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Textes écrits par des participants à mes ateliers et à mes stages d'écriture, manifestations littéraires, concours... 

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Delphine C.
17 octobre 2025
Textes d'ateliers

16 h ! C'est l'heure ! Vite ! J'accroche un nœud en tulle blanc sur la portière de ma voiture, et un autre sur l'essuie-glace, je les serre solidement pour le voyage jusqu'au parc Jouvet. Je règle mes pédales et mon rétroviseur pour les ajuster à la hauteur de mes jambes sur talons. Je porte la peti...

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Invité - Malclès Anne-Marie To.pierre
23 octobre 2025
Bravo, ce texte m'a beaucoup touché, la tension est magnifique ainsi que le thème.Anne-Marie Malclès
Sylvie Reymond Bagur To.pierre
17 octobre 2025
Un texte vivant, attachant qui fait suite à celui qui s'intitule Les bijoux de famille, la suite de ...
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24 septembre 2025
Ce texte résonne d'une profonde sensibilité qui allie la fascination du regard, la mystère de la cré...

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26 octobre 2025
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Écrire, décrire la couleur « L’art lui-même peut se définir comme la tentative d’un esprit résolu pour rendre le mieux possible justice à l’univers visible [...] C’est une tentative pour découvrir dans ses formes, dans ses couleurs, dans sa lumière, dans ses ombres, dans les aspects de la matière et les faits de la vie même ce qui leur est fondamental [...], la vérité même de leur existence. » Joseph Conrad La vue est celui de nos sens qui guide le plus fortement notre activité, construit la perception de ce qui nous entoure. La couleur, élément essentiel de ce « visible » constitue l'un des enjeux majeurs de l'écriture et de son rapport au réel. La place des couleurs est plus ou moins grande selon le projet d’écriture et le type de style, mais, même dans l’écriture la plus minimaliste, les couleurs sont rarement totalement absentes.En effet, c’est par la couleur que nous voyons la forme, elles entrent pour une part essentielle dans notre relation au monde. Elles permettent de saisir les choses, leur matérialité et, peut-être, leur essence. C’est aussi la couleur qui « donne vie » au visuel. Écrire serait même, pour Flaubert,  « rendre une coloration, une nuance », les couleurs seraient « la quintessence supérieure du livre. » La couleur dans l’écriture La couleur  résiste aux descriptions verbales, reste un défi que continuent à relever de nombreux écrivains. Défi poétique, défi lancé au langage, car il ne suffit pas de dire "le ou les mots de la couleur" pour la faire voir. Je dis « rouge » et cette couleur ne serait-elle pas ce que Stéphane Mallarmé  dit à propos de la fleur : « l’absente de tout bouquet ». Rouge, quel rouge ? Magenta, carmin, vermillon, pourpre, cinabre, un rouge sans nom, une impression vague de rouge ? Il y a donc une particularité de la couleur, mais aussi une  particularité de celui qui voit. La transmission du phénomène est, par définition, logée dans l’œil de celui qui voit un objet coloré qui ne sera jamais identique à la couleur du même objet vu par son voisin. En tout cas, nous ne pouvons pas le vérifier ! Par convention, on s’accordera sur un mot qui peut recouvrir un vaste spectre comme "rouge" sachant que: le rouge d’une rose, par exemple, est une autre couleur que le rouge du sang.On peut être tenté par le relativisme : il n’y aurait pas de « réalité » de la couleur. Autre objection majeure  : la référence, la précision de couleur seraient-elles un simple "effet de réel" (voir l'article sur ce que désigne cette expression) ? C’est-à-dire un détail ajouté pour tenter de rendre plus réel ce qui est raconté ? Un détail qui fixe l’imaginaire ou l’emprisonne sans partager vraiment un contenu ?  Relevons donc le défi d’écrire les couleurs !   L'écriture de la couleur se heurte à deux principales difficultés  1 Les notions d’immédiateté et d’expressivité sont toutes deux antinomiques au fonctionnement du langageLa couleur est « l’endroit où notre cerveau et l’univers se rejoignent » P. Cézanne.Si l’on fait fi du processus physique réel, la vue des couleurs nous parait de l’ordre de l’immédiateté. La couleur surgit et nous atteint comme expressivité pure, tandis que le langage ne peut être que transcription, médiation par les mots, détour.2 La question du général et du particulierLe Traité des couleurs de Goethe nous l’explique : « Pour simples que soient les couleurs dans leur première apparence élémentaire », c’est-à-dire en tant que phénomènes originels, « elles se font infiniment multiples lorsque, hors de leur état pur et pour ainsi dire abstrait, elles se manifestent dans la réalité, notamment sur les corps où elles s’exposent à mille contingences. Il en résulte une individualisation illimitée qu’aucune langue ni toutes les langues du monde réunies, ne sauraient désigner ». Rappelons que l’œil humain peut différencier près de huit millions de nuances de couleurs.L’expérience sensorielle de « la » couleur dans sa singularité concrète est irréductible à une description abstraite. Le langage, par nature, « généralise », il classe par catégories, à moins d’attribuer un nom propre, ce qui n’aurait pas de sens pour les trop nombreuses nuances de couleurs. Nous ne pouvons  que faire le constat de la difficulté de restituer une couleur, l’expérience vécue de la couleur avec les mots.    Vocabulaire de la couleur Comme pour les odeurs, la langue française manquerait de mots ?"Aucun mot ne saurait exprimer la clarté vaporeuse qui enveloppait les côtes lorsque, par un magnifique après-midi, nous sommes arrivés à Palerme", nous dit Goethe.Faisons l’inventaire des nombreux moyens à notre disposition.  Des termes spécifiques, « directs », sans lien évident, de nos jours, avec un référent et assez peu nombreux : bleu, rouge, vert, jaune, mauve, etc., ce sont les « vrais » mots de la couleur. Notons que le nombre et la liste de ces mots peuvent varier d'une langue à l'autre, d'une culture à l'autre.  