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Textes écrits par des participants à mes ateliers et à mes stages d'écriture, manifestations littéraires, concours... 

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Marc Antoine B.
01 décembre 2025
Textes d'ateliers

Il lève la tête, jette un oeil par l'aveuglement de la fenêtre et se repent aussitôt : le vert du jardin l'appelle ! Pour tailler, arracher, faner, émonder, ramasser, éclaircir, composter, alors rouge d'ampoules et de jurons, mal à la main, le carpien, s'apitoyer sur soi, foutu jardin. Pourtant le v...

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Invité - Claire Pasquié Aimable
12 novembre 2025
J'ai beaucoup apprécié l'écriture et la composition. Les mots voisins sont amenés avec virtuosité si...
Sylvie Reymond Bagur Aimable
10 novembre 2025
Une troublante et inquiétante composition à deux voies explorant les nuances des synonymes du mot Ai...
Invité - Malclès Anne-Marie To.pierre
23 octobre 2025
Bravo, ce texte m'a beaucoup touché, la tension est magnifique ainsi que le thème.Anne-Marie Malclès

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06 décembre 2025

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"- Mais c’est assez parler des discours ; c’est la diction qu’il faut, je pense, considérer à présent, et nous aurons traité d’une manière complète et du fond et de la forme. - Alors Adimante : Je ne saisis pas, dit-il, ce que tu veux dire. -  Il le faut pourtant, dis-je. Peut-être saisiras-tu mieux de cette manière-ci. Tous ce que disent les conteurs de fables etles poètes n’est-il pas le récit d’événements passés, présents ou futurs ?   - Ce ne peut pas être autre chose, répondit-il. - Eh bien ! le récit dont ils usent n’est-il pas simple, imitatif, ou l’un et l’autre à la fois ? - Ceci aussi, dit-il, je te demanderai de l’expliquer plus clairement. - Je suis, à ce qu’il paraît, dis-je, un plaisant maître, je ne sais pas me rendre clair. Je vais donc faire comme les gens qui ne savent pas s’expliquer ; au lieu d’embrasser la question dans sa généralité, e je n’en prendrai qu’une partie, et j’essaierai de t’y montrer ce que je veux dire. Réponds-moi : tu sais par cœur le commencement de l’Iliade, où le poète raconte que Chrysès pria Agamemnon de lui rendre sa fille, que celui-ci s’emporta et que le prêtre, se voyant refusé, invoqua le dieu contre les Grecs ? -Oui. -Tu sais donc que jusqu’à ces vers : « et il conjurait tous les Grecs et en particulier les deux Atrides, chefs des peuples » le poète parle en son nom et ne cherche même pas à nous donner le change et à nous faire croire que c’est un autre que lui qui parle. Pour ce qui suit, au contraire, il le raconte, comme s’il était lui-même Chrysès, et il s’efforce de nous donner autant que possible l’illusion que ce n’est pas Homère qui parle, mais bien le vieillard, prêtre d’Apollon ; et c’est à peu près ainsi qu’il a composé tout le récit des événements qui se sont passés à Ilion, à Ithaque et dans toute l’Odyssée.   - C’est vrai, dit-il. - N’y a-t-il pas récit quand il rapporte, soit les divers discours prononcés, soit les événements intercalés entre les discours ? - Évidemment si. - Mais lorsqu’il prononce un discours sous le nom d’un autre, ne pouvons-nous pas dire qu’il conforme alors autant que possible son langage à celui de chaque personnage auquel il nous avertit qu’il va donner la parole ?   - Nous le pouvons ; je ne vois pas d’autre réponse. - Or se conformer à un autre, soit pour la parole, soit par le geste, n’est-ce pas imiter celui auquel on se conforme ? - Sans doute. - Mais en ce cas, ce me semble, Homère et les autres poètes ont recours à l’imitation dans leurs récits. - Assurément. - Au contraire si le poète ne se cachait jamais, l’imitation serait absente de toute sa composition et de tous ses récits. Mais, pour que tu ne dises plus que tu ne comprends pas comment cela peut être, je vais te l’expliquer. Si en effet Homère, après avoir dit que Chrysès vint avec la rançon de sa fille supplier les Achéens et en particulier les rois, continuait à parler, non pas comme s’il était devenu Chrysès, mais comme s’il était toujours Homère, tu comprends bien qu’il n’y aurait plus imitation, mais simple récit. La forme en serait à peu près celle-ci, en prose du moins ; car je ne suis pas poète. « Le prêtre étant venu pria les dieux de leur accorder de prendre Troie en les préservant d’y périr, et il demanda aux Grecs de lui rendre sa fille en échange d’une rançon et par respect pour le dieu. Quand il eut fini de parler, tous les Grecs témoignèrent leur déférence et leur approbation ; seul, Agamemnon se fâcha et lui intima l’ordre de s’en aller et de ne plus reparaître ; car son sceptre et les bandelettes du dieu ne lui seraient d’aucun secours ; puis il ajouta que sa fille ne serait pas délivrée avant d’avoir vieilli avec lui à Argos ; il lui enjoignit de se retirer et de ne pas l’irriter, s’il voulait rentrer chez lui sain et sauf. Le vieillard entendant ces menaces eut peur et s’en alla sans rien dire ; mais une fois loin du camp, il adressa d’instantes prières à Apollon, l’invoquant par tous ses surnoms, et le conjura, s’il avait jamais eu pour agréables les temples que son prêtre avait construits et les victimes qu’il avait immolées en son honneur, de s’en souvenir et de lancer ses traits sur les Grecs pour leur faire expier ses larmes. » bVoilà, mon ami, comment se fait un récit simple, sans imitation.   - Je comprends, dit-il. - Comprends donc aussi, dis-je, qu’il est une espèce de récit opposé à celui-là, quand, retranchant les paroles du poète qui séparent les discours, on ne garde que le dialogue. - Je le comprends aussi, dit-il : c’est la forme propre à la tragédie. - C’est en juger très justement, dis-je. Je pense qu'à présent tu vois clairement ce que je ne pouvais pas te faire saisir tout à l’heure, à savoir que la poésie et la fiction comportent une espèce complètement imitative, c c’est-à-dire, comme tu l’as dit, la tragédie et la comédie ; puis une deuxième qui consiste dans le récit du poète lui-même ; tu la trouveras surtout dans les dithyrambes; et enfin une troisième, formée du mélange des deux autres ; on s’en sert dans l’épopée et dans plusieurs autres genres. Je me fais bien comprendre ? - Oui, j’entends, dit-il, ce que tu voulais dire. - Rappelle-toi aussi qu’antérieurement à ceci nous disions que nous avions traité de ce qu’il faut dire, mais qu’il restait à examiner comment il faut le dire. - Je me le rappelle. - Or je disais précisément qu’il fallait décider entre nous si nous permettrions aux poètes de nous faire des récits purement imitatifs, ou d’imiter telle chose, et non telle autre, et lesquelles dans l’un et l’autre cas, ou si nous leur interdirions absolument l’imitation.   - Je devine, dit-il, ce que tu as en vue, savoir si nous admettrons la tragédie dans notre État, ou si nous l’exclurons. - Peut-être, dis-je, peut-être d’autres choses encore ; je n’ensais rien pour le moment ; mais partout où le souffle de la raison nous poussera, nous nous y rendrons. - C’est bien dit, répondit-il."
06 décembre 2025

