Bienvenue sur le blog de mes stages et ateliers  d'écriture !

Textes écrits par des participants à mes ateliers et à mes stages d'écriture, manifestations littéraires, concours... 

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Marc Antoine B.
01 décembre 2025
Textes d'ateliers

Il lève la tête, jette un oeil par l'aveuglement de la fenêtre et se repent aussitôt : le vert du jardin l'appelle ! Pour tailler, arracher, faner, émonder, ramasser, éclaircir, composter, alors rouge d'ampoules et de jurons, mal à la main, le carpien, s'apitoyer sur soi, foutu jardin. Pourtant le v...

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Invité - Claire Pasquié Aimable
12 novembre 2025
J'ai beaucoup apprécié l'écriture et la composition. Les mots voisins sont amenés avec virtuosité si...
Sylvie Reymond Bagur Aimable
10 novembre 2025
Une troublante et inquiétante composition à deux voies explorant les nuances des synonymes du mot Ai...
Invité - Malclès Anne-Marie To.pierre
23 octobre 2025
Bravo, ce texte m'a beaucoup touché, la tension est magnifique ainsi que le thème.Anne-Marie Malclès

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09 novembre 2025
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 « Un mot n’est pas la chose mais un éclair à la lueur duquel on l’aperçoit. » Denis Diderot   Usage littéraire du dictionnaire des synonymes L'usage des listes de synonymes est une pratique courante, l'on peut même dire générale dans l'écriture littéraire. Cette évidence recouvre toutefois des objectifs et des recherches très diverses ; finalement, sous l'évidence du geste de saisir un dictionnaire des synonyme,  semble demeurer quelque chose d'insaisissable…   Usage classique du dictionnaire de synonymes L'idée que l'on peut se faire un peu superficiellement des synonymes et que l'on retrouve dans une conception "journalistique" du style les limite à un outil pour éviter les répétitions : ce seraient des mots différents voulant dire la même chose et l'on pourrait ainsi substituer l'un à l'autre pour ne pas user deux fois le même terme, ce qui sous-entend que l'on pourrait changer un mot sans modifier la phrase.   La définition du mot "synonyme" extraite du Grand Larousse (1978) de la langue française est plus nuancée  :  Se dit de deux ou plusieurs termes appartenant à la même catégorie (substantifs, adjectifs, verbes ou adverbes) et qui ont entre eux une analogie générale de sens, avec souvent des nuances différentes d’acception, particulières à chacun d'eux.   Si l'on se place dans une perspective littéraire, il est évident que les mots ne sont pas interchangeables, évidence que l'on rencontre à chaque lecture un peu attentive d'une liste de synonymes. Les synonymes ont un sens voisin : «approximativement le même sens», mais chacun a ses particularités. Notre sujet sera donc de chercher en quoi consiste  ce "voisinage" et ces "particularités" et quel profit peut tirer l'écriture de l'exploration des listes de synonymes. Je me servirai dans les exemples notamment des synonymes du mot "débauché" avec lesquels j'ai écrit un texte qui en articule les nuances : arsouille, bambocheur, biberon, cavaleur, cochon, corrompu, coureur, crapuleux, cynique, dépravé, dérangé, déréglé, désordonné, dévergondé, dévoyé, dissipateur, dissipé, dissolu, don Juan, drille, fêtard, fripouille, godailleur, grivois, immoral, impudique, incontinent, indécent, ivrogne, jouisseur, lascif, libertin, libidineux, licencieux, loupeur, lovelace, luxurieux, mauvais sujet, noceur, orgiaque, paillard, perdu, pervers, polisson, porc, putassier, relâché, ribaud, ribleur, riboteur, roué, ruffian, satyre, sauteur, sensuel, sybarite, truand, vaurien, verrat, vicieux, viveur.   Usage des synonymes dans l’écriture littéraire Chercher le mot juste Les écrivains sont peut-être plus souvent à la recherche d’un mot que d’une phrase, c’est dommage, car la phrase et le mot sont les deux lieux de l’aventure littéraire, mais c'est ainsi, les écrivains sont en quête du fameux "mot juste" : ils cherchent un synonyme pour mieux coller à leur idée, ce mot dont on sent intuitivement l’existence, le mot le plus adéquat à ce que l’on veut dire, le plus précis, une formule s'impose ici, l'on cherche "le mot qui nous manque".    Enrichissement du sens Mais ce mot manquant était-il vraiment préexistant à la liste qui ne serait alors qu'un aide-mémoire ?   La multiplicité des synonymes qui se côtoient dans la liste permet de repérer des nuances supplémentaires et bien souvent d'affiner l'idée originelle. Par cette "offre" de mots qui s'étalent sous nos yeux, par leurs ressemblances, mais surtout par leurs différences, leurs écarts, leurs perspectives différentes, le dictionnaire des synonymes élargit notre vocabulaire et le nuance. L'art de la nuance n'est-il pas l’un des gages d'une écriture littéraire de qualité ? La liste de synonymes, cette petite totalité, diverse, mais réunie autour d’un élément simple apparait comme est une belle métaphore du travail d’écriture, notamment celle d’un paragraphe. Ainsi, avec comme mot de départ "débauché", la liste déploie tout un éventail de possibilités de débauches différentes par leurs différences de sens, mais pas seulement.   Chaque mot recèle un ou plusieurs sens premiers au sein desquels les synonymes correspondent à :   - des changements de niveaux de sens : entre l'ivrogne et le libertin   - des changements de réalité : entre le drille et le vicieux   -  une diversité de champs d’application  :entre le fêtard et le truand   - des sens "figurés" (le cochon), des sens neutres (le sensuel), positifs (le drille), négatifs (le vicieux) : des synonymes qui jugent, évaluent qualifient, d'autres qui ne sont que factuels.   - des registres ou niveaux de langue (familier/soutenu) : la "fripouille" versus le "Don Juan" ou encore le "putassier" versus le "sybarite".   - des variations d’intensité : le polisson versus le satyre.   - des mots plus abstraits, plus généraux comme "immoral" qui diverge du très concret "incontinent".   - des mots riches en sensations visuelles : le lascif qui évoque une posture est plus évocateur que le dérangé.   - différents potentiels expressifs : neutralité de "perdu" versus expressivité agressive du "putassier".   - des mots vagues (mauvais sujet) ou plus précis (orgiaque).    L'écrivain choisit un mot pour ce que l'on appele son "halo sémantique" : un sens  précis, mais aussi un imaginaire associé, car chacun est porteur de connotations différentes : émotionnelles, sociales, historiques... La diversité de la liste fait apparaître l’idée de contexte associé, le mot n’est jamais seul. La liste des synonymes rend compte d’un effort pour cerner le sens, les nuances et les contextes.   Dans une partie importante de la liste des synonymes du mot "débauché" surgit tout un imaginaire très XIXe (paillard, bambocheur...) qui évoque les tavernes et les lieux mal famés des vieilles villes industrielles, tandis que d'autres tel libertin ou Lovelace évoquent une débauche plus aristocratique, d'autres encore comme ivrogne sont moins marqués historiquement. Si la  "maison" est simple et neutre, son synonyme le "logis" a quelque chose de campagnard et de suranné, tandis que le "foyer" évoque la chaleur familiale et  le "manoir" marque une réussite sociale.   La diversité de la liste fait apparaître l’idée de contexte associé, le mot n’est jamais seul. Le choix entre "regarder", "contempler" ou"dévisager" dépend du rapport entre celui qui regarde et celui qui est vu. Le noceur implique tout un contexte de fêtes, le Don Juan des procédés de séduction et des relations homme-femme particulières. Ainsi Proust choisit parfois "mélancolie" parfois "tristesse" ou encore "spleen" : "mélancolie" dans un contexte de douceur rêveuse, "spleen" s'associe plus nettement à une angoisse de type baudelairien, "tristesse" accompagne une émotion plus visible. Il faut faire attention à ce contexte, parfois la polysémie se mêle aux synonymes : "ennui" n'a pas le même sens dans un contexte existentiel ou dans une histoire factuelle.   Différences de sens, de contexte, mais aussi réception différente : on sent intuitivement que chaque synonyme produira un « effet » différent sur le lecteur offrant la possibilité avec un mot de moduler le ton ou l'atmosphère du texte : le cynique évoque une stratégie intellectuelle, une psychologie, ce qui n'est évidemment pas le cas du porc !   Le langage crée de multiples différenciations, elles-mêmes affinées par les usages passés. L’ensemble des synonymes est comme une palette dans laquelle chaque mot apporte sa nuance : du polisson au satyre se déploie tout un échantillonnage variés et fleuris de débauches.  