Nous avons bien reçu votre manuscrit et nous vous remercions de l'avoir adressé aux éditions du Vent. Malgré des qualités indéniables, nous n'avons pas été suffisamment convaincus par votre texte pour vous en proposer une publication. Bla, bla, bla…bla…bla…bla… Nous vous prions de croire, Monsieur, ...
Nous avons bien reçu votre manuscrit et nous vous remercions de l'avoir adressé aux éditions du Vent.
Malgré des qualités indéniables, nous n'avons pas été suffisamment convaincus par votre texte pour vous en proposer une publication.
Bla, bla, bla…bla…bla…bla…
Nous vous prions de croire, Monsieur, à nos regrets ainsi qu'à l'assurance …..et patati etpatata….
17 Avril
Et voilà, encore un refus ! Tu parles de regrets … ! Quelle hypocrisie ! Je le sais bien qu'il a des qualités indéniables mon manuscrit, c'est moi qui l'ai écrit ! Je sais bien que ce n'est pas un texte qui se donne facilement.
Aujourd'hui tout le monde regarde son nombril et s'imagine que délayer ses pleurs et ses miasmes par écrit c'est faire de la littérature, chacun se prend pour le nouveau Proust.
Moi je n'écris pas pour être dans l'air du temps ou pour répondre à ce que l'on attend de moi. J'ai seulement un peu d'exigence envers moi-même et surtout envers La Littérature ! Bien sûr, cela demande au lecteur un peu d'efforts pour entrer dans le texte, cela exige un peu de concentration et d'attention pour ouvrir son esprit à d'autres pensées que la sienne.
Aujourd'hui, tout doit être simple, il faut écrire au présent, faire des phrases courtes, sujet-verbe-complément, pas plus, et surtout pas de polémiques mais de l'émotion à gogo !
Ça dégouline ! Je déteste ça !
Je reconnais que mon texte était peut-être un peu trop dense, trop difficile. Une seule phrase, peu de ponctuation, ça a sans doute été jugé provocateur. Ils n'ont rien compris évidemment, j'ai l'habitude … ! Pourtant d'autres l'ont déjà fait avant moi. Gabriel Garcia Marquez, Virginia Woolf …pas des moindres… ! Je ne me compare pas à eux, mais quand même ! Les éditeurs croient que les lecteurs ne sont pas prêts à ça ! Et après on me reprochera de ne m'adresser qu'à une élite ! Je n'y suis pour rien si je suis en avance, après tout n'est-ce pas la mission de l'écrivain : Eclairer !
Comment faut-il que j'écrive pour être lu ?
Ces refus à chaque fois, c'est d'une humiliation !
19 Avril
C'est Nathalie en voyant ma colère et ma déception qui m'a suggéré de tenir ce journal ; selon elle ça pourrait m'aider à comprendre pourquoi ces refus, parce qu'évidemment
celui-là n'est pas le premier. Je dois en être à 4 ou 5, je ne sais plus. Et elle, elle doit en avoir marre aussi, parce qu'à chaque fois, on y croit tous les deux.
Moi, je m'y vois bien. Dans un tiroir de mon bureau, j'ai déjà le Mont-Blanc pour les signatures dans les librairies. Et puis… je me demande si j'accepterai le Goncourt, je n'ai pas encore tranché. Ça pourrait être vu comme une compromission de plus.
Attention à ne pas aller trop loin !
Elle, Nathalie, elle est plus terre à terre. Ce qu'elle attend, c'est le fric que ça va rapporter, je sais qu'elle en a marre de notre deux-pièces, elle me le répète assez souvent.
Je ne l'écoute pas toujours, mais là, je l'ai fait. Elle a peut-être raison, on verra bien.
Et puis, écrire un journal, c'est pas trop difficile, les mots viennent tout seul, j'ai pas besoin de me torturer à chercher un sujet puisque le sujet c'est moi.
