La combinaison du coffre fait un drôle de cliquetis. Je l'entends qui dit merde, quel est le code déjà ? Il s'énerve pour ouvrir. J'ai pas trop envie qu'il y arrive. Je suis tellement bien dans la pénombre, au calme avec juste quelques effluves de poussière et de cire. Il m'a réveillé en sursaut. Au...
La combinaison du coffre fait un drôle de cliquetis. Je l'entends qui dit merde, quel est le code déjà ? Il s'énerve pour ouvrir. J'ai pas trop envie qu'il y arrive. Je suis tellement bien dans la pénombre, au calme avec juste quelques effluves de poussière et de cire. Il m'a réveillé en sursaut. Au moins 15 ans que personne n'était venu me rendre visite dans ma tanière, un coffre encastré dans le mur, caché par le fond d'une vieille armoire 18e en noyer, où gisent des dossiers, quelques milliers de dollars, une broche en or et diamant, et moi, un pistolet Beretta 92F noir.
Personne ne m'a utilisé depuis l'époque où son paternel était officier au GIGN. L'élite. C'était un homme bien son père. Il m'a emmené partout avec lui. Ensemble on a braqué des dealers, mit en joue un forcené qui voulait tuer ses gosses et même tiré dans les jambes d'un terroriste islamiste dans les années 2000. On s'entendait bien avec mon gendarme. Il avait confiance en moi et moi je l'admirais. Il prenait toujours soin de moi, me nettoyait et m'huilait régulièrement, et me traitait avec respect.
La lumière du jour éblouit ma culasse. Il saisit ma crosse avec brutalité, oublie de refermer le coffre, et me lance sans égard sur le canapé du salon.
Je l'entends au téléphone. Il parle à toute vitesse.
– Franck, ça va ? – (..........)
– Tu es le seul que je peux appeler, frérot, j'en peux plus. Depuis des semaines elle me ment, ça ne peut plus durer. – (..........)
– Elle a un amant. Elle lui donne rendez-vous tous les après-midi à l'hôtel de la gare. – (.........)
– Si, si, je t'assure j'ai les preuves. Je l'ai suivie. – (..........)
– Comment ça t'énerve pas ? Je voudrais t'y voir, toi… Aucune envie de me calmer. Je sais ce que j'ai à faire.
Il a raccroché et est parti dans la cuisine faire du café, sans faire attention à moi. Ça ne me plaît pas trop cette histoire. Je ne suis même pas certain qu'il soit capable de se servir d'un pistolet de ma qualité.
Le téléphone a sonné :
– Allo oui ? Franck ? – (.........)
– N'insiste pas, j'ai pris ma décision. Tu imagines, j'ai sorti ce mec de la mouise. Je lui ai prêté 100 000 € pour sauver sa boîte, je l'ai invité à dîner en confiance… Il a rencontré ma femme chez moi ! a-t-il hurlé. Et il a raccroché.
Nouvelle sonnerie, il n'a pas répondu. Il n'a rien mangé, mais il a bu plusieurs whiskys.
Ensuite, il m'a empoigné, m'a enveloppé dans les pages roses du Figaro pliées en trois. Il a glissé le tout dans la grande poche extérieure de sa veste et il est parti en claquant la porte.
Il marche à toute vitesse et je tressaute à chaque pas. Il va finir par me perdre. On entre dans l'hôtel. En ce début d'après-midi, le veilleur n'est pas à son poste. Sur le tableau une clé manque chambre 12. On grimpe quatre à quatre jusqu'au 1er étage. On perçoit des rires et gloussements à l'intérieur. Il toque.
– Tu as commandé quelque chose ? – Oui du champagne.
La porte s'est ouverte. Il m'a empoigné dans sa poche et a mis en joue. L'homme et la femme nous regardent ahuris, moitié nus, livides, bouches béantes. Je me sens parfaitement ridicule. Un Beretta comme moi n'est pas fait pour tuer des amoureux. Que diraient mes anciens collègues ? Je les entends gloser dans mon dos : ha ha, il a braqué des amants sans défense, à poil dans une chambre d'hôtel…
J'ai vraiment la honte. Quand j'y pense, on a sauvé des familles entières le jour où mon canon était collé sur la nuque de ce terroriste emmailloté d'explosifs à la taille. Je ne veux pas finir de cette manière.
Je sens qu'il m'arme, sa main moite tremble. Je dois prendre une décision rapide. Il appuie sur ma détente.
Pour la première fois de ma vie, je me suis enrayé.
Nathalie, un auteur à découvrir ici !