Un petit chapeau aux couleurs fanées sur la tête, ce matin-là, comme chaque matin, tenant à la main son cabas duquel dépassaient poireaux, fanes de carottes et plumes de volaille fermière - c'était jour de marché - Albertine Parut poussa de toutes ses forces la lourde porte de l'église, franchit le ...
Une image sur ma rétine. Le précieux jardin de mon arrière-grand-mère. Image de vacances lumineuses.
Le jardin de Jeanne glissait en pente douce vers le boccage. Au premier plan le pré, légèrement vallonné. Des vaches au pelage blanchâtre ombré de taches crème. En fond, la ligne du Morvan. Un camaïeu de gris dans la brume. Un ru tintinnabulait en limite de propriété. L'eau fraîche et limpide comme recouverte d'un glacis. Côté jardin, un trou d'eau assez profond hébergeait des grenouilles émeraude, piquetées de terre de Sienne. Un muret, comme en trompe l'œil, entre la petite mare et le jardin servait de garde-fou. Cachées par un noisetier protecteur, il nous arrivait, à ma sœur et moi, d'ouvrir la porte entre le mur et le grillage mitoyen, pour fouiller l'eau et débusquer les batraciens. Collée au muret, la cabane, en bois caramel veiné de reflets argentés, combattait le temps. Dans ce sanctuaire, les outils, le matériel de jardinage. Les épluchures, pour les lapins dans les clapiers. La balance et ses poids couleur cuivre. Nous aimions jouer à la marchande.
Autour du potager, une infinité de fleurs. Les glaïeuls robustes, insolents et mutins, fuchsia, orange, jaune acide en bordure d'allées. A leurs pieds, une suite de fleurs des champs couleurs pastel, souples, légères, vagabondes, arrivées là par le souffle du vent. Les variétés aux formes sculptées sympathisaient avec les voisines aux contours plus modestes. Les figures délicates recherchaient un soutien auprès de leurs proches plus plantureuses. Les parfums fruités, musqués et sucrés des roses, se mêlaient aux arômes capiteux du jasmin. Je courrais à l'appel des fragrances généreuses qui se répandaient dans les calices dépourvus de senteur. Des odeurs exquises, enivrantes ou fugaces, enveloppaient ce paradis d'une délicate sensualité. Des couleurs chatoyantes paradaient aux côtés de couleurs plus effacées. Le turquoise, l'indigo, l'outremer, le cobalt dansaient avec les tons plus atténués. Le soleil attisait les contrastes, roussissait les orangers, éclatait les bleus, jaunissait les blancs, cuivrait le vert des feuillages. Des nuances riches et subtiles se révélaient.
Près de la maison, un parterre de dahlias. Ils me saluaient, rieurs, se dandinaient sur mon passage. Des couleurs audacieuses, complémentaires. Des pigments vifs, flamboyants, explosifs. Des rubis, des cassis, des orangés aux reflets de feu, des jaunes, des bleus. Des pigments plus satinés ; des roses poudrés, des blancs rosés. Un concerto pour couleurs esquissé par l'arc en ciel. Le dahlia blanc offrait la perspective à cette composition presque sauvage.
Le jardin de mon enfance. Une toile. Un chef- d'œuvre.