Un petit chapeau aux couleurs fanées sur la tête, ce matin-là, comme chaque matin, tenant à la main son cabas duquel dépassaient poireaux, fanes de carottes et plumes de volaille fermière - c'était jour de marché - Albertine Parut poussa de toutes ses forces la lourde porte de l'église, franchit le ...
Je ne peux vraiment pas faire de toi mon amie. Non ! Comment être amie avec une femme sur qui je ne peux pas compter, qui m'accorde ou me refuse son aide de façon imprévisible ?
Faire de toi une amie, alors que tu disparais pendant de longues semaines à tel point que je me mets à douter de ce que tu m'as permis de découvrir ?
Que faire d'une grande absente, qui se fait désirer, que je ne peux toucher ?
Que faire lorsque tu te fais silencieuse, inconsistante, transparente, rasant mes murs ? Tel un fantôme.
Une amitié avec toi alors que tu aimes rester libre de venir ou pas, que tu ne tiens pas compte de mes désirs ? N'y pense pas !
Te voilà trop fantasque, trop proche de la folie.
Pourtant, je me met parfois à te chercher.
Pourquoi ? Tu le sais bien. Je ne veux pas d'une vie banale, réaliste. Je veux que tu m'offres encore et toujours des miroirs dans lesquelles j'entrevois de merveilleux aspects de moi- même. J'apprécie à sa juste mesure lorsque tu me déguises, m'habillant d'accoutrements qui me rendent méconnaissable. J'aime tant quand tu transformes un objet, en un instant, en quelque chose d'unique, de merveilleux, quand tu m'emmènes dans un lieu inconnu de tous sauf de toi, où j'ai soudain l'impression d'avoir déjà été.
J'aime trop les beaux voyages que tu me permets de dégoter, les découvertes incroyables que tu me fais faire.
Alors comme je viens de le dire, je me mets à te chercher.
Je fouille, je fouine, je chine…
Je te cherche dans des mots prononcés, dans des histoires qui me sont racontées, dans un bistrot sur le coin d'une table voisine ou de la mienne…
Souvent sans succès.
Du coup, je cesse de m'acharner, je finis par entendre ton silence et m'occupe à autre chose ; je n'insiste pas, je n'insiste plus.
Ce n'est pas ton jour, ce n'est pas ta semaine, tu as mieux à faire ailleurs, tu as trouvé un hôte plus plaisant, ô femme infidèle.
Mais je te connais bien. Tu peux d'un instant à l'autre, d'un jour à l'autre, te changer en une visiteuse impromptue, lumineuse.
Tu peux pousser la porte à toute heure du jour. Tu entres alors et t'imposes, éclatante. Dès ce moment-là, tu deviens une femme que j'aime. Une amie. Oui, parce que tu passes de la distance à la proximité, voire à la générosité. Ainsi, soudain, tu es là quand je ne t'attends pas, tu me surprends, tu m'épastrouilles, tu fonds sur moi, tu t'imposes, tu t'affirmes soudain au détour d'une conversation, d'une image. De telle façon que je ne peux que t'accueillir. Quand tu es là, je retrouve mon âme d'enfant, je suis celle qui découvre le monde comme si tout était la première fois. Je me consacre à toi, comme à un bébé affamé, j'arrête tout, au risque que tu ne m'échappes et que je t'attende à nouveau pour un temps non défini.
Tu ne me facilites cependant pas la tâche parce que si je peux parfois t'accueillir avec bonheur, certaines fois ta présence m'encombre, m'importune parce que je suis à autre chose, parce que je suis indisponible. Je voudrais te dire de partir mais tu installes ton campement, tu jettes l'ancre.
Quand tu me rends visite la nuit et que tu entres dans ma chambre, tu te fais rarement discrète. Tu me réveilles alors et à peine sortie de mes limbes, je sais que c'est toi. J'allume ma lampe à tâtons, m'assieds sur mon séant, attrape mon carnet et mon porte-plume qui sont là sur ma table de chevet et je te couche sur une page blanche. Je t'enroule, te déroule, te souligne, je t'embobine, je te love. Je te prends, que tu sois une rédactrice qui vient à moi sous forme de mots, une archéologue qui a déterré un souvenir, une réminiscence, je te prends quand tu es une magicienne qui m'aide à transformer les images, les couleurs et les odeurs en mots, une marionnettiste qui tient les fils attachés à chacun de mes doigts et qui me fait écrire quelque chose que je ne connais pas de moi. Chaque fois, je te traite de la même manière. Je te consigne. Tu m'enchantes et soudain me fais peur. Tu me mets en joie, tu m'effraies. Tu me nourris ou tu me désespères. Te voilà brouillonne ou ordonnée. L'effet que tu me fais est quelque fois si vif que je te sens réelle. Mon cœur s'envole alors, dans une succession de battements d'aile que je sens dans ma poitrine et qui me font mal tant ils sont puissants. Je me tourne et me retourne alors dans mon lit, côté droit, côté gauche. J'essaye de te chasser. Mais tu restes. Depuis le temps que tu me connais tu devrais pourtant savoir que j'ai besoin de sommeil. Mais tu n'en tiens pas compte. Côté droit, côté gauche. Je te répète, imagination chérie, autant je suis ravie quand tu arrives, autant je suis contente quand tu t'en vas. Ne le prends pas contre toi. C'est comme ça !
Et puis, quand enfin tu te calmes, je me rendors. Je rêve même parfois de toi. Tu es alors une équilibriste, fragile sur ton fil, une remailleuse qui tise des liens entre les fils de ma vie et celle des autres, une inventeuse, une préparatrice mélangeant des poudres diverses, une interprète reconstruisant une histoire dans une langue qui est la tienne et que je découvre, surprise…
Tu fais plusieurs métiers mais qui nécessitent chacun des capacités à évoquer, assembler, lier, transformer des matériaux, les combiner pour finalement inventer et créer des personnages, des lieux, des événements, des histoires...
Et enfin, j'oubliais de dire que ton sport préféré n'est certainement pas la course de fond, la marche ou le vélo. Cela te demanderait trop de constance, de persévérance.
Je ne vois d'ailleurs pas quel sport pourrait te convenir.
Mais, si je peux me permettre ce conseil, des passes temps qui pourraient te nourrir serait de te passionner pour des faits divers, des documentaires et enfin de lire jusqu'à plus soif.
Anouk.
Février 2022.