Sa déambulation baroque, colosse barbu porté par son caddy, animait tout le quartier. Je craignais son apparition, démarche incertaine, marin bousculé par une mer houleuse. Il fendait sans un regard le flot des voitures, capitaine au long cours à la recherche d'un port d'attache, insensible aux clam...
Elle rêvait… Par la fenêtre ouverte, elle sentait le vent, elle respirait l'odeur de la mer, elle s'en imprégnait, se laissait emporter – grisée. Elle partirait un jour, elle le savait.
Depuis l'enfance, elle était bercée par les récits de voyage de son père, par les mots magiques qui leur étaient attachés et qu'elle entendait comme des trésors qu'il aurait ramenés de cet ailleurs.
Elle était jalouse de toutes les rencontres qu'il faisait sans elle, de ces gens à qui il parlait lorsqu'elle n'était pas avec lui, de cette facilité qu'il avait à adopter le langage des autres.
Lorsqu'il rentrait, elle ne savait plus qui il était, son père ou toutes les figures qui l'habitaient. Elle sentait encore sur lui la multiplicité des visages qu'il avait croisés et à qui il avait donné de l'eau. Elle entendait le bruissement des femmes, leurs rires qui l'entouraient, le long murmure qui l'accompagnait. Elle aurait voulu entrer dans ce regard qui ne la voyait pas, encore tourné vers le fleuve, à l'aube de ces matins de pêche.
Elle ne savait pas pourquoi il partait toujours. Comme si c'était son rôle de père, d'être toujours ailleurs, loin, avec d'autres et à elle, son rôle de fille, de le chercher, de le rêver, de l'attendre.