Je me souviens de Mario, le locataire de mes parents. De nature immuablement heureuse, il comblait de vie le fond de notre cour. Il était de ces hommes rudes aux traits gravés par les intempéries et aux mains rabotées par le mortier. Chaque maison, chaque construction avait imprimé sa marque dans l'...
La Vierge Marie
Dans une chapelle au fond d'une forêt
Une sculpture de bois sans âge
Elle n'est pas debout
Elle n'ouvre pas les bras en un geste d'accueil universel
Elle ne porte ni sa tiare de reine, ni son manteau de ciel
Elle ne sourit pas
Elle est assise
Un homme étendu en travers des genoux
Elle ne se penche pas vers lui, ne le retient pas.
Le buste droit, elle est là.
Les bras croisés.
Non pas ces bras formant croix sur la poitrine en signe de totale oblation, comme les artistes l'ont si souvent représentée lorsque l'Ange lui annonce sa prochaine maternité. Non, un geste de rejet, pareil à l'expression défiante de son visage. Tout en elle semble refuser ce corps encombrant.
Imagine-t-elle que ce n'est pas son fils ?
Après avoir longtemps sangloté sur ce corps supplicié, défiguré, maintenant que ses pleurs s'assèchent et ne lui troublent plus la vue, elle a un doute. Est-ce bien le fruit de ses entrailles ? Et si c'était l'un des larrons crucifiés à ses côtés ?
Cette suspicion s'est-elle transmuée en certitude ? Les bras niant, d'un croisement résolu, la filiation de cet homme, là, sur ses genoux.
Et si cette attitude de déni n'était pas celle de la Vierge Marie mais ne faisait que révéler l'interprétation du sculpteur ?
Sans doute l'artiste détestait-il sa propre mère. Pressenti par les autorités religieuses pour exécuter une oeuvre destinée à la ferveur populaire, il n'avait pu se dérober. Mais, au grand jamais, il n'était parvenu à maîtriser sa répulsion envers sa génitrice. Mu par un transfert freudien, il avait immortalisé la sainte femme en matrone soupçonneuse.
A moins que le modèle qu'on lui avait imposé, ait par ce geste, signifié son refus de poser. Une créature recueillie par les nonnes après avoir mis au monde l'enfant du péché, pauvre fille contrainte de supporter au cours d'interminables séances d'immobilité, le poids du jardinier du couvent, un bon à rien, un lourdaud qui s'abstenait du moindre effort pour éviter de peser.
Pourtant, à m'abîmer dans la contemplation de cette oeuvre sibylline, je crois voir les lèvres de cette mère se crisper atrocement et distinguer, s'en échappant, des sanglots, talonnés par des imprécations
''Je n'ai plus de larmes pour pleurer. Maintenant, il faut que je crie ma colère. Les coups, les crachats, les insultes et pour finir ces clous dans ta chair, dans MA chair. Comment as-tu pu m' infliger tout cela ? Il n'a pas suffi que mon ventre s'arrondisse sans que Joseph m'ait connue ? Un brave homme qui m'a épousée quand même et t'a élevé comme son fils. Il n'a pas suffi que tu nous causes l'angoisse de notre vie quand on t'a cherché partout. Et toi, tu philosophais avec les docteurs de la Loi ! Il n'a pas suffi que tu délaisses le bon métier de charpentier pour les chemins de Galilée, que tu t'acoquines avec cette Marie-Madeleine à ce qu'on dit. As-tu seulement guéri les aveugles et les paralytiques ? Comment as-tu pu marcher sur l'eau ? Et ce Lazare que tu prétendais ramener d'entre les morts ? Tous ces gens te suivaient et flattaient ton orgueil. Alors, si tous disent vrai, reviens-moi. Oui, reviens-moi !
Tu reviendras.
Et 2000 ans plus tard, pour célébrer ta naissance, ils s'empiffreront d'huitres et de foie gras.
Tu reviendras.
Et pour fêter ta résurrection, ce sera la ruée sur les oeufs en chocolat !
Tu reviendras.
Et pour commémorer ta montée au ciel, les voitures feront touche-touche sur le pont de l'Ascension.
Mais oui tu reviendras.
Pour MOI, TA MÈRE, tu reviendras..."
Françoise