Sa déambulation baroque, colosse barbu porté par son caddy, animait tout le quartier. Je craignais son apparition, démarche incertaine, marin bousculé par une mer houleuse. Il fendait sans un regard le flot des voitures, capitaine au long cours à la recherche d'un port d'attache, insensible aux clam...
Il était arrivé au Chili voilà 7 ans, et avait parcouru la Cordillère des Andes de haut en bas. Son séjour s'était prolongé, puis fixé dans une oasis du désert d'Atacama. Les éleveurs de chevaux lui avaient fait cet honneur de l'intégrer parmi les leurs, après une prouesse inouïe, la capture du plus beau poulain de la vallée, que personne parmi les plus vaillants des gauchos n'avait réussi à approcher.Maman, écrivit-il un soir d'automne, il faut vraiment que tu viennes me rendre visite. Je t'ai déjà plusieurs fois parlé d'Isidro le chef du village. Sa fille Panalina et moi sommes amoureux et sur le point de nous fiancer. Selon la coutume les parents respectifs doivent se rencontrer trois lunes avant la cérémonie des fiançailles. Si Papa était encore avec nous il aurait été heureux de mon bonheur. J'espère que tes activités de militante te laisseront un peu de temps pour te préparer, il faudrait que tu puisses être là pour la fin novembre. Il y a un long courrier Paris-Santiago avec une escale à New York tous les mercredis. Je te fais un virement du montant du billet dès que j'irai en ville, j'y vais régulièrement pour la communauté, et notre réserve de quinoa n'est pas suffisante cette année pour passer l'hiver.Je t'attends avec impatience.Ton fils Fidel qui t'aime.Fidel, mon chéri< style="font-family: andale mono,times;">Je suis ravie de ce que tu m'annonces.. J'ai déjà pris mon billet, ton père avait une bonne assurance-vie quand il était OS chez Renault, c'est hélas tout ce qu'il nous a laissé. Tout ça à cause de ces pourris qui s'engraissent sur le dos des ouvriers, qui l'ont payé au prix de leur santé ou même de leur vie. MaIis bref. Je profiterai de mon séjour pour faire un crochet par Brasilia, pour aller voir si les bâtiments de Niemeyer sont aussi beaux que ceux du siège du Parti à Paris. J'arriverai à temps pour tes fiançailles. Après je ferai un petit tour par Cuba, ton parrain spirituel n'est pas en très bonne forme depuis plusieurs mois, j'en profiterai pour revoir mes vieux amis.D'ici là, je t'embrasse, ta maman qui t'aime.Chère Maman, juste avant ton départ, je voulais m'assurer que tu as bien pris ton billet via New-York comme je te l'avais recommandé, car les lignes directes pour Brasilia sont beaucoup moins sûres.Ton fils qui t'aime, FidelMon Fidel chériNe te fais pas de souci, je dois bien prendre mon avion à Paris le 9 novembre comme convenu, mais tu ne me verras pas avant la fin du mois car j'arriverai de Brasilia le 23Ta maman qui t'aimeMon Fidel chériJe n'ai pas pris l'avion pour New York, ça m'était impossible. Mettre un seul pied sur le territoire de ces ânes bâtés qui, en plus de se croire les gendarmes du monde, ne sont pas foutus de voter logiquement. Tu connais mes idées, et je ne comprends pas comment leur système de grands électeurs peut passer pour de la démocratie. Je suis désolée pour ton mariage, mais il faudra compter sans moi.Maman,avec tout le respect que je te dois, tu n'es qu'une tête de lard. Tu ne te rends pas compte. Les villageois ont failli me lapider quand je leur ai dit que tu ne viendrais pas. Plus de mariage, plus d'élevage de chevaux. Ma vie est foutue. Je termine cette lettre et notre relation.Ton fils Fidel qui te dit adieu.
2 eme partie : on commence par la fin
Les cinq têtes massives et gigantesques se découpaient dans le soleil couchant, le regard aveugle tourné obstinément vers l'intérieur des terres.Tous les soirs il passait sur son cheval devant l'estancia d'Amalia comme en pélerinage, et longeait les cinq têtes en se dirigeant vers le promontoire d'où il s'imaginait peut-être la terre-mère d'el Chile, si loin là-bas vers l'est.Fidel, elle trouvait que ça lui allait bien comme prénom.On ne savait pas vraiment comment et de quoi il subsistait. Un héritage sans doute. Il vivait de peu, ne se mêlait jamais aux autres. On chuchotait que sa vie avait été brisée, qu'il haïssait les américains comme les communistes, et tout ce qui ressemblait à de la politique. Et que seuls les chevaux le passionnaient.Elle savait qu'il avait échoué sur leur île en 2016. Echoué, c'est bien le terme, il était arrivé sur un radeau fait de canettes de cocas , qui s'était disloqué sur les rochers du cap. A moitié mourant, il délirait en appelant sa mère.Elle était toute petite alors, c'était l'année où Trump avait été élu en Amérique, avant que cet affreux mur ne soit construit entre les 2 mondes, c'était avant la mort de l'autre Fidel, avant que Cuba ne devienne le 51ème état des USA...