Des termes référentiels « concrets » : par association à des pierres précieuses, des végétaux, des matières (coquelicot, saumon, ébène, etc. ) Des  termes référentiels « abstraits », par association avec une idée  : rouge passion, rouge glamour, bleu rêve, blanc pur, etc. Cependant, le langage et, en particulier, le langage littéraire, dispose de bien d’autres ressources et l'on peut déjà préciser notre objectif : partager la couleur avec des mots, suggérer plus que de dire, faire le choix de l’indirect, de l’allusion sans renoncer toutefois à décrire, à chercher la précision, une sorte de ressemblance qui n’est pas celle du « faire voir ». Se servir de vocabulaires spécifiques Une des possibilités qu'offre l'écriture littéraire consiste à utiliser un vocabulaire spécifique et à se servir de son pouvoir d'évocation en l'utilisant dans un autre domaine. Le plus utilisé est celui des pierres précieuses eu naturelles ( lapis-lazuli, cristal de roche, jade, saphir, améthyste...) En voici deux autres exemples :  1. Les couleurs du vin Les couleurs du vin ne se bornent pas au choix classique entre rouge, blanc, rosé, distinction qui porte déjà pourtant en elle tout un imaginaire : fraîcheur associée au rosé, imaginaire de l'été et de vacances, transparence du blanc de sable, puissance  du rouge d'un bourgogne... L'on voit combien l'écriture de la couleur gagne à chercher du côté de la synesthésie, non pas au sens du mélange des sens, mais de leur complémentarité, de leurs possibilités de recréer toute une  "sensation de monde réel" en se renforçant mutuellement. Le domaine des vins est un excellent exemple d'univers synesthésique, car, si le vin, c'est un goût, un degré d'alcool, un arôme, c'est aussi une couleur, des teintes particulières : l'oenologie utilise pour cela un  beau verbe métaphorique : la robe - la couleur- habille le vin. Ainsi, parmi les vins rouges, se distinguent des robes allant du pourpre à l’orangé. Les vins évoluent de phase rubis, vermillon à des grenats et l'étonnant "tuilé" associé à des  reflets bruns ou orangés qui développent des arômes de tabac, de cacao,  de café et de fruits confits. . . Des "rouges " peuvent être dits noirs, orangés, marrons, bleus, violine.  Prendre la couleur - et la matérialité? - de la brique. Avec les vins rosés s'ouvre  un camaïeu qui va  du rose pâle au pétale de rose, au  claret, au rose saumon jusqu'au  rose cerise et même à ces rosés dits "gris". Une sensualité délicate anime ce vocabulaire qui parlera si musicalement de "note" pelure d’oignon et de "note" orangé. Terminons par la déclinaison des blancs qui, étonnamment déploie des jaunes, avec de "jeunes blancs"commençant par du  "jaune vert" "argenté" pour s'adoucir en jaune paille puis  brillant d'un jaune d'or, se corsant jaune ambré ou même jaune topaze et pourront, en vieillissant, devenir des blancs aux reflets orangés, puis cuivrés pour terminer marrosn.  2. Les couleurs des chevaux Moins connues,  les couleurs des chevaux offrent aussi un vocabulaire qui, pour le néophyte, ne fait pas "voir" la robe du cheval, mais sollicite un imaginaire cinématographique ou pictural qui déborde et s'étend vers l'espace et la géographie. Couleurs de western ou de steppes, de grandes chevauchées ou d'amitiés homme-animal, l'alezan, la couleur pie, l'isabelle ont  le luisant du cuir noir, la soie du blanc d'une crinière, l'odeur de paille, de sueur, de batailles ou de fuites éperdues, elles embarquent l'imagination et peuvent donc être utilisées avec profit hors de leur domaine animal. Les mots techniques de la couleur   Il existe un large vocabulaire technique de la couleur comme il existe un vocabulaire spécifique aux sons. La valeur d'une couleur Elle distingue, couleur claire, foncée selon la luminosité entre blanc et noir. On peut retrouver une certaine dimension philosophique aux valeurs de la couleur : classicisme du blanc, épure que l’on retrouve dans les intérieurs design minimaliste, profusion des couleurs, diversité, multiplicité qui peut être envisagée comme un gage de spontanéité (évaluation positive) ou perçue comme bariolée (évaluation négative).Notons aussi l'importance de l’idée de « part d’ombre » qui serait la "condition nécessaire à toute œuvre" pour Goethe. La couleur se fait aussi par la lumière et les jeux de lumière et d’ombres. La table est marron, mais avec le soleil à certains endroits, elle est blanche, de quelle couleur est-elle ? Est-ce que cela va entrer dans ma description ? La couleur dépend des heures, de l’éclairage et pose la question du paraître et de l’être.Le mur est blanc et une partie est à l’ombre, est-il toujours de la même couleur ? Mais ombré ?Relevons les pôles : couleur vive/éteinte. Fraicheur/ombrage. Assombrie, clair-obscur / aveuglante, éblouissante. Terne / miroitant, moiré, éclat…Le mat / le brillant semblent des caractéristiques indépendantes de la couleur :  pourtant bleu mat, vert mat ne sont-ils pas des couleurs différentes que bleu satiné ou vert brillant ? Notons ici l'importance du reflet qui était déjà dans les couleurs du vin ci-dessus : la couleur se fait, se distingue, s'apprécie par sa capacité à capter, à diffuser la lumière.   Le ton ou la tonalité d'une couleur Ton ou tonalité désignent la couleur que l’on voit, alors que le mot « couleur » peut aussi désigner la peinture qui sert à la créer. Les tons se regroupent en champs chromatiques qui se reflètent dans le langage. Par exemple, couleurs chaudes et froides avec tout le vocabulaire associé, du glacial au brûlant. Dans le disque chromatique, les tons proches du pôle orangé sont dits chauds et ceux proches du pôle bleu sont dits froids. Les tons situés à mi-chemin, gris, pourpres et verts, n’ont pas de « chaleur » en eux-mêmes, mais on peut dire de n’importe quel couple de tons que l’un est plus chaud que l’autre. On « réchauffe » et on « refroidit » des tons en y ajoutant une couleur proche qui les rapproche des pôles orange et bleu.   Valeur esthétique et quasi "éthique" de la couleur   Il existe une ambivalence de la couleur : pureté / sensualité ou sauvagerie / sagesse. Quelle différence existe il entre sombre et noirâtre ? Du négatif circulerait par la couleur quand elle est ainsi dévalorisée  : le rougeâtre, couleur de bâtardise, une  couleur peut-être salie ou épurée.Valorisation de la couleur originelle / sophistiquée, primat de l'authenticité, justesse de la couleur naturelle / couleur chimique, synthétique, artificielle. Pigments contre colorants? On peut faire ici un parallèle avec la distinction Majeur / mineur en musique.Autres polarités : - Concentration ou dilution de la couleur comme des formes d'activité/ passivité ? - Transparence / opacité . Apparition /disparition. - Netteté  /flou. - Vulgarité / Délicatesse?    