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Marc Antoine B.
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Textes d'ateliers

Il lève la tête, jette un oeil par l'aveuglement de la fenêtre et se repent aussitôt : le vert du jardin l'appelle ! Pour tailler, arracher, faner, émonder, ramasser, éclaircir, composter, alors rouge d'ampoules et de jurons, mal à la main, le carpien, s'apitoyer sur soi, foutu jardin. Pourtant le v...

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Invité - Claire Pasquié Aimable
12 novembre 2025
J'ai beaucoup apprécié l'écriture et la composition. Les mots voisins sont amenés avec virtuosité si...
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10 novembre 2025
Une troublante et inquiétante composition à deux voies explorant les nuances des synonymes du mot Ai...
Invité - Malclès Anne-Marie To.pierre
23 octobre 2025
Bravo, ce texte m'a beaucoup touché, la tension est magnifique ainsi que le thème.Anne-Marie Malclès

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07 décembre 2025

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"Pendant plusieurs jours de suite des lambeaux d’armée en déroute avaient traversé la ville. Ce n’était point de la troupe, mais des hordes débandées. Les hommes avaient la barbe longue et sale, des uniformes en guenilles, et ils avançaient d’une allure molle, sans drapeau, sans régiment. Tous semblaient accablés, éreintés, incapables d’une pensée ou d’une résolution, marchant seulement par habitude, et tombant de fatigue sitôt qu’ils s’arrêtaient. On voyait surtout des mobilisés, gens pacifiques, rentiers tranquilles, pliant sous le poids du fusil ; des petits moblots alertes, faciles à l’épouvante et prompts à l’enthousiasme, prêts à l’attaque comme à la fuite ; puis, au milieu d’eux, quelques culottes rouges, débris d’une division moulue dans une grande bataille ; des artilleurs sombres alignés avec ces fantassins divers ; et, parfois, le casque brillant d’un dragon au pied pesant qui suivait avec peine la marche plus légère des lignards. Des légions de francs-tireurs aux appellations héroïques : « les Vengeurs de la Défaite — les Citoyens de la Tombe — les Partageurs de la Mort » — passaient à leur tour, avec des airs de bandits. Leurs chefs, anciens commerçants en draps ou en graines, ex-marchands de suif ou de savon, guerriers de circonstance, nommés officiers pour leurs écus ou la longueur de leurs moustaches, couverts d’armes, de flanelle et de galons, parlaient d’une voix retentissante, discutaient plans de campagne, et prétendaient soutenir seuls la France agonisante sur leurs épaules de fanfarons ; mais ils redoutaient parfois leurs propres soldats, gens de sac et de corde, souvent braves à outrance, pillards et débauchés. Les Prussiens allaient entrer dans Rouen, disait-on. La Garde nationale qui, depuis deux mois, faisait des reconnaissances très prudentes dans les bois voisins, fusillant parfois ses propres sentinelles, et se préparant au combat quand un petit lapin remuait sous des broussailles, était rentrée dans ses foyers. Ses armes, ses uniformes, tout son attirail meurtrier dont elle épouvantait naguère les bornes des routes nationales à trois lieues à la ronde, avaient subitement disparu. Les derniers soldats français venaient enfin de traverser la Seine pour gagner Pont-Audemer par Saint-Sever et Bourg-Achard ; et, marchant après tous, le général désespéré, ne pouvant rien tenter avec ces loques disparates, éperdu lui-même dans la grande débâcle d’un peuple habitué à vaincre et désastreusement battu malgré sa bravoure légendaire, s’en allait à pied, entre deux officiers d’ordonnance. Puis un calme profond, une attente épouvantée et silencieuse avaient plané sur la cité. Beaucoup de bourgeois bedonnants, émasculés par le commerce, attendaient anxieusement les vainqueurs, tremblant qu’on ne considérât comme une arme leurs broches à rôtir ou leurs grands couteaux de cuisine. La vie semblait arrêtée ; les boutiques étaient closes, la rue muette. Quelquefois un habitant, intimidé par ce silence, filait rapidement le long des murs. L’angoisse de l’attente faisait désirer la venue de l’ennemi. Dans l’après-midi du jour qui suivit le départ des troupes françaises, quelques uhlans, sortis on ne sait d’où, traversèrent la ville avec célérité. Puis, un peu plus tard, une masse noire descendit de la côte Sainte-Catherine, tandis que deux autres flots envahisseurs apparaissaient par les routes de Darnetal et de Boisguillaume. Les avant-gardes des trois corps, juste au même moment, se joignirent