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"Ayant ainsi parlé, il la quitta, et, retournant à ses soufflets, il les approcha du feu et leur ordonna de travailler. Et ils répandirent leur souffle dans vingt fourneaux, tantôt violemment, tantôt plus lentement, selon la volonté de Hèphaistos, pour l'accomplissement de son oeuvre. Et il jeta dans le feu le dur airain et l'étain, et l'or précieux et l'argent. Il posa sur un tronc une vaste enclume, et il saisit d'une main le lourd marteau et de l'autre la tenaille. Et il fit d'abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d'argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d'images. Il y représenta la terre et l'Ouranos, et la mer, et l'infatigable Hélios, et l'orbe entier de Sélènè, et tous les astres dont l'Ouranos est couronné : les Plèiades, les Hyades, la force d'Oriôn, et l'Ourse, qu'on nomme aussi le Chariot, qui se tourne sans cesse vers Oriôn, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l'Okéanos. Et il fit deux belles cités des hommes. Dans l'une on voyait des noces et des festins solennels. Et les épouses, hors des chambres nuptiales, étaient conduites par la ville, et de toutes parts montait le chant d'hyménée, et les jeunes hommes dansaient en rond, et les flûtes et les kithares résonnaient, et les femmes, debout sous les portiques, admiraient ces choses.
03 décembre 2025
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Écriture, point de vue et focalisation Identifier le ou les narrateurs qui seront utilisés est l'une des premières étapes de l'écriture d'un récit : sera-t-il une entité non précisée extérieure à l'histoire ? Un narrateur-conteur ? Un personnage faisant partie de l'histoire qu'il raconte ? Un personnage défini, mais extérieur à l'histoire ?... Ce choix peut se faire naturellement, être de l'ordre de l'évidence ou objets d'hésitations et de doutes, cependant, une fois ce choix effectué, pour un même type de narrateur, existent de nombreuses variantes de fonctionnements concernant notamment : ce à quoi le lecteur - et le narrateur - ont accès, les différentes façons de donner - ou pas -  les informations au lecteur.   sur quel mode et au travers de quel type de regard Ce sont toutes ces options que l'on désigne par les expressions de "choix d'un point de vue" ou d'un "type de "focalisation". Point de vue et focalisation: deux notions proches, mais non superposables  Un narrateur extérieur et non identifié peut connaitre tout ce qui se passe dans la tête des personnages ou ne pas tout connaitre, il peut aussi rester totalement à l'extérieur des pensées des personnages ou même se montrer non fiable. Voir l'article : Du narrateur omniscient aux narrateurs contemporains.   Ces différentes options ( appliquées de façon plus ou moins systématique) vont avoir une influence majeure sur la façon d'écrire et, en conséquence, sur la perception par le lecteur de ce qui se déroule sur son rapport aux personnages. Écrire une fiction, c'est donc choisir non seulement un narrateur (repérable à un  pronom personnel choisi ou par son absence) mais aussi de quel endroit et de quelle façon le ou les narrateurs parlent ou, symétriquement, de qui et sur quel mode le lecteur reçoit les informations et à quelles informations il a accès ou pas.   Deux expressions sont utilisées pour préciser ces différentes options narratives : le point de vue et la focalisation. Il est tentant, et c'est souvent le cas, de les utiliser de façon indifférentiée, mais elles peuvent être avantageusement différenciées.    Le point de vue On attribue généralement à Henry James l’invention de ce terme. Cet auteur a utilisé, notamment dans ses nouvelles comme Le Tour d’écrou, une façon de raconter différente du narrateur omniscient classique, en effet, c’est un des personnages de l’histoire qui raconte : il donne donc son « point de vue » et l’auteur s’efface derrière ce point de vue particulier.   Le point de vue, des deux l'expression la plus ancienne, a l'avantage d'être métaphorique et concrète. Préciser "le point de vue" d'un texte peut être pensé à la manière dont, par exemple, l'on "choisit son point de vue" pour observer un paysage. Elle semble plus accessible, moins technique que "focalisation" qui peut paraitre une peu "jargoneuse". Les deux expressions évoquent un dispostif optique, mais le point de vue s'accompagne d'une dimension spatiale : où se place l'œil qui raconte et comment se positionne ce regard: intérieur ou extérieur à l’histoire, à la pensée, à l’émotion des personnages…    Ainsi situé, précisé, le narrateur donne une unité au point de vue, une unité au texte. Le lecteur d’un texte littéraire entre dans une expérience, celle du narrateur autant que dans un univers propre à l’auteur.    C'est un concept plus "parlant", plus naturel, mais aussi plus large, moins précis. Le point de vue peut recouvrir l'expérience subjective d'un personnage ou du narrateur, incluant des aspects comme le ton, la vision du monde ou même l'idéologie sous-jacente. Elle peut ainsi prêter à confusion : le point de vue comme opinion, façon de penser, de juger... On peut dire que le point de vue englobe la focalisation, mais aussi d'autres éléments narratifs.   