Nuances et teintes  Ce sont les petites différences entre des tons de même désignation. Le langage professionnel des coloristes a développé bon nombre de termes d’usage pratique qui n’ont pas nécessairement de définition précise et universelle : bleu de Prusse, cyan… Ces noms ne sont maitrisés que pas les peintres ou les teinturiers, ils gardent, en dehors de la couleur spécifique associée, un pouvoir d’évocation et d’activation de l’imaginaire en dehors même de toute précision. Les mots désignant les teintes de couleurs sont parfois utilisés pour leur sonorité, aimés, choisis et placés pour eux-mêmes, pour leur dimension expressive et poétique.    Description par l’effet produit  : la couleur comme activité Le regard, la perception sont transformés par la couleur. On trouve ici tout un vocabulaire qui permet de préciser cette "activité" de la couleur :- Force, violence, douceur de la couleur : couleur équilibrée et couleur détonnante- Couleur agressive, délicate, fragile, criarde, glaciale, reposante, somptueuse, solennelle, agréable, désagréable, magique, inquiétante…- Couleur-matière et qualités tactiles : profondeur, surface, texture en lien avec la matière qui la porte... Rugosité, couleur granuleuse / lisse, douce… - Masse colorée : couleur épaisse.  - Bande, étroitesse... la couleur dépendrait de son déploiement : l'adjectif chatoyant s’emploie pour une grande surface, tandis que scintillant serait pour une petite surface ?-  Couleur brisée, cassée ?   Dimension vibratoire de la couleur L'on retrouve ici, que même avant de disposer de l'explication scientifique de la couleur, on a pu lui associer une dimension vibratoire.   Polarité électrique de la couleur : le plus, le moins et leurs effets attraction / répulsion.Notons les termes intensité, irradiation, énergie, pulsation, couleur tremblante… Incandescence !Il faut ici rappeler l’importance de la notion de saturation. Le degré de saturation d'une couleur est une mesure de son intensité ou de sa pureté. En termes simples, il indique à quel point une couleur est éloignée du gris.  Une couleur très saturée sera vive et éclatante, tandis que faiblement saturée, elle paraitra plus atténuée.   Unité ou variation, composition colorée Les enjeux sont nombreux : monochromie, polychromie, uniformité, dégradés, couleurs fondues, couleurs heurtées, transition ou coupure, couleurs mélangées, côte à côte, juxtaposées, couleurs qui se frottent, se repoussent...La page est blanche ? Est-elle uniforme ? Si je peignais devrais-je mettre du gris ? Et pourtant j’en reste là, malgré les ombres, les tâches : « la page est blanche. »On retrouve ici la dimension d'évaluation liée aux couleurs : ordre / désordre, unité, harmonie, camaïeu, contraste et puis l'idée de bariolé, de bigarré, de barbouillé... La couleur se fait lieu de polarité, d’opposition entre pureté / mélange, combinaison. Les couleurs se rencontrent, interagissent : se renforcent, s’éteignent…Question de l’harmonie : degré, gradation, spectre,  groupe de couleurs, règles physiologiques ou règles non fondées, conventions culturelles  ? Pas de fondement, mais effort, cohérence, un refus du n’importe quoi ? Existe-t-il une « logique » des couleurs ? Ou est-ce une limite à la liberté ?   Adjectifs ou substantifs modulent l'évocation de la couleur L'on peut par exemple s'interroger sur la différence entre l’or et le doré ? Le nom évoque une substance, une essence (Le bleu, Le noir..), il est du côté de la matière tandis que l'adjectif par sa natre de qualificatif reste du côté de la surface, de l'artifice, du non essentiel.   Couleur et temporalité Persistance, constance, stabilité, couleur qui vit, couleur mouvante, fixe, mourante, couleur morte, figée, fuyante, couleur vide, couleur pleine, se déploie toute une vie de la couleurCouleur rime parfois avec fragilité : trace, vestige, preuve, nostalgie. Lien avec l’éphémère ?   Voir les couleurs avec les yeux du peintre Certaines des distinctions précédentes sont inséparables des techniques de peintres : reflet lumineux dans le clair-obscur, juxtaposition (impressionnisme) par tâches, pointillisme, traitement par aplats, formant un glacis… et puis les pigments, les surfaces,les  transitions, les discontinuités, comme chez Cézanne.Que signifie voir une « impression de couleur » ? Le pointillisme est-il plus proche de la réalité ?  La couleur se précise aussi avec le vocabulaire de la composition: couleur de premier plan, d'arrière-plan. Horizon, géométrie, point de fuite... le regard et les recherches des peintres démultiplient les mots de la couleur et les questionnements sur les sensations colorées et les formes qu'elles dessinent, et, in fine, sur notre accès à la réalité.  Et puis il y a "la tache" : est-ce un morceau de couleur séparée?  Pourtant un tableau n’est-il pas un ensemble de taches?   Ces questions mériteraient un et m^me plusieurs articles chacune, j'y reviendrai... Métaphores, comparaisons, synesthésies Comme pour les sons, les figures de style sont un moyen de partager une teinte colorée :- Métaphores musicales et couleur Harmonie, cuivre, bois, orchestration colorée, accord, justesse, dissonance, baroque, jazzy, grinçante, mélodique, tonalité… - Parallèle de la couleur avec la nourriture  Couleur gourmande, épicée, fade, insipide, acide, appétissante, amère, délicieuse, nauséeuse… Couleur qui relève l’ensemble, l’affadit ? - Personnification Couleur nue, bienveillante, gracieuse, noble, puissante, vigoureuse, enjouée, joyeuse, mélancolique, digne, hardie, soumise… Couleur vulgaire ? Couleur blême.Animale : plumes, pelages… Imagerie du peuple, de la société : guerre et paix des couleurs, union, rencontre, alliance de pigments… Négociation ?Noms de matière, d’objets, placés en position d’adjectifs, accolés (voir exemple de Fromentin) Jeux de langage « Tirant sur, tirant vers » : on définit parfois le lilas comme un bleu tirant sur le rouge et le blanc, quel est le sens de ce mouvement de la couleur ?  Se représenter un orange tirant vers le bleu ou un violet tirant vers le jaune ? Est-ce possible ?Il y a aussi l'énigmatique demi-teinte… L'écriture des couleurs offre  une grande zone de liberté et d'invention (je vais mettre ces jours-ci en ligne un article sur la couleur chez Michel Castanier et chez les surréalistes.) L'on peut surprendre avec des couleurs inattendues ou oxymoriques : un gris ardent est-il possible ? Une lumière brune ? Le gris est parfois lumineux… Ou des effets inattendus : contraire à la norme admise ? « Les feuilles ivres-rouges des platanes tardifs  » Botho Strauss Poser autrement la question de l'écriture de la couleur ? Après avoir cherché à lister les moyens d'écrire la couleur, le problème ne serait-il pas, finalement,  mal posé : les mots ne font pas "voir" les couleurs, ils suscitent les associations,  font référence à une expérience commune et personnelle: le "ciel bleu" ne fait pas voir du bleu et pas même un ciel bleu, mais foit vibrer tous les moments où le ciel a été bleu pour le lecteur : plus qu'une couleur, une atmosphère, des attendus de beau temps, l'idée du ciel sans nuages...  La couleur, ce n'est pas un adjectif, une qualité, c'est un imaginaire, ce n'est pas une onde, c'est une circonstance, une donnée de l'expérience, un morceau de l'immense puzzle du souvenir et du vécu. J'y reviendrai...    {loadmoduleid 197} 
