Sa déambulation baroque, colosse barbu porté par son caddy, animait tout le quartier. Je craignais son apparition, démarche incertaine, marin bousculé par une mer houleuse. Il fendait sans un regard le flot des voitures, capitaine au long cours à la recherche d'un port d'attache, insensible aux clam...
L'hiver s'est installé. Au loin, les premières lueurs du jour éclairent tendrement le sommet des montagnes enneigées. Tout doucement la ville se réveille. Les cheminées des vieilles bâtisses se mettent en marche, laissant s'échapper des masses de fumée blanche sous le regard des oisillons encore endormis. Au détour d'une petite ruelle, j'aperçois en contrebas, la devanture éclairée de Madame André. Accueillante et chaleureuse, je peux entendre les grincements de l'embrasure qui s'activent sous les pas des premiers clients.
D'un pas décidé, je m'engouffre à mon tour dans la boutique. L'odeur des viennoiseries me transpercent les narines. Je hume à plein poumon cette odeur si sournoise qui envoûte tous mes sens dès les premiers instants.
Comme chaque matin, après avoir caressé des yeux une multitude de pâtisseries les plus appétissantes les unes que les autres, j'opte pour un traditionnel pain au chocolat. Impatiente à l'idée de savourer ma friandise, je décide de m'installer dans un recoin de la boutique, où quelques tables ont été dressées pour le petit-déjeuner.
Après m'être confortablement installée, je déballe soigneusement ma sucrerie sur la table. Mes doigts parcourent avec avidité la fine couche craquante du pain au chocolat.
Le temps s'est arrêté. Je suis plongée dans un profond silence où seul le feuilletage gratiné du pain au chocolat se fait entendre. Je me demande par quel bout commencer. Le beurre encore chaud dégouline sur le long de la serviette. Mes yeux brillent d'une étincelle que seuls les gourmands peuvent comprendre.
Excitée à l'idée de croquer dans cette pâte tendre et briochée, je savoure avec joie ce moment éphémère. Mon influx nerveux se gonfle à l'approche de la tentation. Mon estomac en ébullition, se resserre à chaque pensée. Je sens le mouvement de mes dents s'aiguiser au contact de ma salive acidulée. Je n'arrive plus à me contenir. Il faut que je le goûte.
Je porte à mes lèvres une première bouchée. Mes papilles s'affolent. Elles reconnaissent le goût ensorcelant du pain au chocolat. Des picotements à l'intérieur de ma bouche viennent libérer le goût du chocolat fondu. Les brisures fondent sous ma langue m'entraînant ainsi dans un tourbillon de saveur, imbibé d'un plaisir intense. Un gémissement de satisfaction vient parfaire ce moment de plénitude. Mes cellules s'expriment et en redemandent. Encore et encore. Mes mâchoires se contractent sous la montée d'adrénaline. Mon corps entier vibre sous l'impulsion salvatrice de chaque zeste qui s'écoule le long de mes parois digestives. Je me délecte de chaque portion croustillante riche en acides gras. Je déglutis avec une telle rapidité, que les bouchées s'enchainent les unes après les autres.
Me voilà rassasiée, ai-je pensé.
Après une ultime bouchée, j'observe en silence les miettes éparpillaient de ma gourmandise. Je peux encore sentir son odeur sur ma bouche édulcorée.
C'est fini pour aujourd'hui, pensais-je.
Reprenant mes esprits, je me dirige vers la sortie pour reprendre le chemin du travail. Une autre journée commence.