Un petit chapeau aux couleurs fanées sur la tête, ce matin-là, comme chaque matin, tenant à la main son cabas duquel dépassaient poireaux, fanes de carottes et plumes de volaille fermière - c'était jour de marché - Albertine Parut poussa de toutes ses forces la lourde porte de l'église, franchit le ...
Ses petits pieds tendus sur leur pointe, le ventre appuyé contre le lavabo, elle regarde son reflet, surprise, pose sa main à plat sur le miroir comme pour le toucher, puis déforme son visage, écarquille les yeux, gonfle les joues, tord sa bouche dans tous les sens, tire la langue pour toucher son nez. Brusquement, elle détourne les yeux et s'arrête devant la tablette où sont disposés les tubes, les poudres, les flacons de sa mère, de deux doigts elle attrape avec précaution le tube noir tout au bout, le dernier de la tablette, elle en enlève le capuchon et fait remonter doucement le tube en tournant le socle. Alors son visage se rapproche du miroir, se tend vers son reflet, elle ouvre la bouche comme si elle allait manger une glace, étire les lèvres en un sourire forcé, attrape le bâton qu'elle tient maintenant serré dans sa main et commence à le faire glisser.
Aussitôt le rouge arrive, un rouge vif, éclatant, elle s'arrête, se redresse, observe le résultat ; la tâche rouge au milieu de son visage la fait sourire, elle ferme les yeux, puis les ré-ouvre, reprend son geste, s'applique, les sourcils froncés, concentrée, la main tient le tube, remonte le long de sa lèvre supérieure qui se laisse faire et mollement accompagne le mouvement avant de retrouver sa place; elle s'y prend par petites touches, revient en arrière quand le rouge n'est pas assez vif, avance doucement, elle essaie de ne pas dépasser, recommence, le rouge s'étale, dans la lumière de la salle de bains il n'y a plus que cette flaque rouge qui brille au milieu de son visage ; elle touche sa lèvre, ça colle, elle frotte son doigt sur son pyjama puis hésitante, passe sa langue, sent le goût, mais s'arrête aussitôt.
Alors, comme elle a vu cent fois sa mère le faire lorsqu'assise sur la corbeille à linge, fascinée, elle la regardait se maquiller, elle presse ses lèvres l'une contre l'autre, les soude presque puis les fait se froncer, se rassembler et se tendre comme pour un baiser. Un baiser rouge que sa mère lui envoyait à travers le miroir, lorsqu'elle la quittait, le soir.