Je me souviens de Mario, le locataire de mes parents. De nature immuablement heureuse, il comblait de vie le fond de notre cour. Il était de ces hommes rudes aux traits gravés par les intempéries et aux mains rabotées par le mortier. Chaque maison, chaque construction avait imprimé sa marque dans l'...
Son refuge tape et grince à un rythme régulier. Le réveil a été brutal, un choc, une vibration qu'elle ressent jusque dans son ventre. Le long glissement de l'eau sur la coque est immédiatement suivi de la grande claque de l'étrave qui retombe dans un grésillement de braises mouillées. Son corps et son esprit restent à l'affût du moindre son, du plus petit changement d'humeur, tonalité, pause dans l'effort, court silence puis reprise d'une respiration haletante.
Elle se lève, enfile ses bottes et va boire debout devant le petit évier. Bien campée sur ses deux pieds, elle reste là à rêver un peu, à écouter les légers coups de gong des casseroles et le tintement des verres bousculés par la mer qui grossit.
Sortie sur le pont, une bourrasque farceuse emporte ses cheveux dans un tourbillon soyeux, il fait beau. Assise à l'arrière, elle surveille la voilure d'un blanc étourdissant. La toile claque avec un son mat, épais, d'une rassurante solidité. La baume gémit dans un balancement régulier, puis crie de douleur alors que le vent forcit. La mer joue d'un tambour sombre sur la coque, puis soudain la vague crépite et se noie vers l'arrière. Une tempête se présente au loin, nuages bas et claques de vent sur les crêtes devenues grises. Elle enfile un ciré jaune, raide et grinçant comme une serrure rouillée. Les premières gouttes giflent le pont, éclatent en multiples pétards sur ses épaules. La rumeur grandit, c'est une foule qui gronde et se rapproche. La clameur emporte tout, dans un opéra grandiose aux multiples partitions, le chœur des rouleaux d'écume, le fracas des cuivres et des percussions et elle, chef d'orchestre de cette tragédie antique, défiant la mer face à ce crescendo vertigineux. La tourmente l'empoigne et l'étreint dans un tourbillon sonore qui l'enserre de tous côtes. Les pulsations ralentissent, s'apaisent, une armistice se présente. Le vent qui hurlait sa rage à la face du monde reprend un dialogue plus civil, puis se met à chuchoter de petites phrases courtes dans un doux vibrato.
Épuisée, elle ferme les yeux et se laisse aller un instant, elle savoure ce silence habité après le cataclysme qu'elle vient d'affronter. Mais c'est un silence peuplé de tous les retours au calme du moment ; glissement des cordes sur le métal, légers cliquetis le long du mât, soie de l'eau sur les flancs, soupirs du vent qui murmure et souffle doucement sur son visage, comme pour faire oublier tous ses débordements.
Un texte vivant, sensible et très inventif écrit dans le cadre de l'atelier sur les paysages sonores. De la tempête à la "soie de l'eau", nous sommes projetés dans un univers maritime au travers des sons, un bel exemple de cette autre façon de se saisir d'un paysage (le terme étant ici pris dans un sens très large) !