Ainsi, parmi les synonymes d'"éblouissement" -qui évoque une lumière et garde la possibilité d’une dimension de découverte- l'on rencontre Étonnement, de moindre intensité, plus banal, moins concret. "Aveuglement" marque une perte, ajoutant une nuance négative et suscite une image de fermeture.   Il existe aussi une différence de sonorités qui semblent renforcer la sensation d'ouverture de l'éblouissement, un mot qui semble se déployer, à contrario de la  fermeture de l'aveuglement. "Emerveillement" dépasse l’idée de lumière et de vision, il évoque une pénétration de l'esprit lui-même. Dans la même liste, le mot vertige va encore plus loin dans les enjeux sous-jacents et interroge : mon éblouissement était-il un vertige ? Fascination crée un enjeu supplémentaire, une fixité qui se teinte de dépendance.   Cet exemple nous amène à une autre dimension de la liste des synonymes, celle de la forme même du mot, de son apparence, de ses sonorités, de cette zone de rapport aux mots dans lequel "éblouissement" se distingue par sa matérialité sonore, la dimension poétique de l'écriture.     Dimension poétique du choix parmi les synonymes Mot court, mot long ? Douceur ou percussion des consonnes, ouverture ou fermeture des voyelles ? Recherche d'euphonie (harmonie des sons ou  d'allitérations (répétition de consonnes) ? Mots rares, sonorités particulières ? Les synonymes offrent la possibilité de moduler la musique et le rythme du texte.   On peut choisir le "libidineux" pour sa plastique écœurante ou le "verrat" pour ses consonnes et sa brièveté. Le Lovelace, mot rare aux consonances délicates joue une tout autre musique que le "ruffian". Ainsi s'il faut choisir entre "reflet" et "chatoiement", tout un monde de sensations et de sonorités sépare ces deux synonymes.Les synonymes permettent de créer une texture sonore particulière qu'elle soit recherche d'unité, d'harmonie ou au contraire de percussion et de rupture.   Si le choix d'un synonyme contribue à enrichissement stylistique et à la précision conceptuelle, il existe ce que l'on appelle une densité spécifiquement poétique de cerains mots qui seront choisis parmi les synonymes, car ils condensent plusieurs idées en seul mot :  Chercher un synonyme de Lune peut conduire à choisir entre l'astre et la clarté nocturne  : "Astre" évoque la lumière céleste et le mystère cosmique."Clarté" condense la douceur et la pureté d’un éclat nocturne. Chez Baudelaire : "ennui", "spleen" et "langueur"  condensent chacun un état d'âme distinct.   Ces synonymes, en un seul mot, ouvrent des mondes d’images et de sensations typiques de certains registres poétiques. On retrouve ici le principe poétique mallarméen du "mot juste", celui qui permet d'atteindre le maximum d'économie expressive.   Pour un usage créatif de la liste de synonymes Une liste de synonymes est bien plus qu'une palette de mots, l'on s'y promène dans une arborescence d'idées, de sons et de pistes lexicales qui stimulent l’imaginaire. La liste n’est plus ce sac dont on tire le mot qu'on cherchait, ou découvre un mot qui apporte une nuance supplémentaire, elle devient un support de création. Elle met en évidence les ambiguïtés et la complexité que comporte le mot -et donc l’idée d’origine- possibilités passées jusque-là inaperçues, d'autres thèmes liés à celui d’origine, passage du sens propre au figuré, du concret à l’abstrait et vice versa par exemple…   Au fur et à mesure de la lecture de la liste, on cherche, on s’interroge sur ce que l’on cherche, quelque chose de purement intuitif se joue dans cette aventure de mots. Des envies se précisent, des possibilités inattendues sont déclenchées par les comparaisons entre les synonymes, entre les nuances qui s'y révèlent, leurs sens non attendus.   Les synonymes font surgir des images, des contextes, des associations, des sensations, des idées… Se met à jour une autre source d'inspiration : ne plus partir uniquement des idées, des images, des émotions, mais partir des mots.   Ainsi en cherchant les synonymes de "curiosité", l'on croise "appétit", "désir", mais aussi "étrangeté" : et l'objet ou le personnage curieux se teinte soudain de mystère... La confrontation dans la même  liste de "regret", rapport nostalgique au passé et de "remords" qui porte le poids d'une responsabilité morale peut changer la perspective d'écriture d'un récit. La liste des synonymes ouvre la recherche, dépasse son point de départ, offre une nouvelle idée, une nouvelle possibilité, un véritable changement de thématique auquel on n’avait pas pensé.   Synonymie et stratégie d'écrivain Toute une stratégie d'auteur se met en place de façon plus ou moins consciente ou spontanée. Au-delà du nécessaire choix entre les différents synonymes pour éviter les doublons et les clichés, une individualité  stylistique, un lexique personnel se dessinent : mots appréciés, absences de mots qui déplaisent, choix d'un nveau d'intensité et d'expressivité, choix d'un niveau de langue, de l'importance accordée ou pas à la dimension sonore et rythmique...   L'écrivain peut décider de puiser dans les termes rares ou archaïques pour surprendre, dépayser le lecteur ou rattacher son texte au passé ainsiFlaubert dans Madame Bovary préfère utiliser "splendeur"  plutôt que "beauté" pour sa connotation aristocratique et ironique. Inversement, l'on peut privilégier les termes neutres. Profusion verbale, économie de moyens, plaisir ou transparence des mots... chaque écrivain se sert des synonymes pour marquer son style et, réciproquement, son style s'individualise, se développe au travers de ce travail de choix de mots.   Les enjeux d'écriture dépassent parfois le choix d'un mot isolé :  le dictionnaire fournit des suites synonymiques comme feu → flamme → brasier → incendie qui  peuvent être utilisés pour moduler l'intensité dans tout un développement provoquant un effet de crescendo ou de diminuendo. Par exemple, Rimbaud dans les Illuminations alterne "flamboyant", "ardent", "incandescent" pour un effet de lumière progressive.   Ou encore Mérimée dans "La double méprise" : "La nuit donne à tout une teinte lugubre, et les images qui le jour seraient indifférentes ou même riantes, nous inquiètent et nous tourmentent la nuit. Une espèce de fantasmagorie intérieure nous trouble et nous effraie.    Cf. mon texte avec les synonymes de "débauché" qui est construit sur cette progression à l'échelle de toute l'évolution d'un personnage. Ce texte répondant à la gageure d'utiliser tous les synonymes de la liste, il use et abuse des synonymes dans un style un peu XIXè de par les mots eux-mêmes, il produit  un effet "thésaurus" qui peut sembler artificiel ( tendance critiquée par Flaubert) mais qui dans ce cas particulier découle de la contrainte quasi oulipienne qui sous-tend son écriture.   Une autre stratégie d'auteur consiste à travers les synonymes à jouer sur les registres et l'intertextualité.Un synonyme peut citer implicitement un autre texte ou un registre (poétique, technique, argotique...) et créer des "échos intertextuels" ou des "effets de décalage". Par exemple, chez Queneau dans Zazie dans le métro, "gnangnan" (synonyme familier de "mielleux") parodie le langage sentimental tandis que Umberto Eco décrit, dans le Nom de la Rose, un moine enquêteur  comme un "observateur sagace" ou un "interprète des signes" pour faire référence, de façon implicite, au Sherlock Holmes de Conan Doyle .   Exemple d'exploration de la synonymie avec le verbe « Tenter ». Étymologie : Il existe un lien évident entre l'histoire du mot et sa synonymie. Les synonymes nous racontent une histoire, celle du mot et de ses évolutions : on peut rêver à ce mot-personnage qui change peu à peu, dévie, se précise et s’amuser à faire vibrer ces sens perdus pour mieux comprendre les enjeux des sens contemporains. XIIs. tempter Deu « demander à Dieu des effets de sa toute-puissance, sans nécessité » 1125 « solliciter (quelqu’un) à une chose défendue » 1355 « mettre à l’épreuve quelqu’un »;« faire l’essai de quelque chose »1275 « inspirer le désir de faire quelque chose » 1316-28 « exciter le désir » Mil. xves. « chercher à séduire » 1559 tenter la fortune 1550 « essayer de mener à bien quelque chose » (Ronsard, Odes) ; 1623 estre tenté de + inf. « avoir tendance de ». 