Sa déambulation baroque, colosse barbu porté par son caddy, animait tout le quartier. Je craignais son apparition, démarche incertaine, marin bousculé par une mer houleuse. Il fendait sans un regard le flot des voitures, capitaine au long cours à la recherche d'un port d'attache, insensible aux clam...
Mollement, elle déplace son corps parfait, ses interminables jambes rehaussées d'un cul à damner tous les saints, se saisit du porte manteau et récupère sa chasuble bleu marine, qu'elle endosse, et, qui soudainement, lui donne cet air de béatitude vertueuse; elle noue ses longs cheveux bruns, puis les enferme dans un mis bas avant de coiffer son voile blanc, se regarde dans la glace, perfectionne sa moue d'enfant de Marie, dissimule les derniers petits cheveux récalcitrants, et la sculpturale Nadège est devenue inopinément mystique, modèle de pureté, transformée en sœur Emmanuelle.
Elle saisit les mocassins en cuir, avachis, déformés par des centaines de pieds, nappe l'intérieur de talc, y ajoute quelques gouttes d'huile essentielle de menthe poivrée, repose les godillots, s'assoit, et, pour meubler l'attente, commence à pianoter sur son portable, tout en lorgnant du coin de l'œil son acolyte, qui, assise au sol en tailleur a revêtu l'accoutrement d'infirmière qui a le don de quintupler sa sensualité ; tout en vapotant lascivement, les yeux mi-clos, ses lèvres s'articulent en un murmure imperceptible.
Entre deux inhalations aux saveurs d'eucalyptus, CHIARA, dite Barbara se saisit de son petit miroir, réajuste son rouge à lèvres corail dans un petit rictus boudeur, remet un peu de noir sur ses yeux et discipline ses longs cheveux sous sa coiffe de soignante, pendant qu'affalé dans un fauteuil, stéthoscope autour du cou, les yeux rivés sur son portable, les boutons de sa blouse de docteur sans cesse menacés d'explosion à cause d'une bedaine rebondie, la jambe gauche animée de soubresauts traduisant une agitation interne, Fred est le Dr Mueller, qui tente laborieusement de contenir son stress.
Lovée dans un fauteuil éculé, indifférente, impassible, casque vissé sur les oreilles, les yeux fermés, Laura, ou plutôt Angela, dodeline la tête tout en fredonnant des borborygmes inaudibles.
Son air désinvolte, détaché est un leurre, un artifice qui tente de masquer une angoisse, une frayeur qui croit de plus en plus.
Un peu à l'écart, assise sur un tabouret, Sophie désormais Berthe, a revêtu son tablier, dont les couleurs défraîchies par les années, lui donnent ce petit air vieillot de cache-poussière parfait pour son attribution ; elle affiche une inhabituelle sérénité et placidité, en tant qu'aïeule prétendument atteinte de la maladie d'Alzheimer, ce qui la fait plutôt sourire, et l'absout des éventuels oublis de parole ; elle chambre amicalement Coco qui s'est réincarnée en Louise, durant sa séance de méditation. Assise en position du lotus, paumes de mains sur les genoux, le buste droit, elle invoque le dieu GANESH qui dans son extrême bienveillance, et dans un but purement thérapeutique, lui évitera confusions et quiproquos.
Un bruit de couloir, des enjambées nerveuses qui fendent l'air, puis s'abattent brutalement sur le carrelage, une porte qui s'ouvre avec rage, surgit Monsieur Paul, le MAITRE !
Son regard d'aigle balaye les corps alanguis, qui se sont soudainement redressés suite à cette brutale apparition.
Il fustige, ses prunelles noires balaient tous les coins, scrutent, fouillent, la bouche entrouverte, la lippe pendante, se dirige vers les toilettes, en revient bredouille, puis hurle « où est Benjamin ? »
On se regarde, on s'interroge en silence, on consulte nos téléphones, on ne sait jamais, un message ; non rien, et Benjamin notre Ramirez, qui manque à l'appel.
La panique nous gagne, personne ne parle mais les visages sont anxieux, préoccupés, tracassés.
On échafaude en catimini un plan B, mais Monsieur Paul fait les cent pas, ses yeux perçants semblent disséquer chacun d'entre nous, il écume de rage ; plus que 15 minutes !
Son hydrophobie est à son paroxysme, il prend sa tête dans ses mains, essaye d'envisager une solution.
Nous restons muets, interloqués, interdits, les bras ballants, incapables de faire le moindre geste.
Une porte qui claque, une foulée ardente, la flamme de l'espoir dans tous les regards qui convergent à l'unisson vers le vantail, et IL EST LA !
Balbutiant une excuse à peine phonique, il se dépouille de ses nippes, qui roulent en boule à ses pieds, se saisit de sa tenue, enfile la chemise bleu ciel, qu'il boutonne avec diligence, attrape la cravate bleu marine ; Laura se précipite pour lui faire le nœud, il passe ses deux mains dans les cheveux, l'une après l'autre pour les mettre en arrière, et enfile le képi de la gendarmerie nationale, il est prêt.
Il nous regarde, pantois, un sourire gêné au coin des lèvres :
« Excusez-moi je me suis endormi ».
Progressivement, le bourdonnement environnant s'estompe pour laisser place au silence.
Monsieur PAUL, enfin calmé, mais loin d'être rassuré, saisit le moment pour nous gratifier de ses dernières instructions.
Alors le brigadier tonne ses 3 coups, puis dans un bruissement le rideau noir s'ouvre.
Ce soir on joue RIFIFI A L'HOPITAL