sur la place de l’Hôtel-de-Ville ; et, par toutes les rues voisines, l’armée allemande arrivait, déroulant ses bataillons qui faisaient sonner les pavés sous leur pas dur et rythmé. Des commandements criés d’une voix inconnue et gutturale montaient le long des maisons qui semblaient mortes et désertes, tandis que, derrière les volets fermés, des yeux guettaient ces hommes victorieux, maîtres de la cité, des fortunes et des vies de par le « droit de guerre ». Les habitants, dans leurs chambres assombries, avaient l’affolement que donnent les cataclysmes, les grands bouleversements meurtriers de la terre, contre lesquels toute sagesse et toute force sont inutiles. Car la même sensation reparaît chaque fois que l’ordre établi des choses est renversé, que la sécurité n’existe plus, que tout ce que protégeaient les lois des hommes ou celles de la nature, se trouve à la merci d’une brutalité inconsciente et féroce. Le tremblement de terre écrasant sous les maisons croulantes un peuple entier ; le fleuve débordé qui roule les paysans noyés avec les cadavres des bœufs et les poutres arrachées aux toits, ou l’armée glorieuse massacrant ceux qui se défendent, emmenant les autres prisonniers, pillant au nom du Sabre et remerciant un Dieu au son du canon, sont autant de fléaux effrayants qui déconcertent toute croyance à la justice éternelle, toute la confiance qu’on nous enseigne en la protection du ciel et en la raison de l’homme. Mais à chaque porte des petits détachements frappaient, puis disparaissaient dans les maisons. C’était l’occupation après l’invasion. Le devoir commençait pour les vaincus de se montrer gracieux envers les vainqueurs. Au bout de quelque temps, une fois la première terreur disparue, un calme nouveau s’établit. Dans beaucoup de familles l’officier prussien mangeait à table. Il était parfois bien élevé, et, par politesse, plaignait la France, disait sa répugnance en prenant part à cette guerre. On lui était reconnaissant de ce sentiment ; puis on pouvait, un jour ou l’autre, avoir besoin de sa protection. En le ménageant on obtiendrait peut-être quelques hommes de moins à nourrir. Et pourquoi blesser quelqu’un dont on dépendait tout à fait ? Agir ainsi serait moins de la bravoure que de la témérité. — Et la témérité n’est plus un défaut des bourgeois de Rouen, comme au temps des défenses héroïques où s’illustra leur cité. — On se disait enfin, raison suprême tirée de l’urbanité française, qu’il demeurait bien permis d’être poli dans son intérieur pourvu qu’on ne se montrât pas familier en public, avec le soldat étranger. Au dehors on ne se connaissait plus, mais dans la maison on causait volontiers, et l’Allemand demeurait plus longtemps, chaque soir, à se chauffer au foyer commun. La ville même reprenait peu à peu de son aspect ordinaire. Les Français ne sortaient guère encore, mais les soldats prussiens grouillaient dans les rues. Du reste, les officiers de hussards bleus, qui traînaient avec arrogance leurs grands outils de mort sur le pavé, ne semblaient pas avoir pour les simples citoyens énormément plus de mépris que les officiers de chasseurs, qui, l’année d’avant, buvaient aux mêmes cafés. Il y avait cependant quelque chose dans l’air, quelque chose de subtil et d’inconnu, une atmosphère étrangère intolérable, comme une odeur répandue, l’odeur de l’invasion. Elle emplissait les demeures et les places publiques, changeait le goût des aliments, donnait l’impression d’être en voyage, très loin, chez des tribus barbares et dangereuses. Les vainqueurs exigeaient de l’argent, beaucoup d’argent. Les habitants payaient toujours ; ils étaient riches d’ailleurs. Mais plus un négociant normand devient opulent et plus il souffre de tout sacrifice, de toute parcelle de sa fortune qu’il voit passer aux mains d’un autre. Cependant, à deux ou trois lieues sous la ville, en suivant le cours de la rivière, vers Croisset, Dieppedalle ou Biessart, les mariniers et les pêcheurs ramenaient souvent du fond de l’eau quelque cadavre d’Allemand gonflé dans son uniforme, tué d’un coup de couteau ou de savate, la tête écrasée par une pierre, ou jeté à l’eau d’une poussée du haut d’un pont. Les vases du fleuve ensevelissaient ces vengeances obscures, sauvages et légitimes, héroïsmes inconnus, attaques muettes, plus périlleuses que les batailles au grand jour et sans le retentissement de la gloire. Car la haine de l’Étranger arme toujours quelques Intrépides prêts à mourir pour une Idée. Enfin, comme les envahisseurs, bien qu’assujettissant la ville à leur inflexible discipline, n’avaient