Je pourrais peut-être le publier ensuite, c'est la mode aujourd'hui de publier son journal d'écriture, les notes qu'on prend, les ratures, les réflexions qui montrent les difficultés de la création.
C'est une bonne idée à garder dans un coin de ma tête, parce qu'en ce moment je me sens un peu à sec.
23 Avril
Rien écrit depuis 4 jours. Rien. Vacances de Pâques obligent. Une semaine dans la famille de Nathalie, à la campagne, je pensais que ça allait être bon pour mon inspiration, le silence, l'air pur, les balades en forêt, mais non, des mômes partout excités à la perspective de se goinfrer de chocolats, discussions genre café du commerce avec le beau-frère…les éternelles allusions de la belle-mère qui a très envie d'être grand-mère…
Pitié !
24 Avril
Mes ambitions sont ailleurs. Personne ne comprend vraiment ce que c'est que de sentir qu'on porte une œuvre en soi et de ne pas être reconnu, de ne pas être compris !
Ce que je veux c'est partager ma vision du monde avec mes lecteurs, il ne s'agit pas de faire un essai, je ne suis ni sociologue ni philosophe, mais je veux transcender le réel, que mon œuvre reflète métaphoriquement la décadence de la société.
Notre monde vacille. Tout s'effondre. Nous vivons dans un champ de ruines, le précipice est là et nous ne le voyons pas. Comment raconter ce chaos ? Quel sujet ? Sous quel angle ?
Une catastrophe écologique, ça a déjà été fait ! Les villes désertes pendant le Covid, miroirs de nos intérieurs abandonnés, c'est peut-être pas mal… A voir !
Et l'écriture ? Mon intuition me dit qu'il faut qu'elle soit chaotique elle aussi. Pour l'instant je ne sais pas trop ce que ça veut dire mais je me comprends et ça me plait !
Je dois être dans la subtilité, plus modeste aussi peut-être !
Je me sens comme un lanceur d'alerte.
26 Avril
Je viens de lire un livre qui s'appelle « Regarde les lumières, mon amour », je me souviens plus du nom de l'autrice, (c'est comme ça qu'on dit maintenant !). Je m'attendais à une belle histoire d'amour qui allait me faire du bien et puis, pas du tout ! Le livre se passe dans le supermarché dans lequel cette femme fait ses courses, elle observe les gens, ce qu'il y a dans les rayons, ce qu'ils achètent et elle en tire des réflexions sur notre époque, je ne m'attendais pas à ça ! Choisir un supermarché comme sujet de roman, c'est gonflé ! …Moi j'aurai pas osé, mais c'est peut-être là que je me trompe !
En cherchant sur Wikipédia j'ai vu qu'elle s'appelait Annie Ernaux et qu'en plus elle avait eu le prix Nobel de littérature il y a quelques temps.
Ça m'a un peu estomaqué !
Et pourquoi je ferais pas pareil ? M'inspirer de la vie des gens, des vrais gens !
Je pourrais choisir un lieu, m'y rendre régulièrement et rendre compte de mes observations comme un entomologiste. Le tram, la salle d'attente, le marché… ? ou bien un fait divers, y'en a bien assez, j'ai le choix !
Mais, si Annie je ne sais plus quoi, elle a fait ça, c'est peut-être aussi parce qu'elle n'avait plus d'inspiration !
Heureusement, j'en suis pas encore là !
28 Avril
Nathalie, elle voudrait que je reprenne le boulot, je sens que ça l'énerve de me voir à mon bureau quand elle rentre le soir. Aussitôt elle se précipite pour ouvrir les fenêtres à cause de la fumée. Elle est un peu maniaque ! Après elle râle parce que j'ai pas fait les courses, parce que la pièce est en désordre, parce que j'ai pas mis le lave-vaisselle en route…en fait elle râle tout le temps…Elle ne sait pas la chance qu'elle a de vivre avec quelqu'un qui a du talent, avec quelqu'un qui va lui permettre de s'élever un peu, parce que pour l'instant en dehors de son salon, de ses clientes et de ses magazines, elle, y'a pas grand-chose qui la transcende ! J'en connais qui aimeraient bien être à sa place !
