Un petit chapeau aux couleurs fanées sur la tête, ce matin-là, comme chaque matin, tenant à la main son cabas duquel dépassaient poireaux, fanes de carottes et plumes de volaille fermière - c'était jour de marché - Albertine Parut poussa de toutes ses forces la lourde porte de l'église, franchit le ...
Il y a la musique d'All You Need is Love, reprise en chœur par les copains et les cousins, quand Louise, au bras de son jeune mari, sort de la petite chapelle tournée vers la mer. Elle a voulu se marier sur l'ile grecque où elle a passé presque tous ses étés d'enfant et d'adolescente.
Une robe couleur ivoire, des sandales dorées, des fleurs dans les cheveux, un hymne à l'été, à l'amour, à la vie,
Et il y a de la musique par intermittence, pendant que le soleil se couche sur la mer. Le copain DJ installe et teste son matériel, pendant que les employés du restaurant dressent des tables sur le sable d'Argyris Beach pour la fête de ce soir.
Avant d'aller se changer (Louise les veut tous en blanc), les jeunes jouent dans l'eau, plongent du ponton, s'envoient des ballons, rigolent, s'apostrophent.
La mère de Louise les regarde, ces gamins beaux comme de jeunes dieux.
Elle jette un regard circulaire sur les tables à la déco blanche et dorée, respire les odeurs mélangées de la mer, du jasmin et des grillades.
Un petit paradis.
Elle se détend, expire, sourit.
Elle a mené sa fille à bon port, vers cette ile, cette fête, vers l'avenir.
Il y a les cris d'une enfant en colère, un soir d'octobre. Dans le couloir gisent en tas une robe noire pailletée, une cape étoilée et un chapeau de sorcière.
La mère de Louise les a achetés au rayon jouets du Bon Marché, hésitant entre plusieurs déguisements, rajoutant à la dernière minute un seau orange en forme de citrouille au prix complètement déraisonnable.
Mais Louise ne veut pas de cette robe, de cette cape. Elle les a enlevés sitôt essayés. Elle veut mettre le costume de princesse que sa marraine lui a envoyé pour ses cinq ans, il y a quelques jours. Une robe à paniers bleu ciel, avec un jupon dont les baleines en plastique font balancer la jupe à chaque pas, un plastron lacé, un diadème étincelant. Louise n'aime pas le noir, les sorcières, les squelettes, encore moins les araignées. Elle aime la lumière, les princesses, les fées et les licornes, le bleu et le doré.
Elle regarde sa fille, cette blondinette aux yeux bleus pleins d'orage, les joues écarlates de colère, si déterminée, si forte, et elle fond de tendresse.
La sorcière attendra l'année prochaine, mais Louise prend le seau orange pour sa récolte de bonbons chez les voisins du quartier.
Il y a les applaudissements nourris qui accompagnent les gracieux saluts de Louise, seule sur la glace.
Quelques minutes seulement depuis son entrée, sur les premières notes du classique « Ange et Diable » de Rodriguez, aérienne dans sa tunique de velours bleu à paillettes et manches en gaze. Menton relevé, bras arrondis, un port de reine. Le chignon réglementaire et les lèvres rouges lui donnait des airs de femme.
Ses quinze ans ont dessiné sur la piste des arabesques, elle a virevolté, sauté le corps en vrille, déployé en mesure ses bras et jambes encore un peu arrondis.
Sur les gradins sa mère a retenu son souffle, partagée entre l'émerveillement et la peur. De la faute, de la chute surtout.
Il y aura les notes, bientôt, sur les écrans géants, un retour au vestiaire triomphal ou amer, les patins qu'on délace.
Mais pour l'instant elle savoure, elle se repait de la vision de sa fille saluant le public, essoufflée et radieuse sur la glace bleutée.
Il y a ce bip qui devient continu et strident, les flashes rouges qui s'allument, à l'autre bout de la salle.
Elle somnole dans une sorte de grotte sous-marine. Pénombre bleutée, chaleur humide, chuintement des nébulisateurs, clignotement des moniteurs, mouvements et chuchotements de créatures lunaires en sur-blouses bouffantes, charlottes et chaussons roses ou bleus.
Hier, sur les conseils de la maman de Tiago, elle est passée au Bon Marché, rayon poupées, et a choisi une grenouillère et un bonnet rose pour poupon Corolle.
Car tout à l'heure Louise sera baptisée par l'aumônier de l'hôpital. Un rituel pour affirmer que ce corps translucide, hérissé de tuyaux et de capteurs, qui pèse moins d'un kilo, est celui d'un membre de la communauté des humains.
Elle a voulu pour sa fille une tenue digne de l'occasion, par-dessus la couche microscopique, le bonnet tubulaire noué et des sparadraps blancs zébrant sa peau.
A la caisse, elle a refusé la proposition d'un paquet cadeau.