accompli aucune des horreurs que la renommée leur faisait commettre tout le long de leur marche triomphale, on s’enhardit, et le besoin du négoce travailla de nouveau le cœur des commerçants du pays. Quelques-uns avaient de gros intérêts engagés au Havre que l’armée française occupait, et ils voulurent tenter de gagner ce port en allant par terre à Dieppe où ils s’embarqueraient. On employa l’influence des officiers allemands dont on avait fait la connaissance, et une autorisation de départ fut obtenue du général en chef. Donc, une grande diligence à quatre chevaux ayant été retenue pour ce voyage, et dix personnes s’étant fait inscrire chez le voiturier, on résolut de partir un mardi matin, avant le jour, pour éviter tout rassemblement. Depuis quelque temps déjà la gelée avait durci la terre, et le lundi, vers trois heures, de gros nuages noirs venant du nord apportèrent la neige qui tomba sans interruption pendant toute la soirée et toute la nuit. À quatre heures et demie du matin, les voyageurs se réunirent dans la cour de l’Hôtel de Normandie, où l’on devait monter en voiture. Ils étaient encore pleins de sommeil, et grelottaient de froid sous leurs couvertures. On se voyait mal dans l’obscurité ; et l’entassement des lourds vêtements d’hiver faisait ressembler tous ces corps à des curés obèses avec leurs longues soutanes. Mais deux hommes se reconnurent, un troisième les aborda, ils causèrent : « J’emmène ma femme, dit l’un. — J’en fais autant. — Et moi aussi. » Le premier ajouta : « Nous ne reviendrons pas à Rouen, et si les Prussiens approchent du Havre nous gagnerons l’Angleterre. » Tous avaient les mêmes projets, étant de complexion semblable. Cependant on n’attelait pas la voiture. Une petite lanterne, que portait un valet d’écurie, sortait de temps en temps d’une porte obscure pour disparaître immédiatement dans une autre. Des pieds de chevaux frappaient la terre, amortis par le fumier des litières, et une voix d’homme parlant aux bêtes et jurant s’entendait au fond du bâtiment. Un léger murmure de grelots annonça qu’on maniait les harnais ; ce murmure devint bientôt un frémissement clair et continu, rythmé par le mouvement de l’animal, s’arrêtant parfois, puis reprenant dans une brusque secousse qu’accompagnait le bruit mat d’un sabot ferré battant le sol. La porte subitement se ferma. Tout bruit cessa. Les bourgeois, gelés, s’étaient tus : ils demeuraient immobiles et roidis. Un rideau de flocons blancs ininterrompu miroitait sans cesse en descendant vers la terre ; il effaçait les formes, poudrait les choses d’une mousse de glace ; et l’on n’entendait plus, dans le grand silence de la ville calme et ensevelie sous l’hiver que ce froissement vague, innommable et flottant de la neige qui tombe, plutôt sensation que bruit, entremêlement d’atomes légers qui semblaient emplir l’espace, couvrir le monde. L’homme reparut, avec sa lanterne, tirant au bout d’une corde un cheval triste qui ne venait pas volontiers. Il le plaça contre le timon, attacha les traits, tourna longtemps autour pour assurer les harnais, car il ne pouvait se servir que d’une main, l’autre portant sa lumière. Comme il allait chercher la seconde bête, il remarqua tous ces voyageurs immobiles, déjà blancs de neige, et leur dit : « Pourquoi ne montez-vous pas dans la voiture ? vous serez à l’abri, au moins. » Ils n’y avaient pas songé, sans doute, et ils se précipitèrent. Les trois hommes installèrent leurs femmes dans le fond, montèrent ensuite ; puis les autres formes indécises et voilées prirent à leur tour les dernières places sans échanger une parole. Le plancher était couvert de paille où les pieds s’enfoncèrent. Les dames du fond, ayant apporté des petites chaufferettes en cuivre avec un charbon chimique, allumèrent ces appareils, et, pendant quelque temps, à voix basse, elles en énumérèrent les avantages, se répétant des choses qu’elles savaient déjà depuis longtemps. Enfin, la diligence étant attelée avec six chevaux au lieu de quatre à cause du tirage plus pénible, une voix du dehors demanda : « Tout le monde est-il monté ? » Une voix du dedans répondit : « Oui. » — On partit. La voiture avançait lentement, lentement, à tout petits pas. Les roues s’enfonçaient dans la neige ; le coffre entier geignait avec des craquements sourds ; les bêtes glissaient, soufflaient, fumaient ; et le fouet gigantesque du cocher claquait sans repos, voltigeait en tous sens, se nouait et se déroulait comme un mince serpent, et cinglait brusquement quelque croupe rebondie qui se tendait alors d’un effort plus violent."