1704 terme d’escrime. Du lat. temptare « toucher, tâter ; faire l’essai ou l’épreuve de ; essayer »  Voici les 48 synonymes et les contraires de ce verbe ainsi que des définitions (incomplètes):  Affriander: (Littéraire) allécher, attirer Affrioler: Attirer, allécher ; exciter le désir de (qqn). Aguicher: Exciter, attirer par des manières provocantes. Allumer: idem Allécher: Attirer par la promesse d'un plaisir. Ambitionner: Rechercher avec ardeur une chose jugée supérieure. Amorcer: Garnir d'un appât; attirer. Appâter: Garnir d'un appât-Attirer (un animal) avec un appât. Attacher: Faire tenir (à une chose) au moyen d'une attache, d'un lien. Attirer: Tirer, faire venir à soi. S’aventurer: S’exposer avec un certain risque. S’engager dans une aventure, dans une tentative difficile et périlleuse. Captiver: Attirer et fixer (l'attention) ; retenir en séduisant. Charmer: 1. Exercer une action magique sur . 2. Attirer, plaire par son charme. Chercher: Aller au-devant de quelqu'un ou de quelque chose; rechercher avec intensité, vouloir. Coiffer : ART MILIT. [En parlant de stratégie] Coiffer un objectif; coiffer l'ennemi. L'atteindre par ses tirs; prendre d'assaut ses positions. Courir: Rechercher vivement, poursuivre assidûment Couvrir: Couvrir qqn de bienfaits, de bontés, de compliments; couvrir qqn d'éloges, d'injures Dire: déclarer quelque chose à quelqu’un ses sentiments. Faire de l’oeil ou donner dans l’oeil: (Familier) Faire une impression vive sur quelqu’un par des agréments extérieurs. Ensorceler: Soumettre à une forte emprise qui le captive, comme par un sortilège. Exercer sur quelqu'un une forte emprise, un grand pouvoir de séduction. Entraîner : Emporter avec soi. Emporter, pousser quelqu'un vers quelqu'un ou vers quelque chose sous l'effet d'une influence irrésistible. Entreprendre: Tenter de séduire ; Harceler, attaquer Envoûter : Exercer à distance une influence maléfique sur une personne par l'intermédiaire le plus souvent d'une figurine à son effigie ou d'une autre représentation symbolique. Exercer un ascendant proche de la fascination sur la volonté, l'esprit, les sentiments. Essayer: Mettre à l'épreuve les qualités ou la convenance de quelque chose avant de l'adopter définitivement pour l'usage habituel; faire les premiers pas, gestes, etc., en vue de réaliser, dans la mesure du possible, un projet qui a quelque chance de réussir. Exciter: Susciter, provoquer (une réaction d'ordre physique ou moral); mettre en branle (un processus physique ou psychique). Exciter qqn à qqc.: Le pousser fortement (à une action, à un comportement). Éveiller le désir sexuel. Expérimenter: Éprouver, apprendre, découvrir par une expérience personnelle. Ressentir brutalement une sensation, un sentiment qui pourrait à l'avenir servir de leçon. Fasciner: Exercer un attrait irrésistible, soumettre à sa domination par la puissance du regard. Éblouir, charmer vivement, plaire. Gagner: Obtenir (les dispositions favorables d'une personne ou d'un groupe de personnes) Goûter: Éprouver un sentiment, une sensation agréable. Éprouver un plaisir, le savourer le déguster. Hasarder: Entreprendre (quelque chose) malgré l'incertitude du résultat. Entreprendre une action dont l'issue incertaine implique un risque. Hypnotiser: Provoquer l'hypnose chez un être vivant Intéresser: Faire que quelqu'un soit concerné par quelque chose, qu'il y ait intérêt; l'impliquer dans quelque chose, le mêler à quelque chose (généralement pour qu'il agisse, intervienne) Inviter: Engager, inciter quelqu'un (à), porter à, pousser à. Magnétiser: Soumettre un être vivant à l'action d'un fluide magnétique. Paralyser une proie comme par magnétisme. Exercer un grand ascendant sur quelqu’un Miser: Escompter la réalisation, la réussite de quelque chose ou de quelqu'un. Oser: Entreprendre (de faire, de dire quelque chose) avec audace Plaire: Être agréable à quelqu'un, être une source d'agrément, de satisfaction pour quelqu’un. Pousser :Exercer une pression physique pour provoquer un déplacement. User de sa force pour obliger quelqu'un à se déplacer ou à céder la place. Risquer: Exposer ou être exposé à un risque. S’aviser de: Concevoir, imaginer. Se mettre dans l'esprit une idée inattendue ou étrange et la mettre à exécution. S’efforcer de: Mettre en œuvre toutes les capacités, tous les moyens dont on dispose pour atteindre un but précis, pour vaincre une résistance ou surmonter une difficulté. Prendre sur soi, se contraindre. Tâcher d'atteindre un but précis. S’ingénier : Faire preuve d'ingéniosité; se donner du mal pour parvenir au but recherché S’évertuer: Faire des efforts, se donner beaucoup de peine. Solliciter: Chercher à obtenir (une faveur, une grâce ou un droit) d'une manière instante, par des démarches auprès d'une autorité compétente ou d'une personne influente. S'adresser à quelqu'un en faisant appel à lui d'une manière instante, afin d'obtenir une aide, une faveur ou un avantage. Prier de, inciter à consentir à faire quelque chose. Séduire: Convaincre en mettant en œuvre tous les moyens de plaire. Détourner du droit chemin, du bien. Attirer de façon irrésistible. Tâcher de : Faire des efforts, faire son possible pour. Taper dans l’oeil: Au XVIIe siècle, on disait d'une femme qui plaisait à un homme qu'elle lui "donnait dans la vue". Le passage du verbe "donner" à "taper" se serait effectué au milieu du XIXe siècle, donnant ainsi plus de force à l'expression. "Taper dans l'œil de quelqu'un", c'est l'éblouir, beaucoup lui plaire. Eprouver : 1 Soumettre une (ou la) qualité d'une personne ou d'une chose à une expérience susceptible d'établir la valeur positive de cette qualité. 2 Faire sur soi-même l'expérience, généralement forte ou profonde, d'une chose.      La version moderne de" tenter" semble partie loin de l'idée de départ de "tempter dieu par des prières", mais il en reste une sorte de subtrat qui s'est démultiplié. Une lecture attentive montre la possibilité de regroupements de sens :   - un groupe de synonymes se réunit autour de l’idée d’expérimentation    qui va jusqu’à l’aventure - un autre vers la séduction, l’envoûtement jusqu’à la sorcellerie - un autre insiste sur la dimension de risque…   Le schéma ci-dessous rend visible cette organisation des synonymes de « tenter » : certains sont proches et nuancent la même idée, d'autres s’éloignent, ils représentent des sens différents comme "s’aventurer" par rapport à "aguicher" !    La liste de ses synonymes cartographie des voies principales, susceptibles de nombreuses nuances, mais aussi des voies annexes : à l'intérieur de chaque sens éloigné, il existe des différences de sens, mais aussi de niveau de langue, d’intensité, de plaisir des mots, de sonorités…    Au-delà du plaisir de la découverte, ces « bouquets de synonymes » nous racontent les « efforts » de la langue pour explorer la réalité aussi bien que les idées, pour cela la langue repère des analogies, des oppositions, des images, des parallèles, des extensions... À partir d’un seul mot, des dizaines de liens possibles sont tracés pour tenter de saisir quelque chose du réel dans sa complexité et sa diversité.   Comme l’écriture, la liste rend compte de la tentative humaine de se repérer avec les mots. Les mots ne sont pas des entités isolées en relation avec un objet unique, ils sont mobiles, comme le montre bien le schéma, ils créent des réseaux, ils dessinent une image du monde et de notre imaginaire d’autant plus utile qu’ils sont plus fluides.    Le texte partage avec la liste de synonymes un fonctionnement de « tête chercheuse ». En effet, qu’est-ce qu’écrire un texte sinon partir d’une vague intuition, d’une idée, d’une image, d’un mot, d’une sensation pour en suivre l’aventure, les méandres ? À partir d’un point de départ confus, le texte, comme la liste de synonymes, propose une cartographie. Il cerne, contourne, projette ailleurs dans plusieurs directions, s’éloigne, creuse, surprend.   Conclusion Le dictionnaire des synonymes n'est pas pour l'écrivain un simple répertoire de substituts, il permet de sculpter la phrase, d'afffirmer un style et une intention avec une précision quasi musicale, en jouant sur les infinies variations du sens.  La liste des synonymes est une belle métaphore du travail de l’écriture d’un paragraphe par exemple : une petite totalité, diverse, mais réunie par un élément simple.   La fréquentation des listes de synonymes fait prendre conscience des multiples possibilités lexicales et permet de s'approprier de nombreuses qualités de vocabulaire. Les synonymes, par leur proximité et par leurs écarts, expriment quelque chose du réel, des émotions ou des sensations. Souvenons-nous pour terminer que chaque langue découpe le réel de façon différente : les Inuits disposent de près de quarante mots pour décrire la neige là où nous n’avons que "la neige" et "la poudreuse".   Il est intéressant de croiser plusieurs dictionnaires des synonymes : par exemple Larousse pour lune vision moderne, le Littré pour une vision plus historique de la langue et de profiter de la facilité d'accès des dictionnaires en ligne. Je recommande notamment  :    CRISCO  et     CNTRL    {loadmoduleid 197}   