25 octobre 2025
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Ecriture des couleurs dans un été dans le Sahara d’Eugène Fromentin   Le projet de Fromentin est clair : « Je voudrais rendre sensibles les choses que je vois] et, pour ainsi dire, les faire revivre à l'esprit comme aux yeux de ceux qui les ignorent ».  Mais, peut-on faire voir une couleur à celui qui ne l’ a pas sous les yeux? Voici des exemples de cette recherche d'évocation des paysages et des hommes par la couleur :  Un village : « Blanc, veiné de brun, veiné de lilas et qui semble taillé dans un bloc de porphyre ou d'agate tant il est richement marbré de couleurs, depuis la lie de vin jusqu'au rouge sang. » La petite cité nomade en déménagement: « Un assemblage de toutes les couleurs : du damas citron, rayé de satin noir, avec des arabesques d'or sur fond noir, et des fleurs d'argent sur le fond citron ; une touche en soie écarlate traversé de deux bandes de couleur olive ; l'orange tendre avec des verts froids ; puis des coussins mi-partie cerise et émeraude, des tapis de haute laine et de couleur plus grave, cramoisis, pourpres et grenats. » Ici, la couleur résume la chose et permet la construction de paysages vus de loin et de ressentir le temps de l’observation, elle fonctionne comme un instrument d’optique, construit la perspective, elle dynamise la description, car elle s'inscrit dans une perspective temporelle. Il s’agit d’un usage impressionniste des couleurs dont la succession donne 'impression d’une progression narrative. Fromentin voit « filer sur les longues perspectives les burnouss blancs, les croupes luisantes, les selles à dossier rouge ».  « Il n'y a que le Dar Sfah qui soit blanc et l'ancien bain de Ben Salem qui soit peint. Le reste est gris, d'un gris qui, le matin, devient rose ; à midi, violet ; et, le soir, orangé. » Inventivité dans l’évocation des nuances: couleur « d'un petit jonc » ou « de cendre chaude ». La vallée du Chéliff,: « ni rouge, ni tout à fait jaune, ni bistré(e), mais exactement couleur de peau de lion ».   Fromentin décrit des chevaux aux marges du rationnel, presque surréels : « Les blancs étaient couleur de neige et les alezans couleur d'or fin. D'autres, d'un gris foncé, sous le lustre de la sueur, devenaient exactement violets ; d'autres encore [...] auraient pu audacieusement s'appeler des chevaux roses. » « J'ai commencé par voir tout bleu, puis j'ai vu trouble ; au bout de cinq minutes, je ne voyais plus rien du tout. Le désert était extraordinaire. » Le rapprochement avec les surréalistes est légitime : l'on retrouvera la couleur « d'or vert » chez Boris Vian !   
12 octobre 2025
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Comment commencer ? "Ami lecteur, t’attendrais-tu par hasard à me voir commencer cette historiette par : « La lune pâle se levait sur un ténébreux horizon… » ou par : « Trois jeunes hommes, l’un blond, l’autre brun et le troisième rouge, gravissaient péniblement… » ou par… Ma foi, non ! tous ces débuts, étant vulgaires, sont ennuyeux et, puisque je n’ai pas assez d’imagination pour te jeter sur la scène de mon récit d’une manière un peu neuve, j’aime mieux ne pas commencer du tout et t’avertir tout bonnement que Matteo Cigoli était, de l’aveu général, le meilleur garçon, le plus gai, le plus actif et le plus spirituel qu’eût produit son village, situé à quelques lieues de Bologne. Au moment où nous le ramassons sur la grand’route, il est dix heures du matin ; le soleil brûle la poussière et Matteo vient de faire ses adieux à monsieur son père. Que de tendresse dans ces adieux !"  Incipit de Scarmouche, roman  d'Arthur de Gobineau, 1843. Aragon évoque à juste titre "l'inquiétude qui s'empare  de l'écrivain devant le caractère conventionnel que semble prendre nécesairement l'amorce, l'incipt de tout écrit." Et  si l'on se place  du côté du lecteur, commencer à lire une nouvelle, un  texte,  un roman, un chapitre, c’est franchir un seuil et l’auteur doit réussir à attirer le lecteur de l’autre côté. Pendant ce court instant, le temps de lecture de ces premières phrases que l’on appelle l’incipit, le lecteur laisse à l’auteur le bénéfice du doute, il laisse sa chance au texte qui  doit lui. donner l’envie de poursuivre. On peut penser à l’idée d’apéritif, il faut ouvrir l’appétit du lecteur par un début incisif qui aiguise sa curiosité, le prend dans son  rythme, le touche ou le charme par son style. Alors, par où commencer ?  Comment établir ce premier contact décisif, comment construire ce lieu de passage ?  Par quoi « attraper » le lecteur ? Comment éviter des formes trop conventionnelles ? Etre original et séduisant?  Il n’y a pas de « recette », mais différents types d’ouvertures, d’amorces, peuvent être repérées.  Rappelons les mots d'Aragon : ces première phrases ont un  rôle "d'initiatrices", il leur attribue une "espèce de signification magique" un peu comme un "Sésame, Ouvre-toi !"  Cherchons donc à identifier quels pourraient être les ingrédients à notre disposition pour cette sorcellerie incitatrice... Alternatives  fondamentales  :  1.    Décrire le contexte : annoncer les thèmes, informer le lecteur, présenter le sujet, les personnages… L’objectif est alors d’intéresser, d’attirer la curiosité par un thème, une histoire, une personnalité. Il s'agit d'accrocher le lecteur par des explications, par ce qui est raconté plus encore que par la manière de le faire. 2.   Entrer directement dans l’action, sans information préalable, ce que l’on appelle commencer « in Medias res », l’objectif étant alors de dramatiser, de surprendre ou encore d’étonner : de plonger le lecteur dans une scène comme s'il y participait. 3.   