Mais quand on en sera à 10.000 exemplaires vendus, on verra si elle continue de râler.
C'est vrai que j'ai arrêté de travailler il y a quelques mois. Au boulot je perdais le contact avec mon inspiration, mais comment faire autrement ? Elle voulait pas que j'arrête, elle criait On va pas s'en sortir !Pour elle y'a que le fric qui compte ! Mais j'ai été patient et après beaucoup de discussions, elle a fini par être d'accord.
Et maintenant, les reproches !
Nous les artistes, on est des êtres fragiles, on a besoin de soutien, d'encouragements, personne ne sait à quel point on doute de nous, personne ne sait combien c'est dur d'entendre trop souvent une petite voix qui répète en boucles qu'on va pas y arriver alors qu'on sait que notre seule façon d'être au monde c'est Ecrire !
29 Avril
Ce matin, dans le tram pour aller chez le dentiste, je regardais les gens se bousculer, monter, descendre, s'installer avec leur cabas, leur téléphone, leurs gosses, faut voir l'air qu'ils ont les gens, fatigué, triste, ailleurs, vieux, les gamins excités, mal-élevés, les conversations à voix haute…Et tout d'un coup, j'ai eu un déclic, mon terrain d'observation je l'avais devant moi, ça a été comme une illumination, je vais partir du réel moi aussi, sauf que moi, mon réel ça va être les gens, je vais faire leur portrait sur le vif, le portrait des figures du chaos, l'incarnation de la médiocrité !
J'ai pris quelques notes :
Une femme regarde une vidéo de chat en riant alors que pendant ce temps les glaciers et nos consciences s'évaporent. Décadence contemporaine
Le dos courbé, le visage aspiré par les rectangles lumineux, chacun scrolle à la recherche de celui qui lui dira quoi penser et quel masque choisir. Médiocrité générale.
Le silence fait peur. Nous ne sommes plus que quelques-uns à penser encore. Lucidité tragique.
Evidemment ce sont des bribes… mais c'est un bon début… on sent qu'il y a une pensée derrière, ça a de la profondeur !
J'ai enfin trouvé le sujet à la hauteur de mon ambition …et de mon talent !
J'ai déjà le titre : La Nouvelle Comédie Humaine !
3 Mai
C'était trop beau ! Depuis que j'ai trouvé mon sujet, c'est le black-out total ! C'est peut-être l'ampleur de la tâche qui me fait peur !
Je suis à sec, plus rien, pas un mot.
Faut dire qu'hier et avant-hier j'ai été réquisitionné pour aider le beau-frère à déménager, « Puisque tu ne travailles pas, tu pourras venir nous aider… ?». Pour eux, je m'amuse, je gribouille… Ce que je fais c'est pas un travail.
Et ça fait 4 jours que je passe mon temps à contempler mon ordinateur. Je reste des heures à remuer, touiller, mélanger un tas d'idées toutes plus importantes les unes que les autres sans arriver à me lancer. Je n'arrive pas à développer, je ne vais quand même pas passer mes journées dans le tram, ça va paraitre suspect à force…
5 Mai
Nathalie m'a posé un ultimatum. J'ai 6 mois pour avoir un contrat avec un éditeur ou un boulot, sinon elle s'en va !
8 mai
Nathalie n'osera pas me quitter, sa menace ne me fait pas peur, sans moi elle n'arriverait pas à grand-chose, la pauvre petite.
9 Mai
Je ne sais pas pourquoi mais en ce moment, je suis à deux doigts de tout envoyer promener, mes ambitions, mon projet, la Littérature ! Je donnerais tout au monde pour ne pas me trouver devant cet écran, dans ce bureau qui relève plutôt de la chambre de tortures que du cabinet d'écriture. Plusieurs semaines que ça dure, je ne m'en sors pas.