La focalisation La focalisation a été théorisée par Gérard Genette dans les années soixante-dix pour éviter les ambiguïtés du "point de vue". Cette expression se concentre sur l'accès, la sélection et la restriction des informations données au lecteur, le mode de présentation des événements et des informations dans un récit, en fonction de la perspective adoptée par le narrateur. En optique, la focalisation correspond à "concentrer des rayons provenant d'un point en un autre point." L'on remarque ici la disparition spatiale présente dans l'idée de point de vue (où l'on se place) pour se centrer sur les deux pôles et le trajet de l'information.   La focalisation détermine "qui perçoit" l'histoire, c'est-à-dire le filtre à travers lequel le lecteur accède au monde narré, en limitant ou non les informations disponibles. Penser "focalisation" c'est assumer que le récit n'est jamais total, la focalisation met l'accent sur le fait que le narrateur oriente le regard du lecteur sur des éléments spécifiques, influençant ainsi la manière dont l'histoire est perçue et comprise. La focalisation sépare nettement "qui parle" (ce qu'on appelle la voix dans un récit) de "qui perçoit" les informations, le lecteur et précise les options possibles.    Le point de vue met l'accent sur la voix et sur ses concrétisations par les pronoms (première/troisième personne) et la subjectivité globale, tandis que la focalisation affine ce qui concerne les restrictions perceptives (zéro, interne, externe), indépendamment de la personne grammaticale.   Une des meilleures façons d'en comprendre les enjeux et les nuances entre point de vue et focalisation est d'en lister les principaux types en commençant par les types de focalisation qui répondent à des critères plus facilement repérables et resserrés. Ces différences peuvent apparaître exagérément subtiles. De plus, elles  ne font pas toujours une complète unanimité chez les spécialistes. Il serait toutefois dommage de ne pas s'y intéresser, car elles éclairent des variables de la fiction fructueuses quand on s'intéresse à l'écriture.   Les principaux types de focalisation selon Genette La focalisation est déterminée en fonction des informations que le narrateur donne au lecteur : qui dispose des informations ? / quelle est l'étendue de ce savoir ?   Focalisation zéro ou omniscience : le narrateur en sait plus que les personnages, accédant aux pensées de tous les personnages, au passé, parfois au futur et sans restriction de lieu. Le récit donne au lecteur une vue d'ensemble globale de ce qui se passe et des modications intérieures des personnages. Focalisation interne : Le récit est perçu et raconté à travers la perception d'un personnage spécifique, limitant les informations à ce qu'il sait, voit ou ressent. Le narrateur dit autant que le personnage en sait, mais les informations sont limitées à une expérience particulière. Le lecteur a une vue partielle, se rapproche du personnage.  Focalisation externe : le narrateur se limite aux apparences extérieures (actions, dialogues et apparences visibles), il n'a pas accès aux pensées des personnages. Il adopte une posture objective et neutre. Cela crée un effet de distance, celle d'un observateur non impliqué et ne connaissant pas les motivations et émotions des personnages. Le narrateur dit moins que les personnages ne savent ; il ne fait que décrire comme le ferait une caméra. A la lecture de cette liste, l'on mesure combien l'on pourrait créer de sous-catégories en jouant sur ce qui est dit ou caché par exemple, chaque récit original crée une façon particulière de focaliser les informations, mais ces catégories générales permettent d'en fixer les grandes orientations.    Les principaux types de points de vue  Point de vue omniscient (panoramique, mais plus ou moins partial ou orienté) Le narrateur sait tout sur les pensées, le passé, le futur et les lieux multiples, mais utilise cette connaissance pour imprégner le récit d'une subjectivité idéologique globale – comme des commentaires moraux, des jugements philosophiques ou une vision du monde unifiée comme une perspective humaniste ou cynique de l'humanité. Une omniscience peut chercher la neutralité, mais celle-ci ne peut être absolue, ne serait-ce que par le choix du vocabulaire : avec une complète neutralité, nous sortirions de la littérature. Le point de vue omniscient offre au lecteur une vue d'ensemble, mais s'intéresse aussi à la façon dont le texte guide le lecteur vers une interprétation plus ou moins orientée. Différence avec la focalisation zéro : la focalisation zéro se borne à préciser que le narrateur dispose d'un accès illimité aux infos sans restriction ; le point de vue ajoute une prise en compte de la dimension subjective du narrateur. Par exemple, dans Guerre et Paix de Tolstoï, l'omniscience est inséparable d'une idéologie historique et philosophique, transformant les faits en une forme d'amplification d'une vision.   