Ni contexte ni plongée dans l’action : partir d’ailleurs, bousculer le lecteur par une formule, un élément étonnant. Les objectifs de ces deux dernières stratégies se recoupent, seuls les moyens divergent. L'on peut aussi exprimer ainsi les trois grandes rubriques précédentes  : —    Entrer dans le vif du sujet / poser un cadre / jouer avec le langage.  —   Une autre grille de lecture qui se recoupe partiellement avec les précédentes pourrait s'organiser autour de l'envie de :                      - s’adresser à l’esprit du lecteur  : par l’étonnement, le paradoxe, l’expression originale, la situation…                      -  s’adresser à ses  sens : par le pouvoir évocateur des mots, par leur musicalité, le rythme du style...                      - s’adresser à sa curiosité, à son goût pour l’identification au personnage, au goût pour les histoires.   La plongée brutale La première phrase plonge directement dans une scène : il s’agit de prendre le lecteur par surprise, on pourrait dire « en traitre », d’éliminer les prémisses ! L’auteur saisit le lecteur par le collet, c’est le un début « in medias res » « au milieu des choses », procédé déjà présent chez Homère, sans préambule, sans explication préalable de contexte.   Entrer directement dans l’action :  —  Vers dix heures et demie du soir, le soldat X, sentinelle sur le chemin de ronde de l’enceinte du fort vit une ombre noire se glisser au fond des douves et grimper le long du talus.           Buzzati, Le Dernier combat —   Et c’est ainsi que j’allais chez ce Torriani qui travaillait aux forages du métropolitain milanais…          Buzzati, Le secret —    Les deux jeunes filles ont décidé de se rencontrer là, à l’endroit où la rue de la liberté s’élargit pour former une petite place.                           Le Clézio, La Ronde —   Ma mère est debout, découragée, devant la fenêtre. Elle porte sa « robe de maison » en satinette à pois, sa broche d’argent qui représente deux anges penchés sur un portrait d’enfant, ses lunettes au bout d’une chaîne et son lorgnon au bout d’un cordonnet de soie noire, accroché à toutes les clés de porte, rompu à toutes les poignées de tiroir et renoué vingt fois. Elle nous regarde, tour à tour.           Colette, La Maison de Claudine —  Ils étaient allongés côte à côte, nus sur le drap bleu pâle et ne se touchaient plus.                       Marguerite Duras Utiliser le participe présent pour donner l’impression d’assister eu mouvement : —  La Teuse, en entrant, posa son balai et son plumeau contre l’autel.                               Zola, La Faute de l’abbé Mouret Par un dialogue, une réplique : — Il n’y a rien pour le dîner, ce soir… Ce matin, Tricotet n’avait pas encore tué… Il devait tuer à midi. Je vais moi-même à la boucherie, comme je suis. Quel ennui ! Ah ! pourquoi mange-t-on ? Qu’allons-nous manger ce soir ?                                           Colette, Amour — Ce que je veux vous apporter c’est de l’eau claire. À peine ça. Mon ami le fontainier m’a dit….                 Jean  Giono,L’eau vive —   LUI : Tu n’as rien vu à Hiroshima. Rien. ELLE : J’ai tout vu. Tout.                          Marguerite Duras, Hiroshima mon amour —   Veux-tu lire ce qu’il y a d’écrit au-dessus de ta partition ? demanda la dame. Non,  dit l’enfant.                             Marguerite Duras, Moderato cantabile —   Elle ne se rend pas compte-dit-il, elle ne se verra pas mourir.                                                        Madame Dargent, Bernanos Notons quel les deux protagonistes de l’histoire sont déjà dans cette première phrase. Par une adresse : Rendre le lecteur acteur par le « vous », le « nous », le « on » ou par des modes interrogatifs, exclamatifs, impératifs, des démonstratifs et prénoms personnels énigmatiques, donner au lecteur l’idée qu’il fait partie de la famille, du récit… — « Bienvenue à l’ombre »      ; « Mettons que Firmin… »                       Le Grand Pardon de Marcel Arland — Commencez par casser tous les miroirs de la maison, laissez pendre vos bras, regardez vaguement le mur, oubliez-vous.    Julio Cortázar, Cronopes —  Pensez-y bien, lorsqu’on t’offre une montre on t’offre un petit enfer fleuri….                                                Julio Cortázar — Très tôt le matin empruntez le macadam. Prenez une route tortueuse où les mares d’eau et les nids de poule sont aussi profonds que des pièges pour éléphant.                    François Nkémé, La Tragédie du chef Par un paradoxe, une présentation laconique qui n’explique rien, un exemple étonnant :  —   Ma fidèle secrétaire est de celles qui prennent leur rôle au pied de la lettre et l’on sait bien que cela signifie passer de l’autre côté, envahir les territoires, plonger les cinq doigts dans le verre de lait pour en retirer un malheureux petit cheveu.                               Julio Cortázar    —   Je m’appelle Laeticia Lizardi et je déteste le chat de ma mère.                       Carlos Fuentes, La Chatte de ma mère                           Le chat aura un rôle central dans le destin de cette héroïne. Notons l’importance du premier mot : Par exemple le « Quand » de Zola dans « la Faute de l’abbé Mouret », une façon de poser le temps comme un socle : —  Quand l’abbé Mouret ne sentit plus la Teuse derrière lui, il s’arrêta, heureux d’être enfin seul.   Le bain progressif L’attaque au cœur de l’action ou l’électrochoc ne sont pas obligatoires, on peut commencer par une introduction classique : description du personnage, du lieu, d’un détail ou de ce qui va être essentiel dans la nouvelle et ainsi créer une atmosphère. Le risque étant que le bain progressif soit un peu émollient ou trop banal . Par exemple, commencer ainsi une histoire qui se passe dans un village peut sembler "naturel"    : « Le village s’étendait sur une vaste superficie de chaque côté de la route », est-ce la meilleur solution ? Commencer par une description ou l’indication du lieu, du temps qu’il fait, mérite, et l'on peut même dire exige, de trouver une formulation originale, à moins que la banalité du début ne soit qu’un piège pour faire entrer sans crier gare dans une histoire extraordinaire. Toutes les stratégies sont permises, mais il vaut mieux en avoir une ! Une description qui « accroche » : —   Cette détestable peinture représente une veillée funèbre sur les bords du Jourdain.               