Ecran blanc.
Je me demande comment ils font, les autres, j'en connais qui font allègrement leurs 1000 caractères par jour, moi je ne suis pas dans cette catégorie. Pour faire une phrase dont je n'ai pas honte, je dois arracher les mots un par un à mon pauvre cerveau, y'a des périodes comme ça !
Et du coup j'ai pensé à Sartre ! Avec Simone ils écrivaient dans les cafés, au milieu du va et vient des gens, des conversations, de la vie quoi ! Pourquoi pas essayer… Changer d'ambiance ça peut être bien ! Je ne supporte plus l'appartement avec ses odeurs de chou-fleur et Nathalie qui me fait la gueule ! Changer de lieu, ça me ferait des vacances !
15 Mai
Qui a dit : « Il faut écrire parmi les hommes » ?
Depuis quelques jours, je me suis installé au Café de la Mairie, bien au fond pour être plus tranquille. C'est sûr que c'est pas la même ambiance qu'aux Deux Magots, ici la télé est allumée en permanence, les gens parlent fort, s'engueulent souvent à propos de tout, le tiercé, le foot, la politique …C'est pas simple pour se concentrer, moi qui voulait du changement, je suis servi mais j'ai quand même un peu de mal, avec le bruit. En plus, toutes les heures le serveur revient pour que je renouvelle ma commande, je suis abruti de café, je ne dors plus, je m'énerve pour un rien. Je ne sais pas si je vais tenir bien longtemps !
Il y a quelques années j'avais essayé la recette d'Amélie Nothomb, le champagne, ça m'avait coûté une fortune et ça n'avait rien donné de concluant. Le seul avantage c'était l'euphorie dans laquelle ça me mettait, Nathalie était plutôt contente, mais pour écrire, rien, nada.
20 Mai
Au café, depuis quelques jours, y'a un type qui me regarde bizarrement, il se met toujours à la même place, gourmette et chaîne apparemment en or, montre connectée, pas tout à fait mon style, mais sa curiosité me flatte un peu, il est là chaque matin devant son p'tit blanc et ne me quitte pas des yeux. C'est au point que nous avons fini par nous saluer en arrivant.
Et puis ce matin il s'est approché, m'a demandé s'il pouvait s'asseoir, ce que je fais l'intéresse. Est-ce que je suis vraiment un écrivain ? Quel genre de livre j'écris ? Est-ce que j'ai déjà publié ? J'étais un peu déconcerté par sa démarche et en même temps assez honoré de voir qu'il avait très vite reconnu l'écrivain en moi.
Ne sachant pas à qui j'avais à faire, prudent, je lui dis que j'avais des textes en attente de publication, que l'écriture était toute ma vie, que j'avais un projet en cours mais que j'étais pour l'instant confronté à celle que j'appelais ma pire ennemie, la page blanche ! Ce qui était selon moi, le lot de tous les grands écrivains !
Il avait l'air très intéressé.
Il me dit qu'il était influenceur sur Instagram, coach de vie et expert en développement personnel, qu'il avait lui aussi un grand projet. Il voulait changer des vies, révéler des âmes et écrire tout ça dans un livre, il était sûr que ça marcherait !
J'ai mis un moment à saisir pourquoi il me racontait tout ça et puis j'ai compris … !
Il ne pouvait pas l'écrire seul, il lui fallait un vrai écrivain, quelqu'un qui maitrisait l'orthographe, la syntaxe et tous ces trucs-là comme il disait. C'est en allant faire son tiercé qu'il m'avait repéré, je lui avais donné l'impression d'être un gars sérieux.
Je n'arrivais pas à réaliser vraiment ce que cela signifiait ! J'avais l'impression qu'il parlait à quelqu'un d'autre ! Il m'avait pris pour un écrivaillon que l'on paye à la ligne, un scribouillard de feel-good. Il n'avait pas mesuré à qui il s'adressait.