Point de vue interne  (subjectif et lié aux expériences du personnage)  Le narrateur adopte la perception limitée d’un personnage, mais intègre non seulement ses sensations et connaissances, mais aussi sa subjectivité – comme ses émotions, ses souvenirs personnels ou ses biais psychologiques (comme une perception paranoïaque ou un optimisme naïf). Cela crée une immersion empathique, où le lecteur "vit" l'histoire à travers une vision du monde déformée par une expérience individuelle. Différence avec la focalisation interne : la focalisation se concentre sur l'idée que les informations se limitent à ce que le personnage perçoit ; le point de vue ajoute la manière dont cette perception est colorée par des filtres émotionnels ou idéologiques. Par exemple, dans L'Étranger de Camus, le "je", par la façon dont il choisit et limite les informations qu'il transmet au lecteur, fait sentir une forme d'aliénation et l'oriente vers le sentiment de l'absurde. Le point de vue interne n'est pas qu'une précision de la source des informations, il questionne aussi sa dimension sociale ou historique et son lien avec les expériences subjectives du personnage.    Point de vue externe (objectif, mais distancié) :Le narrateur décrit les événements de l’extérieur, comme une caméra neutre, en se limitant aux apparences visibles, mais en y infusant une subjectivité idéologique subtile – comme un ton , ironique, nostalgique ou détaché qui reflète une vision du monde. Par exemple une accumulation factuelle d'objets peut se lire comme une critique de la société consumériste. Cela maintient une distance, invitant le lecteur à interpréter sans être guidé, au moins en apparence.  Différence avec la focalisation externe : la focalisation externe indique que le texte est raconté sans accès à la subjectivité et aux pensées, tandis que le point de vue cherche à rendre compte des biais individuels et des idéologies collectives. Ainsi, dans certaines nouvelles d'Hemingway, écrites en focalisation externe, le style "behavioriste" véhicule une philosophie particulière de la vie et une vision de l'homme : il ne s'agit pas seulement de constater une limitation à des observations neutres, mais d'interprétations possibles de cette façon de raconter. Les enjeux de la focalisation externe sont multiples, elles font l'objet d'un article spécifique.   On observe que malgré leur proximité, la focalisation isole la question de la donnée et de la réception des informations (c'est un filtre très précis) tandis que le point de vue s'ouvre vers la subjectivité, l'expérience et l'idéologie : c'est une notion plus large, mais moins précise et plus complexe. Elle appelle des sous-catégories. Quand on parle de point de vue, beaucoup d'options sous-jacentes sont possibles et doivent être précisées notamment  la "coloration subjective" du récit, comment ces infos sont-elles teintées par le narrateur. Par exemple, deux récits avec la même focalisation interne pourraient avoir des points de vue différents si l'un informe le lecteur d'une façon optimiste et l'autre les formule avec cynisme.    La focalisation pourrait sembler plus "faible", car plus étroite que le point de vue, mais elle donne une base précise pour identifier comment les informations sont données et disposer de cette base précise permet ensuite de nuancer, de complexifier sans tout mélanger.   Pourquoi est-ce  important de prendre le temps de s’interroger sur cette question et de disposer de quelques notions sur ce sujet ?  Des combinaisons et variations de la focalisation et du point de vue sont possibles dans un même récit: de nombreux livres alternent les narrateurs et donc les points de vue à la troisième personne et même à la première. C'est l'un des espaces explorés avec beaucoup d'inventivité par la littérature contemporaine, des formes hybrides émergent par exemple des "nous" collectifs.     Question de base qui reste un sujet de nombreux débats théoriques, la gestion du point de vue et de la focalisation est aussi l’une des grandes sources de maladresses facilement repérables dans les manuscrits d’apprentis écrivains.   Plus que la connaissance précises des termes et des classements, ce qui semble important ici pour celui qui écrit est de prendre conscience qu'il serait dommage de se limiter à la question du choix du "je" ou du "il", ou de l'omniscient. Il s'agit de percevoir qu'un "je" peut être totalement transparent pour le lecteur ou ne pas tout lui livrer, et que cette dimension peut évoluer pendant le récit. Qu'un récit qui semble simplement fait "de l'extérieur" peut l'être de diverses manières ou pour diverses raisons, que ce qui est communiqué au lecteur est un choix d'auteur : par qui, avec quelle qualité (neutralté, vison de l'homme ou subjectivité), à quel moment (d'emblée, progressivement, en laissant des parts d'ombres... ) ce dernier point étant crucial dans l'écriture de la nouvelle.       {loadmoduleid 197}
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Cupidité

