la colère. Je me souviens m'être demandé pourquoi, alors que la vie poussait dans le ventre des femmes de mon entourage, seule la mort se développait en moi.
Je me souviens de cette envie de crier, coincée dans ma gorge. L'étouffement. La peur. La peur de crever, là, tout de suite, à 32 ans, sans n'avoir rien avoir pu atteindre. De tous ses « à vivre » qui resteraient en suspens. De ses rêves morts-nés, éteints. Je me souviens de cette peur qu'il s'endorme avant moi et de me retrouver seule face à l'immensité du vide, incapable de trouver le sommeil. Je me souviens que je regardais les gens et les enviais d'être si légers. J'aurais voulu une fois, une seule fois encore, me vautrer, comme eux, dans l'ignorance et la gaspiller.
Je me souviens que je n'arrivais pas à la nommer cette putain de tumeur. Je l'appelais la masse, la boule dans mon sein. Je me souviens de la solitude des tables d'examens, piquée, tatouée, fouillée, triturée. Je me souviens l'infirmier qui tenait ma main en chantant doucement pour me rassurer, pendant que le gynécologue arrachait à mon sein quelques morceaux pour la biopsie. Je me souviens de mon corps martyrisé, desséché, de ma peau devenue grise. Je me souviens des relents de vomi mélangé aux larmes.
Je me souviens.
Et chaque jour de sursis, chaque instant volé à la chance, arraché âprement à la bataille, je le vis.
Je le vis avec une joie féroce et jubilatoire.