08 novembre 2025
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Il s’appelait Cristo De Soude, il avait la peau décapante d’un blanc de pierre ponce et de talc à reluire. Assis sur un banc vert salace, il la regardait depuis peu. Elle, Léontine Aux Oiseaux, taille d’anguille aigue-sanguine, robe rouge, peau de pécheur, cheveux en toile caramel étoilée d’un filet roux de cassonade, pupille samba du Brésil, faisait, comme chaque jour, à cette heure vermeil, le salut au soleil. Adepte du yoga des cimes, elle s’efforçait d’effiler sa silhouette déjà fort fine sur la pointe de ses pieds couleur vernis de chevalet de peintre en paysages lointains. Cristo voyait luire ses ongles, dix petits firmaments vert sombre tendus vers l’astre aux couleurs de chocolatine et de croissant : c’était l’heure du petit-déjeuner et Cristo, affamé de Léontine, voyait déjà flamber sa robe rouge cerf-volant, suspendue au bout du cintre noir litière de son sombre appartement.Il hésitait. Ne pas bouger, admirer le camaïeu de cette femme-promesse étalée dans les mordorées que le soleil ne manquait pas de lui renvoyer ? Finalement, il attendit.Elle saluait l’astre qui répondit d’un charmant rayon réglisse, — Pour vous sertir !Léontine salua plus bas tandis qu’une trainée de bave astrale glissait, affable, affaiblissant le piquant de l’étoffe de sa robe trop rouge pour la saison.Lassé d’assister aux échanges entre la lumière solaire et le soleil cher à ses yeux, Cristo s’avança. Il marchait ardemment sur le chemin aux teintes rosée-du-matin, se laissant attirer par l’odeur de pistache que répandait le souffle oblong de Léontine au divin nom. Chaque pas ayant sa couleur, de la plus froide à la fournaise, une palette de douleurs cassait son élan alezan. Sur son chemin de croix, l’olive s’oxydait en vert laurier d’épines et Cristo blanchissait sous le glaive de son désir cireux de l’embrasser. Il s’approchait. Il s’en chauler. Leucocytait. Déglobulait. S’enfarinait. Se déprimait en lactescent déliquescent. Le parc, nu de tout autre vivant, lui paru d’un vert esseulé, et le noir curieux des troncs d’arbres prenait le vieux reflet jauni des mille et une nuits des amoureux transis. Il avançait, le gris le corrodait, l’asphyxiait, et, comble pour un fils De Soude, le caustiquait.Le rouge magmatique de la robe coulait vers les zones secrètes et blettes de sa sensualité naissante, zones cyanosées de sens unique, jaunes de peur de déplaire et blanches comme sa figure de futur éconduit. Son cœur violine pulsait la sarabande du condamné au noir perpétuel. Enfin, frôlant du bout des doigts l’extrémité de son écharpe en fil gris purgatoire, il vit le visage bistré de sa divine virer nuance baie de citre. — Vous décolorez ma journée avec vos airs de fer à souder ! Choqué, souffrant, Cristo la dessouda en mille morceaux de couleurs qu’il serra très fort sur son cœur. Pleura avant de les jeter en arc-en-ciel de ses regrets et sans remord, dans la terre de pain brulé, il finit par les enterrer en ballottines bleu-Léontine.   Sylvie Reymond Bagur      {loadmoduleid 197} 
06 novembre 2025
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Utilisation des couleurs chez les auteurs surréalistes Chez les surréalistes, l'écriture de la couleur se fait au travers d'associations de mots inédites, d'images inattendues. Il ne s'agit plus seulement de checher à qualifier, d'aider le lecteur à se représenter une teinte, mais de revendiquer une prise de liberté par rapport au réalisme, une liberté du Verbe visant à révéler une "réalité absolue" selon la formule d'André Breton. La couleur devient l'objet d'une interprétation suggestive, parfois d'une pure fantaisie. Si le vocabulaire des couleurs, leur imaginaire sont utilisés par les surréalistes de façon dérangeante pour convoquer l'imaginaire, les couleurs et leur écriture renouvelée cherchent, plus classiquement, à matérialiser une émotion, un enjeu amoureux, une sensation qui dépasse la couleur. Et c'est par l'utilisation notamment de synesthésies, de textures, de mouvements que la couleur devient la manifestation de forces cachées notamment psychiques. Les surréalistes revendiquent de trouver leur inspiration du côté de l’inconscient et des rêves, leurs textes témoignent aussi d'un travail dans lequel les couleurs sont traitées comme des éléments poétiques au sens de motifs rythmiques et sonores comme en témoigne  "Les fantastiques roses rousses de l’orage" de Paul Éluard   La couleur chez Paul Éluard (1895-1952) Paul Éluard, écrivain à l'origine du surréalisme aux côtés d'André Breton, utilise les couleurs pour tisser des métaphores amoureuses et cosmiques. Couleurs vivantes, paradoxales, creusets de fusions incongrues, une utilisation que l'on peut relier à l'écriture de la couleur chez Michel Castanier qui parsème ses textes de couleurs mouvantes, changeantes selon les humeurs, couleurs charnelles et parfois même, toxiques. - L'exemple le plus célèbre de Paul Éluard reste : "La terre est bleue comme une orange". Cette association en apparence absurde ajoute à la formule désormais classique de la planète bleue ( le bleu comme couleur dominante de la Terre vue du ciel) l'imaginaire du fruit : rotondité qui s'offre, brillance et vivacité joyeuse de l'orange, imaginaire du jus et de la pulpe, de la saveur, relief de  la peau granuleuse de l'agrume...  L'image, onirique, défie la perception réaliste, invite à une liberté imaginative qui enrichit la perception du globe terrestre, un effet fruité qui agit à l'inverse du "vert pomme, champignon vénéneux" de Michel Castanier où la couleur se recouvre d'une dimension hallucinogène et dangereuse. Autres exemples d'expression de la couleur chez Paul Éluard : - Couleurs pour évoquer l'aimée :  « Tes yeux sont des soleils verts qui éclatent en pluie d’or sur mes paupières fermées. »  Capitale de la douleur (1926)  « Ton corps est un ciel bleu où volent des oiseaux de lumière bleue plus bleue que le bleu. » L’Amour la poésie (1929)   - Dans "Le désert est une abeille", une couleur implicite, le jaune de l'insecte se fait couleur de sable implicite et s'associe à la vibration du vol de l'abeille pour créer une impression de vitalité paradoxale, de mouvement et de couleur. Ces images, comme chez Michel Castanier, mêlent couleurs, mouvements, activités et textures ou phénomènes inattendus réactivant et renouvelant le pouvoir évocateur de la couleur.   La couleur chez André Breton (1896-1966) Fondateur du surréalisme, André Breton intègre les couleurs dans des flux poétiques inspirés des rêves et de l’hypnose, flux souvent marqués par des contrastes intenses. Il use des métaphores comme des maquillages, des approches masquées de couleurs-personnages ou des forces actives et secrètes qui font écho aux descriptions de Michel Castanier dont les couleurs "coulissent", "dissolvent" comme des substances chimiques et peuvent être "brisées" comme du verre.  - Dans le poème  "Le Trottoir de pelure d’orange", poème extrait du recueil Le Revolver à cheveux blancs (1932), Breton évoque "la poésie au fard rouge sur une mer toute brune.". L'on retrouve dans le titre le lien texture / couleur ainsi que l'idée de couleur par la forme avec cet usage insolite de pelure d'orange. Remarquons la personnification de la poésie "au fard rouge" et une façon de faire fonctionner la couleur par rapport aux autres couleurs : le rouge apparait sur un fond tout brun. - Autre exemple : Dans le recueil  "Clair de terre" (1923), "l’aurore boule de neige des jardins nordiques" construit autour d'un moment particulier, quasiment boréal, un univers de couleurs, d'hiver et de géographie.   - Nadja (1928)  :« Les vitraux de la rue de la Huchette étaient d’un bleu si violent qu’ils semblaient saigner dans la nuit. » Breton humanise la couleur et  dramatise l'impression colorée qui se fait intensité et même microfiction.   La couleur chez Louis Aragon (1897-1982) Louis Aragon, écrivain surréaliste jusqu'à son adhésion au communisme, utilise les couleurs dans des descriptions urbaines oniriques. Les couleurs participent à l'atmosphère trouble des lieux et symbolisent le chaos moderne.   - Exemple de cet usage de la couleur dans "Le Paysan de Paris" (1926). Aragon décrit des passages parisiens disparus avec des "lumières orangées comme des fruits pourris" ou des "bleus électriques de néons hallucinés" : fusion violente de couleurs artificielles et de matières organiques en décomposition que l'on peut rapprocher du "gris de plume arrachée" ou au "violet d’ecchymose boréale" de Michel Castanier.   - Les couleurs se font mouvements ; de nouveau, la couleur dépasse la description pour devenir scène de couleur  :   « Les enseignes clignotaient en rouge acide, un rouge qui suintait comme une plaie ouverte sur le trottoir. »  « Le bleu tombe en pluie lourde sur la ville, un bleu si dense qu’on le boit à grandes gorgées. » Le Mouvement perpétuel (1925)     La couleur chez Robert Desnos (1900-1945) – Expression du sentiment amoureux par la couleur :  « Tes lèvres : deux éclats de pourpre électrique qui crépitent dans le silence. » À la mystérieuse (1926) « Ton regard : deux lames de lumière jaune soufre qui coupent l’ombre en tranches sanglantes. »  « Tes cheveux : cascades de nuit violette où s’accrochent des lucioles orange. » Fortunes (1942)   – Couleur texture pour évoquer un état intérieur : « Le ciel est un papier bleu déchiré par des étoiles en feu rouge. » Corps et biens (1930)     – Couleur mouvement, couleur sonore : « La mer crachait des vagues d’un vert phosphorescent qui grésillait comme du métal en fusion. » Calixto (1928)  : « Le soleil se lève en boule de feu turquoise, éclaboussant les toits d’un rose électrique. » Domaine public (1953)  :   Quelques inventions colorées de Boris  Vian Essentiellement des rencontres de mots  pour des teintes détonnantes : mais  or bleu   -    argent sablé  -    cuivre rouge blanc    -     améthyste vert-noir     -    pourpre de Cassius    -    vert de vessie    -   bleu de chrome   -   fer bleu.  Et puis  "L’or vert", qui  était déjà chez Eugène Fromentin !    La couleur chez d'autres auteurs proches ou héritiers du surréalisme Ces auteurs ont en commun le refus de la description réaliste au profit d’associations libres et perturbantes qui privilégient le surgissement spontané. La couleur chez Benjamin Péret Benjamin Péret (1899-1959) est un poète français. Figure majeure du surréalisme aux côtés d'André Breton, engagé dans le mouvement dès 1921, il participa à ses revues, il fut également un trotskiste militant. Poésie automatique, humour noir corrosif, imagerie érotique et onirique débridée, rejet de la logique rationnelle caractérisent son style dont l'ouvrage emblématique s'intitule Le Passager du transatlantique (1921).   Deux exemples où l'on retrouve la dimension active, vivante de la couleur : –   « Les nuages rougissaient en hurlements orangés, crachant des éclairs violets sur la mer d’émeraude. » Le Gigot, sa vie et son œuvre (1934) –   « Un bleu hurlant jaillit des fissures du mur, un bleu qui mord et qui saigne des éclairs. » De derrière les fagots (1934)    Deux extraits courts de livres de Benjamin Péret. Son style se caractérise par l'idée de flux continu, non ponctué, répétitif, hypnotique et hallucinatoire avec quelques éléments de couleur :   - Soleil route usée pierres frémissantes Une lance d’orage frappe le monde gelé C’est le jour des liquides qui frisent des liquides aux oreilles de soupçon dont la présence se cache sous le mystère des triangles, mais voici que le monde cesse d’être gelé et que l’orage aux yeux de paon glisse sous lui comme un serpent qui dort sa queue dans son oreille parce que tout est noir les rues molles comme des gants les gares aux gestes de miroir les canaux dont les berges tentent vainement de saluer les nuages et le sable le sable qui est gelé comme une pompe et projette au loin ses tentacules d’araignée aux couleurs du jour qui se lève et les arbres aux feuilles de sang et de vin et les maisons aux portes de chair et de poisson et les fenêtres aux yeux de feu et les cheminées aux bouches de glace et les toits aux cheveux de flamme et les murs aux ongles de corail et les fondations aux dents de lait et les greniers aux cerveaux de miel et les caves aux cœurs de plomb et les jardins aux veines de lait et les fleurs aux lèvres de soufre et les fruits aux narines de poivre et les racines aux oreilles de sel et les branches aux doigts de sucre et les troncs aux langues de poil et les bourgeons aux cils de poix et les épines aux paupières de diamant et les ombres aux poumons de cuivre et les reflets aux reins de mercure et les échos aux testicules de zinc et les silences aux ovaires d’étain et les parfums aux ventres de verre et les couleurs aux sexes d’acier et les formes aux sexes de bois et les sons aux sexes de pierre et les odeurs aux sexes de chair et les goûts aux sexes de feu et les touches aux sexes de glace et les pensées aux sexes de vent et les rêves aux sexes de nuit et les souvenirs aux sexes de jour et les espoirs aux sexes de mort et les désirs aux sexes de vie.   - Près d’une maison de soleil et de cheveux blancs une forêt se découvre des facultés de tendresse et un esprit sceptique Où est le voyageur demande-t-elle Le voyageur forêt se demande de quoi demain sera fait Il est malade et nu Il demande des pastilles et on lui apporte des herbes folles Il est célèbre comme la mécanique Il demande son chien et c’est un assassin qui vient venger une offense La main de l’un est sur l’épaule de l’autre C’est ici qu’intervient l’angoisse une très belle femme en manteau de vison Est-elle nue sous son manteau Est-elle belle sous son manteau Est-elle voluptueuse sous son manteau Oui oui oui et oui Elle est tout ce que vous voudrez elle est le plaisir tout le plaisir l’unique plaisir celui que les enfants attendent au bord de la forêt celui que la forêt attend auprès de la maison de soleil et de cheveux blancs celui que la maison attend auprès de la forêt celui que le voyageur attend auprès de la forêt et de la maison celui que l’assassin attend auprès de la main sur l’épaule celui que la main attend auprès de l’épaule celui que l’épaule attend auprès de la main celui que l’angoisse attend auprès de la belle femme en manteau de vison celui que la belle femme attend auprès de l’angoisse celui que l’esprit sceptique attend auprès de la forêt et de la maison de soleil et de cheveux blancs. LES JEUNES FILLES TORTURÉES      La couleur chez Philippe Soupault (1897-990) On retrouve l'exploration du lien entre couleur et texture :  – Les Dernières Nuits de Paris (1928) :« La lune était jaune citron, si jaune qu’elle coulait en filets gras sur les toits noirs. »   La couleur chez René Crevel (1900-1935) Un développement qui reprend et bouscule la formule d'Éluard :  "Le monde est bleu comme une orange Mais la lune est rouge comme une tomate Et les nuages sont des éléphants volants Qui pleurent des larmes de mercure sur les toits de zinc."   La couleur chez Valentine Penrose (1899-1978) Synesthésie et fantaisie ! "Dans la chambre aux murs verts de lichen   Un oiseau sans plumes chante une mélodie de feu  Ses yeux sont des perles noires qui absorbent la lumière Et le lit se tord comme un serpent avalant sa queue dorée."     La couleur chez Georges Hugnet (1906-1974) Microfiction en festival de couleurs : "Les fleurs de papier poussent sur les trottoirs gris Leurs pétales jaunes suintent un miel de sang rouge Et les passants les cueillent pour en faire des boucliers Contre la pluie qui tombe en éclats de verre bleu."   La couleur chez Marcel Lecomte (1900-1966) Fantaisie poétique... "La mer est un chat noir aux moustaches blanches Qui lèche les vagues roses de l’aube Et dans ses yeux verts flottent des îles de corail Où les poissons dorment en rêvant de nuages."    La couleur chez Paul Nougé (1898-1967) Absurde et poésie : "Sous le pont aux arches violettes Un fleuve de vin blanc coule à rebours Les poissons y nagent en costumes verts Et les étoiles se noient comme des bulles rouges dans l’eau."   La couleur chez Joyce Mansour (1928-1986) Des couleurs en aplats : "Mon corps est un désert de sable rouge Où poussent des cactus aux épines bleues Et le vent y souffle des roses noires Qui saignent du miel jaune sur ma peau."    On peut conclure de ce trop bref panorama que, si comme l'on pouvait s'y attendre, les surréalistes expriment la couleur en multipliant les rencontres improbables de mots, ils ont également recours à des figures comme la synesthésie - notamment par des effets sonores, des personnifications, les couleurs animent leurs textes par de multiples pratiques stylistiques qui mettent les couleurs en mouvement.      {loadmoduleid 197}
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Cher Monsieur