Julio Cortázar, Cronopes —   Dehors, quelqu’un enfonçait des clous dans du bois dur, épais, un homme qui devait bricoler après son travail, vers six heures en juin. Les cerises étaient mûres dans les arbres, les roses entre deux floraisons, un orage avait ravivé la lumière et redonné de l’air à l’aube. On entendait aussi des enfants jouer contre les haies des jardins, devant les portes métalliques des garages où un ballon rebondissait quelquefois, tapage qui déclenchait des jurons, des menaces, criés par les fenêtres ouvertes derrière les stores abaissés là où donnait le soleil encore haut et chaud à cette heure.                Hélène Lenoir, Le Magot de Momm —   Sur un champ de bataille, un de ceux dont personne ne se souvient, là-bas, à la page 47 de l’Atlas où il y a une grande tache jaunâtre avec quelques noms contenant beaucoup de « h, » éparpillé ça et là, on a trouvé l’autre jour, lors d’un sondage effectué en vue d’une éventuelle prospection géologique, on a trouvé un général.                      Général inconnu, Buzzati Une ouverture, une annonce par un détail  ou des détails qui créent une ambiance particulière : —  Les voiles sans mouvements pendaient collées contre les mâts ; la mer était unie comme une glace ; la chaleur étouffante, le calme désespérant.                   La partie de Tric trac de Prosper, Mérimée 3. Intriguer, choquer ? Être obscur Semer un mystère qui sera éclairé ensuite, un commencement énigmatique, un hybride entre « seuil » et « boite noire ». Il s’agit de trouver quelque chose qui étonne : paradoxe, détail insolite, contradiction apparente avec le titre ou le contexte.  Commencer au milieu de nulle part, attisant la curiosité du lecteur qui va avoir envie de continuer pour reconstituer les événements antérieurs qui lui manquent comme ici dans une atmosphère spectrale, presque fantastique. —  Encore une figure blonde qui pâlit, se détache et tombe glacée à l’horizon de ces bois baignés de vapeurs grises.                             Gérard de Nerval, Promenades et souvenirs. — L’extraordinaire arriva lors de ma troisième séance chez Gustav Von Seyfertitz, mon psychanalyste venu d’ailleurs.                   Ray Bradbury, Meurtres en douceur — J’aurais dû prévoir l’étrange explosion.                    Julio Cortázar, Cronopes —  En un certain village d’Écosse, on vend des livres avec une page blanche glissée au milieu des autres. Si un lecteur débouche sur cette page quand sonnent trois heures, il meurt.       Julio Cortázar —  Quelle merveilleuse occupation que de couper une patte à une araignée….                            Julio Cortázar —  « Ça pue le bon Dieu, ici ! »                        Bloy, La Femme pauvre   Une  généralité qui englobe le lecteur : — Qui peut échapper à ce que dit le mot désir ? Ni le vêtement, ni le silence, ni la nuit, ni les fards, ni même les pensées volontaires ne dissimulent tout à fait la honte des fantasmes qui nous affolent. La femme ou l’homme qui implorerait pitié pour son désir implorerait en vain.          Augustina Izquierdo, L’Amour pur La généralité avec le « c’ » le « ça », une généralité intrigante :  — C’était une de ces jolies et charmantes filles, nées, comme par une erreur du destin, dans une famille d’employés.                  Maupassant, La Parure — Ça ne pouvait pas durer toujours. Lullaby le savait bien.                                  Le Clézio, Lullaby  —  C’était comme si personne n’avait entendu.                                Robbe Grillet, Le Voyeur La généralité étonnante, paradoxale : —  On ne meurt pas souvent.                                    Michel Castanier —  Les fourmis mangeront Rome, c’est écrit.                            Julio Cortázar Le récit emboité : quelqu’un raconte ou lit une lettre, un article de presse, répète ce qu’il a entendu… — Je ne sais pas si je vous enverrai cette lettre, je vous en ai déjà écrit trois, mais, ou je me suis…                                              Shuzaku Endô, Le dernier souper   Autres pistes.   -     Par l’introduction directe du personnage central, mais pas à la manière d’un contexte « classique » : lieu, temps… en cherchant une  une forme d'’expression rapide, vive : le contexte est posé de façon condensée.  Entre banalité et proximité, quelque chose se pose ou s’absente dès le début, le personnage est là, mais il échappe, déroute. —  Dès son plus jeune âge, à peine sortie de la prime enfance, Sonietchka s’était plongée dans la lecture. Son frère aîné Ephrem, I'humoriste de la famille, ne se lassait pas de répéter la même plaisanterie déjà démodée au moment de son invention : « À force de lire sans arrêt, Sonietchka a un derrière en forme de chaise, et un nez en forme de poire ! » Malheureusement, il n’y avait pas là beaucoup d’exagération : son nez avait vraiment la forme avachie d’une poire, et Sonietchka, une grande bringue à la forte carrure, aux jambes osseuses et au maigre derrière aplati, n’avait qu’un seul atout : une volumineuse poitrine de femme poussée trop tôt et pour ainsi dire déplacée sur ce corps maigre. Elle rentrait les épaules, se voutait et portait d’amples tuniques, honteuse de cette opulence incongrue par-devant et de cette navrante platitude par-derrière.                           Ludmila Oulitskaïa, Sonientchka  —Le jeudi 24 octobre 1963, à quatre heures de l’après-midi, je me trouvais à Rome, dans ma chambre de l’hôtel Minerva ; je devais rentrer chez moi le lendemain par avion et je rangeais des papiers quand le téléphone a sonné.                                               Simone de Beauvoir, Une Mort si douce : un texte qui témoigne d’une expérience : je et moi sont omniprésents, mais sans se livrer. — Maud ouvrit la fenêtre et la rumeur de la vallée emplit la chambre. Le soleil se couchait.                    La Vie tranquille,  Marguerite Duras — Jérôme est reparti cassé en deux vers les Bugues. J’ai rejoint Nicolas qui, tout de suite après la bataille, s’était affalé sur le talus du chemin de fer.                          Marguerite Duras — Il leur avait semblé à tous les trois que c’était une bonne idée d’acheter ce cheval. Même si ça ne devait servir qu’à payer les cigarettes de Joseph.                     Un Barrage contre le Pacifique, Marguerite Duras — Lol V. Stein est née ici, à S. Thala, et elle y a vécu une grande partie de sa jeunesse.                                Le Ravissement de Lol V. Stein, Marguerite Duras —  Temps couvert. Les baies sont fermées. Du côté de la salle à manger où il se trouve, on ne peut pas voir le parc. Elle, oui, elle voit, elle regarde. Détruire, dit-elle.                                 