Texte d'après Léon Bloy Atelier Démesure avec Léon Bloy

Le curaillon, graisseux comme un lardon de foire, suintant de bondieuserie, mitraillait l'auditoire avec alacrité, en dégoulinant imperturbablement une homélie en cascade, ses petits jambons de bras s'ébrouaient dans l'air comme les pattes d'un poulet qu'on est en train de plumer. Son monologue infini, kyrielle de mots, ribambelles de phrases, appâtait ses ouailles à coup de vie éternelle, délectation, ravissement il promettait l'extase de côtoyer à perpétuité le tout puissant, jouissance infinie du nirvana divin !

Il clôture son laïus en bénissant le sarcophage qui repose au pied de l'estrade, cénotaphe dans lequel la chair du défunt commence à s'avarier, les fleurs asphyxiées piquent du nez.

Aux premiers rangs de ces joyeusetés, deux familles se regardent en chien de faïence, comme deux molosses écumant de bave guettant avec fureur l'hallali, les pleurnicheries redoublent d'intensité, jérémiades sonores du déchirement qu'éprouve la fille du trépassé, lamentation, geignement de la marâtre face à la perte titanesque d'un mari, qui la laisse désespérée de tristesse, éplorée de désespoir.

Il y a la fille unique, visage oblong hippophagique, résidu d'une consanguinité parentale, la mère et le père auraient été cousins.

Grande, sèche comme le sable du désert, planqués derrière les paupières mi-closes, ses yeux d'alligator fixent le cercueil, les babines retroussées en forme de cul de babouin, lui donnent un air de vieux canasson.

Sa rancœur a sucé, épongé, pompé toute l'entité de son être laissant une peau racornie, flétrie de vieux parchemin, peau d'ânesse mitée qui emboucane la haine et l'amertume qu'elle essaye de camoufler derrière une crinière déplumée de vieille tête-de-loup graisseuse et grisâtre.

Charpente de traviole sur guiboles bancroches elle penche comme la tour de Pise, ressasse, rumine son abomination, son cerveau démoniaque fourrage la baïonnette, équarrissant la bidoche de cette cupide ordure, qui à force de roucoulades captieuses avait réussi à appâter son père pour se faire épouser.

Sycophante, les finasseries les plus sataniques ont germé dans son nidoreux ciboulot pour éviter cet accouplement.