Comment une idée pareille avait pu germer dans la tête de quelqu'un qui venait d'une autre planète. Quel rapport avec moi ? avec la Littérature !
Je me sentais humilié, déshonoré.
Je me suis levé, j'ai fermé mon ordinateur et en le regardant froidement, je lui dis que je ne mettrai jamais mon talent au service de quelqu'un d'autre, qu'il ne serait jamais question que je sois le nègre de quelqu'un ou pour être politiquement correct le prête-plume, le sous-traitant, l'écrivain fantôme, le soutier de la littérature ! Jamais ! Je n'allais pas me prostituer, je suis un écrivain moi, mes livres je les écris avec mon cœur, avec mon sang !
Il s'est figé, surpris, ne s'attendant sans doute pas à cette réponse, mais il s'est vite repris et me dit que c'était normal que j'ai besoin de réfléchir, qu'il me donnait quand même ses coordonnées sur Instagram et que j'aurai qu'à lui mettre un message quand je serai prêt. Il semblait assez sûr de lui !
Je quittai le café la tête haute mais pour la première fois depuis très longtemps j'avais envie de pleurer !
22 Mai
J'ai fait la bêtise d'en parler à Nathalie en rentrant à la maison. J'ai vu avec surprise qu'elle connaissait bien ce genre de littérature, elle était intarissable sur le sujet, trop contente de parler de choses que je ne connaissais pas. J'ai eu droit à tout : le yoga tantrique, la méditation en pleine conscience, le cri primal, les mantras, l'immersion dans le froid afin de se reconnecter avec les autres…et j'en passe !
La méthode Coué, oui ! Le bonheur à tout prix !
Et elle a commencé à me tanner pour que j'accepte la proposition de mon coach de bistrot. Elle était tout excitée, comme si elle avait enfin l'autorisation de jouer sur mon terrain ! Ça sera formidable, tu vas enfin écrire quelque chose d'intéressant, d'utile et puis c'est sûr, ça va se vendre !
La totale quoi ! Si j'avais des doutes sur ce qu'elle pensait de moi, là, j'étais servi !
Mais je m'efforçais de ne pas réagir, droit dans mes bottes et fidèle à mes convictions.
La Littérature avant tout !
25 Mai
Nathalie revient à la charge pratiquement tous les jours, elle me saoule avec ce type, elle voudrait le rencontrer pour qu'il lui parle de sa philosophie, de sa méthode et de la manière dont il envisage notre collaboration, financièrement surtout.
La voilà qui se transforme en agent littéraire maintenant, j'aurais tout vu !
Et quand j'ai poussé un coup de gueule pour qu'elle me fiche la paix avec ça, elle m'a rappelé son ultimatum et me dit que ça tenait toujours.
Je n'ai pas répondu.
Avec tout ça, ma Nouvelle Comédie Humaine est bien loin. Ce type m'a complètement perturbé avec sa proposition, je ne sais plus où j'en suis.
28 Mai
Nathalie a rencontré le coach, il est génial, elle s'est beaucoup retrouvée dans sa manière de voir la vie, c'est une chance pour nous deux cette rencontre, j'ai enfin trouvé du travail et je pourrais en même temps profiter de ses conseils, ce qui n'était pas de trop !
Plus rien ne la retenait !
29 Mai
J'ai passé la nuit à peser les deux scénarios !
Je me lance là-dedans, je trahis mes maîtres, Balzac, Schmidt, Foenkinos, Pancol et j'insulte tout ce que j'aime dans la Littérature ou bien je me dis que ce sera temporaire, histoire de se refaire un peu financièrement, de payer nos dettes et de s'offrir un appartement.
Je suis en plein dilemme cornélien !
12 Juin
Nathalie a décidé pour moi. Je n'ai pas eu le choix.