Marguerite Duras — Un jour, j’étais déjà âgée, dans le hall d’un lieu public, un homme est venu vers moi. Il s’est fait connaître et m’a dit : « Je vous connais depuis toujours. »                                    Marguerite Duras,  L’Amant Un personnage étonnant, une phrase à la fois banale et étonnante —    Voici, accroupi, l’ermite nu qui a dressé contre le soleil le toit de sa chemise tendue entre quatre piquets noueux, le voici accroupi torse nu sur une pierre.                              Botho Strauss   Jeu avec les temps grammaticaux et la chronologie Un travail particulier qui fera l’objet d’un article spécifique : une utilisation ambiguë des temps comme dans l’incipit le plus célèbre de la littérature française : —  Longtemps, je me suis couché de bonne heure.                  Marcel Proust, Du Côté de chez Swann Un autre incipit célèbre, cette fois-ci un jeu avec la chronologie de l'histoire : —  Bien des années plus tard, face au peloton d’exécution, le colonel Aureliano Buendía devait se rappeler ce lointain après-midi au cours duquel son père l’emmena faire connaissance avec la glace.                 Garcia Marquez, Cent ans de solitude   Commencer par une allusion à la suite de l’histoire   Une possibilité intéressante, choisir un début à la fois prémonitoire et dissimulé, une ambiguïté, une ironie qui seront compréhensibles par la suite : en plaçant le mot essentiel, une clé encore indéchiffrable dès le début dans le titre… Une fausse évidence annonce, par opposition, la fin de l’histoire, tout le monde aurait dû de douter… — Simon Delambre n’attendit jamais.                Siloé, Paul Gadenne Début d’autant plus paradoxal que le roman sera le récit de la vie d’attente du personnage enfermé dans un sanatorium !   Chez Maupassant  — Personne de s’étonna du mariage de Maître Simon Lebrument avec Mademoiselle Cordier.                     La Dot — C’était un modeste ménage d’employés. Le mari, commis de ministère, correct et méticuleux, accomplissait strictement son devoir.                   Le Million Une allusion à la fin, le mari incapable de faire un enfant à sa femme, sera « aidé » par un ami qui ensuite sera congédié. Fin de la nouvelle : « et il faut entendre Madame Bonin parler des femmes qui ont failli par amour, de celles qu’un grand élan du cœur a jetées dans l’adultère ». — D’une lettre jetée sur la table s’échappe une ligne qui court sur la veine d’une planche et descend le long d’un pied.                                       Julio Cortázar, Cronopes La nouvelle finit par le suicide de la personne qui a reçu la lettre… Une explication de la situation qui sera lourde de conséquences : —  Avant de mourir, la mère d’Alejandro l’avait prévenu de deux choses.                                Carlos Fuentes,  En bonne compagnie Le détail qui crée la progression, concret/abstrait, détail, vue d’ensemble ou l’inverse, ou encore l'impression de mouvement, d'espace  —  Pendant plusieurs jours de suite des lambeaux d’armée en déroute avaient traversé la ville.                            Maupassant ,  Boule de suif Une négation pour un texte qui veut renverser la vision classique d’un rite : les funérailles — On n’y va pas pour….                                    Julio Cortázar, Cronopes   Du point de vue non plus du sens, mais du rythme Le rythme peut contribuer à la force, au « charme » des premières phrases - des autres aussi d’ailleurs ! La sensibilité que l’on pourrait qualifier de « rythmique » décuple le plaisir d’écriture comme de la lecture. En voici quelques exemples : Une seule phrase courte :  — Je détenais une merveilleuse idée.                     L’idée, Buzzati.  —  L’automne était pourpre.                        —   Les idées importantes en général, vous viennent dans votre jeunesse.                           Buzzati. La construction d’un espace et d’une atmosphère par une phrase courte et des répétitions.   — Elle marche sur le sable. Le sable est gris la plage est blanche et grise. La plage immense.                         La Plage, Annie Saumont Une phrase courte puis une longue —  À peine un chant. Une voix psalmodie sans fin, monotone, un peu sourde perdue dans la masse ténébreuse du château.                            Le Grand Pardon, Marcel Arland Une énigme mise en valeur par le rythme et le passage à la ligne : — Le verrait-on venir ? Tout restait sombre sur le plateau, jusqu’aux premières cimes neigeuses des alpes où, une lueur, sous me ciel nocturne, semblait veiller un autre monde. Une phrase longue puis une courte : — Maud ouvrit la fenêtre et la rumeur de la vallée emplit la chambre. Le soleil se couchait.                                           Marguerite Duras Une phrase à deux moments puis une phrase simple : — « Tel qui rit vendredi… », mais je ne riais pas. J’ai même pleuré. Contraste, rupture entre les deux premières phrases : longue puis courte — Une odeur de gazon écrasé traîne sur la pelouse, non fauchée, épaisse, que les jeux, comme une lourde grêle, ont versée en tous sens. Des petits talons furieux ont fouillé les allées, rejeté le gravier sur les plates-bandes ; une corde à sauter pend au bras de la pompe ; les assiettes d’un ménage de poupée, grandes comme des marguerites, étoilent l’herbe ; un long miaulement ennuyé annonce la fin du jour, l’éveil des chats, l’approche du dîner.  Elles viennent de partir, les compagnes de jeu de la Petite.           Colette, La maison de Claudine — Le cœur serré, non pas par le voyage nocturne, par la maison en deuil ou par le corps rigide, serré par un visage jaune et creux que j’ai à peine reconnu. Celui d’une sœur !        Le Grand Pardon de Marcel Arland — Chambres hautes de la maison, les chambres agrandies par un balcon galbé, où la soie rose était encore lisse sur les fauteuils arrondis, aux carreaux desquelles dans les coins des portes-fenêtres le jour ne voulait plus mourir et où les tables restaient une patte en l’air à cause de la déclivité du parquet. Il descendit de ces chambres jusqu’à la terre.              Jean-Loup Trassard, Paroles de laine   Phrases en écho — Elle me regarde. Regardez…                                        Le Grand Pardon de Marcel Arland : — Qui peut être cette promeneuse, qui débouche, là-haut, d’entre les ormes et les vieux charmes ? Une Parisienne en vacances à Clermont ?   Les possibilités d'incipit sont évidemment infinies et j'ajouterai régulièrement à cet article des exemples qui me semblent proposer des options intéressantes à cette "joie des débuts".    {loadmoduleid 197}