Peccamineuses lettres masquées adressées au géniteur détaillant avec moult détails fictives soirées sado-maso, beuveries orgiaques auxquelles se serait repu la promise, le village bavassait sur des prodromes qu'elle ne cessait sardoniquement d'attiser, et les vieilles badernes encore vivantes se ralliaient à sa cause, cette fille est une pérégrin, personne ne connaît ses origines, tous sont unanimes, ce mariage sent le vent du boulet, le père a perdu les pédales,même le vieux Léon, ami d'enfance du paternel, dont le visage couperosé par l'alcool luit comme un phare en pleine mer trouve cette alliance dégoutante et répugnante.

Hélas, tous ces tortueuses prophéties firent chou blanc !

Le père, ce vieux fricoteur, vénérait la fille de toute son âme, et les épousailles furent programmées.

La virago regarde le corbillard d'un œil torve, dissimulant la jouissance de son nouveau statut de veuve dans un emballage d'accablement mais surtout pressée d'en finir avec ces salamalecs de funérailles.

Elle passe sa langue râpeuse sur sa lippe en cul de poule, renifle bruyamment, hoquette, essuie une larmichette du coin de ses yeux entaillés en estafilade, mais pupille vive, qui évite soigneusement de bigler sur la droite pour de ne pas croiser le regard de cette gueule chevaline abominable.

Façade factice, Belphégor de cire aux traits figés par le bistouri, elle se gargarise d'être enfin débarrassée du vieillard, cochon préhistorique dont elle vomissait les approches nauséabondes, son corps de tétanisait sous les pattes gluantes et visqueuses du goret vicieux.

Droite comme un « I » dans son tailleur CHANEL, elle se tapote les coudes de ses griffes de circé, camouflée derrière une attitude piaculaire de sainte béatifiée.

Ah c'est pas trop tôt ! enfin dans le trou le vieux corbillard, bouffé par les asticots !

A moi la galette !

Elle s'avance vers la caisse en bois et tombe magistralement à genoux, les deux mains crochues caressent la plaque gravée, puis saisissent la photo du viocard qu'elle couvre de baisers humides, susurrant, gazouillant quelques banalités, avant que les croque-morts, qui piétinent, trépignent en regardant leurs montres.

L'heure du déjeuner approche, il ne faudrait pas trop fainéanter !

Autocar
Entre deux lettres

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Commentaires 2

Invité - Stéphanie R. le dimanche 29 décembre 2024 09:40

Un enterrement réjouissant qu'il ne fallait pas manquer !

Un enterrement réjouissant qu'il ne fallait pas manquer !
Invité - Margot le mercredi 25 décembre 2024 15:00

Un texte plein de verve, d'humour et d'énergie ! Sa lecture est à la fois grinçante et réjouissante, merci.

Un texte plein de verve, d'humour et d'énergie ! Sa lecture est à la fois grinçante et réjouissante, merci.
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"Si vous avez quelque chose à dire, tout ce que vous pensez que personne n'a dit avant, vous devez le ressentir si désespérément que vous trouverez un moyen de le dire que personne n'a jamais trouvé avant, de sorte que la chose que vous avez à dire et la façon de le dire se mélangent comme une seule matière - aussi indissolublement que si elles ont été conçus ensemble."  F. Scott Fitzgerald

"Le romancier habite les seuils, sa tâche est de faire circuler librement le dedans et le dehors, l'éternité et l'instant, le désespoir et l'allégresse."  Yvon Rivard

" La vie procède toujours par couples d’oppositions. C’est seulement de la place du romancier, centre de la construction, que tout cesse d’être perçu contradictoirement et prend ainsi son sens."  Raymond Abellio

"Certains artistes sont les témoins de leur époque, d’autres en sont les symptômes."  Michel Castanier, Être

"Les grandes routes sont stériles." Lamennais 

"Un livre doit remuer les plaies. En provoquer, même. Un livre doit être un danger." Cioran

"J'écris pour me parcourir. Peindre, composer, écrire : me parcourir. Là est l'aventure d'être en vie."Henri Michaux

"La littérature n’est ni un passe-temps ni une évasion, mais une façon–peut-être la plus complète et la plus profonde–d’examiner la condition humaine." Ernesto Sábato, L’Ecrivain et la catastrophe

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