livre-prix Atelier Ironie

Nous avons bien reçu votre manuscrit et nous vous remercions de l'avoir adressé aux éditions du Vent.

Malgré des qualités indéniables, nous n'avons pas été suffisamment convaincus par votre texte pour vous en proposer une publication.

Bla, bla, bla…bla…bla…bla…

Nous vous prions de croire, Monsieur, à nos regrets ainsi qu'à l'assurance …..et patati etpatata….

17 Avril

Et voilà, encore un refus ! Tu parles de regrets … ! Quelle hypocrisie ! Je le sais bien qu'il a des qualités indéniables mon manuscrit, c'est moi qui l'ai écrit ! Je sais bien que ce n'est pas un texte qui se donne facilement.

Aujourd'hui tout le monde regarde son nombril et s'imagine que délayer ses pleurs et ses miasmes par écrit c'est faire de la littérature, chacun se prend pour le nouveau Proust.

Moi je n'écris pas pour être dans l'air du temps ou pour répondre à ce que l'on attend de moi. J'ai seulement un peu d'exigence envers moi-même et surtout envers La Littérature ! Bien sûr, cela demande au lecteur un peu d'efforts pour entrer dans le texte, cela exige un peu de concentration et d'attention pour ouvrir son esprit à d'autres pensées que la sienne.

Aujourd'hui, tout doit être simple, il faut écrire au présent, faire des phrases courtes, sujet-verbe-complément, pas plus, et surtout pas de polémiques mais de l'émotion à gogo !

Ça dégouline ! Je déteste ça !

Je reconnais que mon texte était peut-être un peu trop dense, trop difficile. Une seule phrase, peu de ponctuation, ça a sans doute été jugé provocateur. Ils n'ont rien compris évidemment, j'ai l'habitude … ! Pourtant d'autres l'ont déjà fait avant moi. Gabriel Garcia Marquez, Virginia Woolf …pas des moindres… ! Je ne me compare pas à eux, mais quand même ! Les éditeurs croient que les lecteurs ne sont pas prêts à ça ! Et après on me reprochera de ne m'adresser qu'à une élite ! Je n'y suis pour rien si je suis en avance, après tout n'est-ce pas la mission de l'écrivain : Eclairer !

Comment faut-il que j'écrive pour être lu ?

Ces refus à chaque fois, c'est d'une humiliation !

19 Avril

C'est Nathalie en voyant ma colère et ma déception qui m'a suggéré de tenir ce journal ; selon elle ça pourrait m'aider à comprendre pourquoi ces refus, parce qu'évidemment

celui-là n'est pas le premier. Je dois en être à 4 ou 5, je ne sais plus. Et elle, elle doit en avoir marre aussi, parce qu'à chaque fois, on y croit tous les deux.

Moi, je m'y vois bien. Dans un tiroir de mon bureau, j'ai déjà le Mont-Blanc pour les signatures dans les librairies. Et puis… je me demande si j'accepterai le Goncourt, je n'ai pas encore tranché. Ça pourrait être vu comme une compromission de plus.

Attention à ne pas aller trop loin !

Elle, Nathalie, elle est plus terre à terre. Ce qu'elle attend, c'est le fric que ça va rapporter, je sais qu'elle en a marre de notre deux-pièces, elle me le répète assez souvent.

Je ne l'écoute pas toujours, mais là, je l'ai fait. Elle a peut-être raison, on verra bien.

Et puis, écrire un journal, c'est pas trop difficile, les mots viennent tout seul, j'ai pas besoin de me torturer à chercher un sujet puisque le sujet c'est moi.

Je pourrais peut-être le publier ensuite, c'est la mode aujourd'hui de publier son journal d'écriture, les notes qu'on prend, les ratures, les réflexions qui montrent les difficultés de la création.

C'est une bonne idée à garder dans un coin de ma tête, parce qu'en ce moment je me sens un peu à sec.

23 Avril

Rien écrit depuis 4 jours. Rien. Vacances de Pâques obligent. Une semaine dans la famille de Nathalie, à la campagne, je pensais que ça allait être bon pour mon inspiration, le silence, l'air pur, les balades en forêt, mais non, des mômes partout excités à la perspective de se goinfrer de chocolats, discussions genre café du commerce avec le beau-frère…les éternelles allusions de la belle-mère qui a très envie d'être grand-mère…

Pitié !

24 Avril

Mes ambitions sont ailleurs. Personne ne comprend vraiment ce que c'est que de sentir qu'on porte une œuvre en soi et de ne pas être reconnu, de ne pas être compris !

Ce que je veux c'est partager ma vision du monde avec mes lecteurs, il ne s'agit pas de faire un essai, je ne suis ni sociologue ni philosophe, mais je veux transcender le réel, que mon œuvre reflète métaphoriquement la décadence de la société.

Notre monde vacille. Tout s'effondre. Nous vivons dans un champ de ruines, le précipice est là et nous ne le voyons pas. Comment raconter ce chaos ? Quel sujet ? Sous quel angle ?

Une catastrophe écologique, ça a déjà été fait ! Les villes désertes pendant le Covid, miroirs de nos intérieurs abandonnés, c'est peut-être pas mal… A voir !

Et l'écriture ? Mon intuition me dit qu'il faut qu'elle soit chaotique elle aussi. Pour l'instant je ne sais pas trop ce que ça veut dire mais je me comprends et ça me plait !

Je dois être dans la subtilité, plus modeste aussi peut-être !

Je me sens comme un lanceur d'alerte.

26 Avril

Je viens de lire un livre qui s'appelle « Regarde les lumières, mon amour », je me souviens plus du nom de l'autrice, (c'est comme ça qu'on dit maintenant !). Je m'attendais à une belle histoire d'amour qui allait me faire du bien et puis, pas du tout ! Le livre se passe dans le supermarché dans lequel cette femme fait ses courses, elle observe les gens, ce qu'il y a dans les rayons, ce qu'ils achètent et elle en tire des réflexions sur notre époque, je ne m'attendais pas à ça ! Choisir un supermarché comme sujet de roman, c'est gonflé ! …Moi j'aurai pas osé, mais c'est peut-être là que je me trompe !

En cherchant sur Wikipédia j'ai vu qu'elle s'appelait Annie Ernaux et qu'en plus elle avait eu le prix Nobel de littérature il y a quelques temps.

Ça m'a un peu estomaqué !

Et pourquoi je ferais pas pareil ? M'inspirer de la vie des gens, des vrais gens !

Je pourrais choisir un lieu, m'y rendre régulièrement et rendre compte de mes observations comme un entomologiste. Le tram, la salle d'attente, le marché… ? ou bien un fait divers, y'en a bien assez, j'ai le choix !

Mais, si Annie je ne sais plus quoi, elle a fait ça, c'est peut-être aussi parce qu'elle n'avait plus d'inspiration !

Heureusement, j'en suis pas encore là !

28 Avril

Nathalie, elle voudrait que je reprenne le boulot, je sens que ça l'énerve de me voir à mon bureau quand elle rentre le soir. Aussitôt elle se précipite pour ouvrir les fenêtres à cause de la fumée. Elle est un peu maniaque ! Après elle râle parce que j'ai pas fait les courses, parce que la pièce est en désordre, parce que j'ai pas mis le lave-vaisselle en route…en fait elle râle tout le temps…Elle ne sait pas la chance qu'elle a de vivre avec quelqu'un qui a du talent, avec quelqu'un qui va lui permettre de s'élever un peu, parce que pour l'instant en dehors de son salon, de ses clientes et de ses magazines, elle, y'a pas grand-chose qui la transcende ! J'en connais qui aimeraient bien être à sa place !

Mais quand on en sera à 10.000 exemplaires vendus, on verra si elle continue de râler.

C'est vrai que j'ai arrêté de travailler il y a quelques mois. Au boulot je perdais le contact avec mon inspiration, mais comment faire autrement ? Elle voulait pas que j'arrête, elle criait On va pas s'en sortir !Pour elle y'a que le fric qui compte ! Mais j'ai été patient et après beaucoup de discussions, elle a fini par être d'accord.

Et maintenant, les reproches !

Nous les artistes, on est des êtres fragiles, on a besoin de soutien, d'encouragements, personne ne sait à quel point on doute de nous, personne ne sait combien c'est dur d'entendre trop souvent une petite voix qui répète en boucles qu'on va pas y arriver alors qu'on sait que notre seule façon d'être au monde c'est Ecrire !