To.pierre

Atelier Hallucination

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Les bijoux de famille

Atelier Superposition des temps

Je descends de voiture avec ma chair mère. J'ai écouté scrupuleusement ses indications, empruntant son itinéraire pour se rendre à la Grande maison comme elle dit. Je la laisse me guider, encore et encore cette fois. Elle vit seule dans un petit appartement en ville, depuis quelques mois. Nous appro...

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343

Atelier sous l'acronyme`

Couloir gris de la fac. Elle se tient contre le mur et dans ses doigts crispés, son téléphone. Autour d'elle, des élèves se pressent. Elle s applique à composer une nouvelle fois le numéro de l'hôpital Henri Mondor avec une répétition de même chiffre 0 800 08 11 11. Son visage est pâle, sa mâchoire ...

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Quatre à deux

Atelier Style de Léon Bloy

Jean-Emmanuel et Marie-Hélène À eux deux déjà : ils sont 4, cherchez l'erreur ! Des saintes, des saints, pas d'esprit… C'est peut être ça l'erreur, une maldonne dès le baptême ! D'abord la Grande Sainte bien nitouche ! Il faut la voir avancer, le dimanche, dans la nef de l'église avec sa bouche endu...

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Train 58762

Atelier Flux de conscience

Place indifférente, sièges râpés Une jeune femme grande avec des écouteurs bien concentrée, une grosse valise sur ses genoux Qu'a - t elle bien pu mettre dedans, elle est jeune, des tonnes de vêtements et de make up ? Le bruit de la porte du train Enfin partie vers la maison L'endroit où je me sens ...

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Textes à redécouvrir

15 décembre 2021
Elles se bousculent, piétinent, certaines essaient de passer devant, moulinent des bras, glissent leurs mains entre les épaules de celles de devant, e...
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9 mai 2023
La coulée délicieuse d'un poison défendu avait ouvert les vannes de son imagination, qui courait sur des horizons qui se dédoublaient, bleu sur ocre, ...
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25 novembre 2020
-Hal, Hal, donne-moi l'accès à la pièce de détente, s'il te plait. Hal, cela fait 32 jours, j'ai besoin d'exercice.-Je pourrais te libérer l'accès 2h ...
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Phrases d'auteurs...

"Si vous avez quelque chose à dire, tout ce que vous pensez que personne n'a dit avant, vous devez le ressentir si désespérément que vous trouverez un moyen de le dire que personne n'a jamais trouvé avant, de sorte que la chose que vous avez à dire et la façon de le dire se mélangent comme une seule matière - aussi indissolublement que si elles ont été conçus ensemble."  F. Scott Fitzgerald

"Le romancier habite les seuils, sa tâche est de faire circuler librement le dedans et le dehors, l'éternité et l'instant, le désespoir et l'allégresse."  Yvon Rivard

" La vie procède toujours par couples d’oppositions. C’est seulement de la place du romancier, centre de la construction, que tout cesse d’être perçu contradictoirement et prend ainsi son sens."  Raymond Abellio

"Certains artistes sont les témoins de leur époque, d’autres en sont les symptômes."  Michel Castanier, Être

"Les grandes routes sont stériles." Lamennais 

"Un livre doit remuer les plaies. En provoquer, même. Un livre doit être un danger." Cioran

"J'écris pour me parcourir. Peindre, composer, écrire : me parcourir. Là est l'aventure d'être en vie."Henri Michaux

"La littérature n’est ni un passe-temps ni une évasion, mais une façon–peut-être la plus complète et la plus profonde–d’examiner la condition humaine." Ernesto Sábato, L’Ecrivain et la catastrophe

"Le langage est une peau. Je frotte mon langage contre l'autre. " Roland Barthes, Fragments d'un discours amoureux 

 

 

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Faire peur au lecteur !
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« L’émotion la plus forte et la plus ancienne de l’humanité c’est la peur, et la peur la plus ancienne et la plus forte est celle de l’inconnu. » affirme H. P. Lovecraft. Mais, sous l’évidence du mot et de l’émotion qui lui est associée, qu’est-ce finalement, la peur ?...

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