Un petit chapeau aux couleurs fanées sur la tête, ce matin-là, comme chaque matin, tenant à la main son cabas duquel dépassaient poireaux, fanes de carottes et plumes de volaille fermière - c'était jour de marché - Albertine Parut poussa de toutes ses forces la lourde porte de l'église, franchit le ...
La baignoire se réjouit chaque soir de ma compagnie. La nuit ferme doucement les paupières du jour, pour une mort à mi-temps. Voici venue l'heure où l'humain lui accorde son existence. Ses compagnons du jour, les donateurs de beauté, se prélassent sur les bords. Ils seront le miel du corps alangui.
Une main parcheminée teste la fidélité des robinets. Ils pleurent des larmes brûlantes avant de réchauffer le froid lisse qui sera le berceau liquide de cette femme.
La vapeur danse devant le miroir. La même main verse le bain moussant qui fait éclore des fleurs blanches, masque de la surface de l'eau. Puis la femme se déshabille de la fatigue du jour. Ses vêtements gisent sur le tapis, squelette chiffonné, désincarné, imprégné des odeurs de la vie. Une silhouette nue fend l'air chaud. Des gouttelettes perlent sur son enveloppe charnelle, prélude à la partition liquide qui va s'orchestrer sur sa peau. Elle envoie sa main en éclaireur. L'épiderme sourit de bonheur et invite le reste du corps à venir partager l'extase de l'abandon dans ce milieu. Elle enjambe la baignoire, heureuse de pouvoir le faire encore, et les boucles blanches absorbent peu à peu le corps, cherchant la torture ascendante de la chaleur conquérante sur chaque millimètre de peau. Elle disparait alors au monde, s'extrait du quotidien, yeux fermés dans une béatitude bleutée. Elle aspire la moiteur. Elle sent ses cheveux s'en parer. Elle n'entend plus que le chant noir de l'extérieur et celui jaune soleil de son intérieur, brûlant de la fièvre bonheur.
Il lui faut bientôt faire chanter le savon sur une peau affamée de douceur. Et n'oublier aucune parcelle qui halète d'attente. Lâchement, l'eau commence à refroidir. Un pied complice s'approche avec prudence de la grisaille du robinet. Il devient main maladroite pour quérir à cette fontaine de quoi réchauffer le liquide. Les minutes caracolent. Au sec sur la serviette, le livre murmure qu'il est là pour partager ce moment, lui l'ami du soir. Un bras fantomatique orné de mousse se risque hors de la surface immatérielle. L'autre bras l'imite, à regrets, refusant de voir la peau fripée. Le livre n'est pas un nageur émérite et l'encre hurle qu'elle battra en retraite à la moindre alerte d'humidité. Alors, avec ferveur, elle accroche ses doigts sur le marque-page pour retrouver ses compagnons d'évasion. Telle une vestale offerte à un dieu, elle immole son esprit à l'univers offert par une plume inconnue, un nouveau plat de lignes à dévorer. Corps et âme prêts au festin littéraire, ils s'évadent, dans ce vaisseau pour un voyage initiatique.
Adieu Terre et terriens !
Anne-Marie Gorce