Un petit chapeau aux couleurs fanées sur la tête, ce matin-là, comme chaque matin, tenant à la main son cabas duquel dépassaient poireaux, fanes de carottes et plumes de volaille fermière - c'était jour de marché - Albertine Parut poussa de toutes ses forces la lourde porte de l'église, franchit le ...
J'ai le plaisir de vous annoncer que Bernard, qui a participé pendant plusieurs années à mes stages et ateliers, vient de remporter un concours de poésie. Son texte, "La saga chromatique" a été choisi parmi trois cent poèmes. On y retrouve son style pétillant, son art des images inattendues et savoureuses. Bravo pour ce succès mérité et merci pour ce plaisir de lecture !. Le voici.
La saga chromatique
Il alluma une poignée de mots
Les posa sur le piano
Il ouvrit la malle
Il y avait un vieux rêve de bois rouillé
Mais les notes étaient parties
Il ne restait que des os blancs et noirs
Et une figurine de terre muette.
Il se mit à jouer, doucement
À la lueur des mots
D'où venaient les notes, où allaient-elles
Il ne savait pas
Il ouvrait la musique avec les doigts
Enlevait la cicatrice
Et les notes sortaient grenues perlées
Flot ininterrompu
Et coulaient par la blessure du piano
Que la mer léchait
Comme un chien lèche ses plaies.
Il jouait sans savoir où aller
De fugue en fugue
De routes en horizon
Il jouait dans les rues de la ville
Il jouait au-delà des murs vides
Vous ne me reconnaissez pas, demandait-il aux passants
Cela fait deux-cent-cinquante ans que je joue cette fugue chromatique
Mais les gens passaient
Le visage creusé dans la brume
Et les notes roulaient sur les trottoirs
Comme des larmes noires
Il jouait d'île en île, de galet en galet
Au repaire des vents
Aux grandes orgues du corail blanc
De temps en temps il se levait sur la pointe des pieds
Prenait une gorgée d'air entre deux vagues
Et continuait de jouer
De vague en vague
Le piano échoué sur la plage
Coquillage nu
Habité des crabes et des harpes marines
Cathédrale engloutie
Les phares dévoraient les navires.
Et pendant qu'il jouait
Le sable coulait de ses poches
Grain à grain
Sur le sol, le ciel, les pins
De dune en dune
Il jouait l'écriture d'une abeille
Le fil d'une hirondelle
La marche lente d'un scarabée sur le sable
Et la musique suivait
Note à note, trace à trace
Perpétuelle sonate.
Une mouette posée sur le piano
Les rêves éparpillés sur la grève
Il joue