Sa déambulation baroque, colosse barbu porté par son caddy, animait tout le quartier. Je craignais son apparition, démarche incertaine, marin bousculé par une mer houleuse. Il fendait sans un regard le flot des voitures, capitaine au long cours à la recherche d'un port d'attache, insensible aux clam...
La première fois où elle le vit elle ne remarqua ni son élégant costume bleu marine, ni le foulard de soie dans le col de sa chemise blanche, ni même son parfum dont pourtant il s'apergeait avec générosité avant chaque sortie en société. Non, ce qu'elle remarqua ce sont ses poignets. Plus exactement le poignet droit car il était assis à sa gauche et elle l'avait quasiment sous le nez. C'était un poignet d'un blanc mat, sans poils apparents, fin et nerveux, tantôt caché, tantôt dévoilé suivant le glissement de son bracelet montre en acier brossé. Le mouvement avait quelque chose d'hypnotique. Elle avait lâché la conversation qui bruissait autour de la table, le phraseur et casse pieds diplômé en face d'elle s'étant emparé de la parole avec l'intention évidente de ne plus la quitter, elle saisit cette occasion de fuite qui lui était offerte. Avec reconnaissance ! Elle voguait loin du salon drapé de velours couleur aubergine et de la table aux porcelaines brillantes. Elle était partie sur une île grecque, se perdait dans un ciel bleu céruléum, elle voyait des statues de marbre aux gestes déliés, des corps de pierre douce et blanche comme de la craie, des mains aux doigts volontaires, des poignets fragiles. Fragiles ? Oui, fragiles, à demi cachés dans l'ombre des formes. Qui dit caché dit prêt à surprendre, mystérieux avec quelque chose de nouveau qui peut attiser un désir…
- « Vous nous avez quittés il me semble ? » proféra la voix du porteur de poignet
Là, elle tourna la tête et plongea dans un tout autre bleu, celui de ses yeux. Plus de céruléum mais un violet profond, pas de ciel d'été mais une atmosphère d'orage. Cela ne l'effraya pas, elle n'était pas femme à redouter les gros temps. Et puis elle s'ennuyait tellement… Une conversation s'engagea, à mi voix, en marge du brouhaha excessif, presque un chuchotement, des propos sans importance mais très doux et cette douceur lui plut. Il posait beaucoup de questions, ses mots rebondissaient avec agilité,il cherchait à connaître ses goûts et cela la flatta. S'étant un peu approchée de luielle se mit à percevoir son odeur qui était forte et pénétrante. Elle avait déjà senti ce parfum mais n'arrivait pas à mettre un nom sur cette fragrance pourtant connue. Elle cherchait sans trouver et pendant ce temps le célèbre jus développait tranquillement son don d'envoutement. Il finit de la séduire.
- « Allons, se dit elle, ce diner trop conventionnel pourrait avoir un heureux dénouement... »
Et puis vint le temps ou elle sut sans hésitation que « Terre » d'Hermèsétait le parfum de l'homme. Partout où il passait son sillage le suivait, le parfum l'annonçait. Elle avait appris à le reconnaître, d'abord attentive, pleine d'espérance, émue, et puis quelques mois après craintive et pleine d'angoisse. Le poignet droit, le beau poignet qu'elle avait adoré quisubtilement diffusait le parfum dans chacun de ses geste, ce poignet droit savait aussi frapper. D'un revers de main il guidait les gifles avec précision, avec une méchanceté raffinée, assurée, implacable !