29 Avril

Ce matin, dans le tram pour aller chez le dentiste, je regardais les gens se bousculer, monter, descendre, s'installer avec leur cabas, leur téléphone, leurs gosses, faut voir l'air qu'ils ont les gens, fatigué, triste, ailleurs, vieux, les gamins excités, mal-élevés, les conversations à voix haute…Et tout d'un coup, j'ai eu un déclic, mon terrain d'observation je l'avais devant moi, ça a été comme une illumination, je vais partir du réel moi aussi, sauf que moi, mon réel ça va être les gens, je vais faire leur portrait sur le vif, le portrait des figures du chaos, l'incarnation de la médiocrité !

J'ai pris quelques notes :

Une femme regarde une vidéo de chat en riant alors que pendant ce temps les glaciers et nos consciences s'évaporent. Décadence contemporaine

Le dos courbé, le visage aspiré par les rectangles lumineux, chacun scrolle à la recherche de celui qui lui dira quoi penser et quel masque choisir. Médiocrité générale.

Le silence fait peur. Nous ne sommes plus que quelques-uns à penser encore. Lucidité tragique.

Evidemment ce sont des bribes… mais c'est un bon début… on sent qu'il y a une pensée derrière, ça a de la profondeur !

J'ai enfin trouvé le sujet à la hauteur de mon ambition …et de mon talent !

J'ai déjà le titre : La Nouvelle Comédie Humaine !

3 Mai

C'était trop beau ! Depuis que j'ai trouvé mon sujet, c'est le black-out total ! C'est peut-être l'ampleur de la tâche qui me fait peur !

Je suis à sec, plus rien, pas un mot.

Faut dire qu'hier et avant-hier j'ai été réquisitionné pour aider le beau-frère à déménager, « Puisque tu ne travailles pas, tu pourras venir nous aider… ?». Pour eux, je m'amuse, je gribouille… Ce que je fais c'est pas un travail.

Et ça fait 4 jours que je passe mon temps à contempler mon ordinateur. Je reste des heures à remuer, touiller, mélanger un tas d'idées toutes plus importantes les unes que les autres sans arriver à me lancer. Je n'arrive pas à développer, je ne vais quand même pas passer mes journées dans le tram, ça va paraitre suspect à force…

5 Mai

Nathalie m'a posé un ultimatum. J'ai 6 mois pour avoir un contrat avec un éditeur ou un boulot, sinon elle s'en va !

8 mai

Nathalie n'osera pas me quitter, sa menace ne me fait pas peur, sans moi elle n'arriverait pas à grand-chose, la pauvre petite.

9 Mai

Je ne sais pas pourquoi mais en ce moment, je suis à deux doigts de tout envoyer promener, mes ambitions, mon projet, la Littérature ! Je donnerais tout au monde pour ne pas me trouver devant cet écran, dans ce bureau qui relève plutôt de la chambre de tortures que du cabinet d'écriture. Plusieurs semaines que ça dure, je ne m'en sors pas.

Ecran blanc.

Je me demande comment ils font, les autres, j'en connais qui font allègrement leurs 1000 caractères par jour, moi je ne suis pas dans cette catégorie. Pour faire une phrase dont je n'ai pas honte, je dois arracher les mots un par un à mon pauvre cerveau, y'a des périodes comme ça !

Et du coup j'ai pensé à Sartre ! Avec Simone ils écrivaient dans les cafés, au milieu du va et vient des gens, des conversations, de la vie quoi ! Pourquoi pas essayer… Changer d'ambiance ça peut être bien ! Je ne supporte plus l'appartement avec ses odeurs de chou-fleur et Nathalie qui me fait la gueule ! Changer de lieu, ça me ferait des vacances !

15 Mai

Qui a dit : « Il faut écrire parmi les hommes » ?

Depuis quelques jours, je me suis installé au Café de la Mairie, bien au fond pour être plus tranquille. C'est sûr que c'est pas la même ambiance qu'aux Deux Magots, ici la télé est allumée en permanence, les gens parlent fort, s'engueulent souvent à propos de tout, le tiercé, le foot, la politique …C'est pas simple pour se concentrer, moi qui voulait du changement, je suis servi mais j'ai quand même un peu de mal, avec le bruit. En plus, toutes les heures le serveur revient pour que je renouvelle ma commande, je suis abruti de café, je ne dors plus, je m'énerve pour un rien. Je ne sais pas si je vais tenir bien longtemps !

Il y a quelques années j'avais essayé la recette d'Amélie Nothomb, le champagne, ça m'avait coûté une fortune et ça n'avait rien donné de concluant. Le seul avantage c'était l'euphorie dans laquelle ça me mettait, Nathalie était plutôt contente, mais pour écrire, rien, nada.

20 Mai

Au café, depuis quelques jours, y'a un type qui me regarde bizarrement, il se met toujours à la même place, gourmette et chaîne apparemment en or, montre connectée, pas tout à fait mon style, mais sa curiosité me flatte un peu, il est là chaque matin devant son p'tit blanc et ne me quitte pas des yeux. C'est au point que nous avons fini par nous saluer en arrivant.

Et puis ce matin il s'est approché, m'a demandé s'il pouvait s'asseoir, ce que je fais l'intéresse. Est-ce que je suis vraiment un écrivain ? Quel genre de livre j'écris ? Est-ce que j'ai déjà publié ? J'étais un peu déconcerté par sa démarche et en même temps assez honoré de voir qu'il avait très vite reconnu l'écrivain en moi.

Ne sachant pas à qui j'avais à faire, prudent, je lui dis que j'avais des textes en attente de publication, que l'écriture était toute ma vie, que j'avais un projet en cours mais que j'étais pour l'instant confronté à celle que j'appelais ma pire ennemie, la page blanche ! Ce qui était selon moi, le lot de tous les grands écrivains !

Il avait l'air très intéressé.

Il me dit qu'il était influenceur sur Instagram, coach de vie et expert en développement personnel, qu'il avait lui aussi un grand projet. Il voulait changer des vies, révéler des âmes et écrire tout ça dans un livre, il était sûr que ça marcherait !

J'ai mis un moment à saisir pourquoi il me racontait tout ça et puis j'ai compris … !

Il ne pouvait pas l'écrire seul, il lui fallait un vrai écrivain, quelqu'un qui maitrisait l'orthographe, la syntaxe et tous ces trucs-là comme il disait. C'est en allant faire son tiercé qu'il m'avait repéré, je lui avais donné l'impression d'être un gars sérieux.

Je n'arrivais pas à réaliser vraiment ce que cela signifiait ! J'avais l'impression qu'il parlait à quelqu'un d'autre ! Il m'avait pris pour un écrivaillon que l'on paye à la ligne, un scribouillard de feel-good. Il n'avait pas mesuré à qui il s'adressait.

Comment une idée pareille avait pu germer dans la tête de quelqu'un qui venait d'une autre planète. Quel rapport avec moi ? avec la Littérature !

Je me sentais humilié, déshonoré.

Je me suis levé, j'ai fermé mon ordinateur et en le regardant froidement, je lui dis que je ne mettrai jamais mon talent au service de quelqu'un d'autre, qu'il ne serait jamais question que je sois le nègre de quelqu'un ou pour être politiquement correct le prête-plume, le sous-traitant, l'écrivain fantôme, le soutier de la littérature ! Jamais ! Je n'allais pas me prostituer, je suis un écrivain moi, mes livres je les écris avec mon cœur, avec mon sang !

Il s'est figé, surpris, ne s'attendant sans doute pas à cette réponse, mais il s'est vite repris et me dit que c'était normal que j'ai besoin de réfléchir, qu'il me donnait quand même ses coordonnées sur Instagram et que j'aurai qu'à lui mettre un message quand je serai prêt. Il semblait assez sûr de lui !

Je quittai le café la tête haute mais pour la première fois depuis très longtemps j'avais envie de pleurer !

22 Mai

J'ai fait la bêtise d'en parler à Nathalie en rentrant à la maison. J'ai vu avec surprise qu'elle connaissait bien ce genre de littérature, elle était intarissable sur le sujet, trop contente de parler de choses que je ne connaissais pas. J'ai eu droit à tout : le yoga tantrique, la méditation en pleine conscience, le cri primal, les mantras, l'immersion dans le froid afin de se reconnecter avec les autres…et j'en passe !

La méthode Coué, oui ! Le bonheur à tout prix !

Et elle a commencé à me tanner pour que j'accepte la proposition de mon coach de bistrot. Elle était tout excitée, comme si elle avait enfin l'autorisation de jouer sur mon terrain ! Ça sera formidable, tu vas enfin écrire quelque chose d'intéressant, d'utile et puis c'est sûr, ça va se vendre !