Ça fait déjà 2 semaines que nous avons eu notre première réunion de travail.
Avec Jonathan je suis entré dans le monde des algorithmes ! Ce qui compte pour lui ce n'est pas écrire pour être lu, mais écrire pour vendre.
Ce que je dois écrire, ce sont des stories qui doivent obtenir un score élevé. Il faut des mots chocs, émotionnels surtout, et que ça percute… En fait, il n'a rien à raconter, ce qu'il veut c'est avoir des abonnés sur Instagram et le plus de followers possibles, c'est ça qui paye.
J'apprends à ravaler ma dignité.
Je me résigne en intégrant ses délires dans un style accessible, fluide, séduisant. Beaucoup de superlatifs et de points d'exclamations.
J'enrobe ! j'enjolive ! ça lui plait et ça marche ! Comme il dit, Pas de mental ! Rester dans la vibration !
Il parait qu'à chaque publication sur Insta, les commentaires sont tous plus élogieux les uns que les autres. Merci Jonathan, tu as changé ma life ! Le nombre de followers augmente et le tiroir-caisse n'arrête pas de sonner.
19 Juin
Chaque jour il m'envoie des notes vocales, souvent à 3h du matin, d'un souffle inspiré il me parle de ses visions astrales, de ses vibrations qui doivent aider les chakras du lecteur à s'ouvrir.J'essaie de proposer de vraies idées, de tenter quelques résistances stylistiques, une métaphore un peu fine, une tournure ironique, un peu de deuxième degré mais lui réagit tout de suite : On est pas là pour faire du Proust, on est là pour changer la vie !
J'ai dû renoncer !
Il peut aussi choisir une citation sur Pinterest et me demander d'en faire le narratif, comme il dit. Je ne suis pas sûr qu'il sache ce que ça veut dire, mais à moi de transformer ces truismes en révélations !
Hier c'est la phrase Souris à la vie et la vie te sourira ! qui l'a impacté !
Voilà ce que j'en ai fait :
La vie n'est pas un long fleuve tranquille !
Quand tu es fatigué, que tu vois tout en noir, que tu n'en peux plus :
Oublie ton égo !Place-toi hors de ton mental ! Sois dans le moment présent ! Totalement !
Et mets en pratique le feed-back facial (comme je l'ai expliqué dans mon post du 14 Juin).
Tu verras, le sourire a des effets magiques. Il t'aidera à te reconnecter avec ton moi profond avec tes vibrations intérieures. Ta vie elle-même sera une vibration. Tu te sentiras réaligné et ton sourire pourra accueillir un autre sourire.
Souris à la vie, elle te sourira.
Je me surprends moi-même !
22 Juin
Hier j'ai ouvert le fichier de La Nouvelle Comédie Humaine, ça m'a fait drôle de me lire, même si ce n'était que quelques notes. Mes phrases me semblaient lourdes, manquaient d'impact, d'intensité ; sur le moment j'ai eu envie de rajouter quelques points d'exclamations et puis je me suis vu !
C'est moi le scribouillard de feel-good maintenant. C'est pathétique ce que je suis devenu !
14 Septembre
Je n'arrive pas à y croire ! Jonathan a réussi à faire éditer les textes et le livre vient de recevoir le prix Good-Life du Développement Personnel 2025.
Je ne sais pas qui est l'imposteur dans cette histoire !Je suis publié mais à quel prix ! Il n'y a que moi qui connait le véritable auteur de ce livre, l'autre imbécile se pavane comme un coq sur la scène le trophée dans les mains !
J'avais sans doute des rêves trop grands.
Je ne suis pas un écrivain, je ne fais que vendre des illusions avec des phrases courtes.
Ça a le mérite de procurer une forme de paix. Les virements tombent régulièrement.Nathalie est heureuse, elle a enfin son appartement avec vue sur le parc
C'est mieux que rien !
Camille L.
14 Juin 2025