La totale quoi ! Si j'avais des doutes sur ce qu'elle pensait de moi, là, j'étais servi !

Mais je m'efforçais de ne pas réagir, droit dans mes bottes et fidèle à mes convictions.

La Littérature avant tout !

25 Mai

Nathalie revient à la charge pratiquement tous les jours, elle me saoule avec ce type, elle voudrait le rencontrer pour qu'il lui parle de sa philosophie, de sa méthode et de la manière dont il envisage notre collaboration, financièrement surtout.

La voilà qui se transforme en agent littéraire maintenant, j'aurais tout vu !

Et quand j'ai poussé un coup de gueule pour qu'elle me fiche la paix avec ça, elle m'a rappelé son ultimatum et me dit que ça tenait toujours.

Je n'ai pas répondu.

Avec tout ça, ma Nouvelle Comédie Humaine est bien loin. Ce type m'a complètement perturbé avec sa proposition, je ne sais plus où j'en suis.

28 Mai

Nathalie a rencontré le coach, il est génial, elle s'est beaucoup retrouvée dans sa manière de voir la vie, c'est une chance pour nous deux cette rencontre, j'ai enfin trouvé du travail et je pourrais en même temps profiter de ses conseils, ce qui n'était pas de trop !

Plus rien ne la retenait !

29 Mai

J'ai passé la nuit à peser les deux scénarios !

Je me lance là-dedans, je trahis mes maîtres, Balzac, Schmidt, Foenkinos, Pancol et j'insulte tout ce que j'aime dans la Littérature ou bien je me dis que ce sera temporaire, histoire de se refaire un peu financièrement, de payer nos dettes et de s'offrir un appartement.

Je suis en plein dilemme cornélien !

12 Juin

Nathalie a décidé pour moi. Je n'ai pas eu le choix.

Ça fait déjà 2 semaines que nous avons eu notre première réunion de travail.

Avec Jonathan je suis entré dans le monde des algorithmes ! Ce qui compte pour lui ce n'est pas écrire pour être lu, mais écrire pour vendre.

Ce que je dois écrire, ce sont des stories qui doivent obtenir un score élevé. Il faut des mots chocs, émotionnels surtout, et que ça percute… En fait, il n'a rien à raconter, ce qu'il veut c'est avoir des abonnés sur Instagram et le plus de followers possibles, c'est ça qui paye.

J'apprends à ravaler ma dignité.

Je me résigne en intégrant ses délires dans un style accessible, fluide, séduisant. Beaucoup de superlatifs et de points d'exclamations.

J'enrobe ! j'enjolive ! ça lui plait et ça marche ! Comme il dit, Pas de mental ! Rester dans la vibration !

Il parait qu'à chaque publication sur Insta, les commentaires sont tous plus élogieux les uns que les autres. Merci Jonathan, tu as changé ma life ! Le nombre de followers augmente et le tiroir-caisse n'arrête pas de sonner.

19 Juin

Chaque jour il m'envoie des notes vocales, souvent à 3h du matin, d'un souffle inspiré il me parle de ses visions astrales, de ses vibrations qui doivent aider les chakras du lecteur à s'ouvrir.J'essaie de proposer de vraies idées, de tenter quelques résistances stylistiques, une métaphore un peu fine, une tournure ironique, un peu de deuxième degré mais lui réagit tout de suite : On est pas là pour faire du Proust, on est là pour changer la vie !

J'ai dû renoncer !

Il peut aussi choisir une citation sur Pinterest et me demander d'en faire le narratif, comme il dit. Je ne suis pas sûr qu'il sache ce que ça veut dire, mais à moi de transformer ces truismes en révélations !

Hier c'est la phrase Souris à la vie et la vie te sourira ! qui l'a impacté !

Voilà ce que j'en ai fait :

La vie n'est pas un long fleuve tranquille !

Quand tu es fatigué, que tu vois tout en noir, que tu n'en peux plus :

Oublie ton égo !Place-toi hors de ton mental ! Sois dans le moment présent ! Totalement !

Et mets en pratique le feed-back facial (comme je l'ai expliqué dans mon post du 14 Juin).

Tu verras, le sourire a des effets magiques. Il t'aidera à te reconnecter avec ton moi profond avec tes vibrations intérieures. Ta vie elle-même sera une vibration. Tu te sentiras réaligné et ton sourire pourra accueillir un autre sourire.

Souris à la vie, elle te sourira.

Je me surprends moi-même !

22 Juin

Hier j'ai ouvert le fichier de La Nouvelle Comédie Humaine, ça m'a fait drôle de me lire, même si ce n'était que quelques notes. Mes phrases me semblaient lourdes, manquaient d'impact, d'intensité ; sur le moment j'ai eu envie de rajouter quelques points d'exclamations et puis je me suis vu !

C'est moi le scribouillard de feel-good maintenant. C'est pathétique ce que je suis devenu !

14 Septembre

Je n'arrive pas à y croire ! Jonathan a réussi à faire éditer les textes et le livre vient de recevoir le prix Good-Life du Développement Personnel 2025.

Je ne sais pas qui est l'imposteur dans cette histoire !Je suis publié mais à quel prix ! Il n'y a que moi qui connait le véritable auteur de ce livre, l'autre imbécile se pavane comme un coq sur la scène le trophée dans les mains !

J'avais sans doute des rêves trop grands.

Je ne suis pas un écrivain, je ne fais que vendre des illusions avec des phrases courtes.

Ça a le mérite de procurer une forme de paix. Les virements tombent régulièrement.Nathalie est heureuse, elle a enfin son appartement avec vue sur le parc

C'est mieux que rien !

Camille L.

14 Juin 2025 

Nombril
Les bijoux de famille
 

Commentaires 1

Invité - Claire Pasquié le jeudi 4 septembre 2025 16:25

Ça été un plaisir de lire ce journal. J'en ai beaucoup aimé le ton rempli d'humour. La critique de notre société est menée avec finesse car l'ironie est percutante sans être méchante. Percuter avec légèreté n'est pas si simple ! Ironie envers les philosophies ambiantes, les modes littéraires, mais ironie aussi envers soi-même. Nos ambitions, nos faiblesses, nos tentations, nos doutes sont subtilement pointés du doigt. Si bien qu'un célèbre adage de l'Ecclésiaste m'est aussitôt venu à l'esprit après le point final, "Vanité des vanités, tout est vanité". Eh oui, il nous faut affronter la réalité et cependant garder l'espérance. Et la joie d'écrire !

Ça été un plaisir de lire ce journal. J'en ai beaucoup aimé le ton rempli d'humour. La critique de notre société est menée avec finesse car l'ironie est percutante sans être méchante. Percuter avec légèreté n'est pas si simple ! Ironie envers les philosophies ambiantes, les modes littéraires, mais ironie aussi envers soi-même. Nos ambitions, nos faiblesses, nos tentations, nos doutes sont subtilement pointés du doigt. Si bien qu'un célèbre adage de l'Ecclésiaste m'est aussitôt venu à l'esprit après le point final, "Vanité des vanités, tout est vanité". Eh oui, il nous faut affronter la réalité et cependant garder l'espérance. Et la joie d'écrire !
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"Si vous avez quelque chose à dire, tout ce que vous pensez que personne n'a dit avant, vous devez le ressentir si désespérément que vous trouverez un moyen de le dire que personne n'a jamais trouvé avant, de sorte que la chose que vous avez à dire et la façon de le dire se mélangent comme une seule matière - aussi indissolublement que si elles ont été conçus ensemble."  F. Scott Fitzgerald

"Le romancier habite les seuils, sa tâche est de faire circuler librement le dedans et le dehors, l'éternité et l'instant, le désespoir et l'allégresse."  Yvon Rivard

" La vie procède toujours par couples d’oppositions. C’est seulement de la place du romancier, centre de la construction, que tout cesse d’être perçu contradictoirement et prend ainsi son sens."  Raymond Abellio

"Certains artistes sont les témoins de leur époque, d’autres en sont les symptômes."  Michel Castanier, Être

"Les grandes routes sont stériles." Lamennais 

"Un livre doit remuer les plaies. En provoquer, même. Un livre doit être un danger." Cioran

"J'écris pour me parcourir. Peindre, composer, écrire : me parcourir. Là est l'aventure d'être en vie."Henri Michaux

"La littérature n’est ni un passe-temps ni une évasion, mais une façon–peut-être la plus complète et la plus profonde–d’examiner la condition humaine." Ernesto Sábato, L’Ecrivain et la catastrophe

"Le langage est une peau. Je frotte mon langage contre l'autre. " Roland Barthes, Fragments d'un discours amoureux 

 

 

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