06 décembre 2025

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"- Mais c’est assez parler des discours ; c’est la diction qu’il faut, je pense, considérer à présent, et nous aurons traité d’une manière complète et du fond et de la forme. - Alors Adimante : Je ne saisis pas, dit-il, ce que tu veux dire. -  Il le faut pourtant, dis-je. Peut-être saisiras-tu mieux de cette manière-ci. Tous ce que disent les conteurs de fables etles poètes n’est-il pas le récit d’événements passés, présents ou futurs ?   - Ce ne peut pas être autre chose, répondit-il. - Eh bien ! le récit dont ils usent n’est-il pas simple, imitatif, ou l’un et l’autre à la fois ? - Ceci aussi, dit-il, je te demanderai de l’expliquer plus clairement. - Je suis, à ce qu’il paraît, dis-je, un plaisant maître, je ne sais pas me rendre clair. Je vais donc faire comme les gens qui ne savent pas s’expliquer ; au lieu d’embrasser la question dans sa généralité, e je n’en prendrai qu’une partie, et j’essaierai de t’y montrer ce que je veux dire. Réponds-moi : tu sais par cœur le commencement de l’Iliade, où le poète raconte que Chrysès pria Agamemnon de lui rendre sa fille, que celui-ci s’emporta et que le prêtre, se voyant refusé, invoqua le dieu contre les Grecs ? -Oui. -Tu sais donc que jusqu’à ces vers : « et il conjurait tous les Grecs et en particulier les deux Atrides, chefs des peuples » le poète parle en son nom et ne cherche même pas à nous donner le change et à nous faire croire que c’est un autre que lui qui parle. Pour ce qui suit, au contraire, il le raconte, comme s’il était lui-même Chrysès, et il s’efforce de nous donner autant que possible l’illusion que ce n’est pas Homère qui parle, mais bien le vieillard, prêtre d’Apollon ; et c’est à peu près ainsi qu’il a composé tout le récit des événements qui se sont passés à Ilion, à Ithaque et dans toute l’Odyssée.   - C’est vrai, dit-il. - N’y a-t-il pas récit quand il rapporte, soit les divers discours prononcés, soit les événements intercalés entre les discours ? - Évidemment si. - Mais lorsqu’il prononce un discours sous le nom d’un autre, ne pouvons-nous pas dire qu’il conforme alors autant que possible son langage à celui de chaque personnage auquel il nous avertit qu’il va donner la parole ?   - Nous le pouvons ; je ne vois pas d’autre réponse. - Or se conformer à un autre, soit pour la parole, soit par le geste, n’est-ce pas imiter celui auquel on se conforme ? - Sans doute. - Mais en ce cas, ce me semble, Homère et les autres poètes ont recours à l’imitation dans leurs récits. - Assurément. - Au contraire si le poète ne se cachait jamais, l’imitation serait absente de toute sa composition et de tous ses récits. Mais, pour que tu ne dises plus que tu ne comprends pas comment cela peut être, je vais te l’expliquer. Si en effet Homère, après avoir dit que Chrysès vint avec la rançon de sa fille supplier les Achéens et en particulier les rois, continuait à parler, non pas comme s’il était devenu Chrysès, mais comme s’il était toujours Homère, tu comprends bien qu’il n’y aurait plus imitation, mais simple récit. La forme en serait à peu près celle-ci, en prose du moins ; car je ne suis pas poète. « Le prêtre étant venu pria les dieux de leur accorder de prendre Troie en les préservant d’y périr, et il demanda aux Grecs de lui rendre sa fille en échange d’une rançon et par respect pour le dieu. Quand il eut fini de parler, tous les Grecs témoignèrent leur déférence et leur approbation ; seul, Agamemnon se fâcha et lui intima l’ordre de s’en aller et de ne plus reparaître ; car son sceptre et les bandelettes du dieu ne lui seraient d’aucun secours ; puis il ajouta que sa fille ne serait pas délivrée avant d’avoir vieilli avec lui à Argos ; il lui enjoignit de se retirer et de ne pas l’irriter, s’il voulait rentrer chez lui sain et sauf. Le vieillard entendant ces menaces eut peur et s’en alla sans rien dire ; mais une fois loin du camp, il adressa d’instantes prières à Apollon, l’invoquant par tous ses surnoms, et le conjura, s’il avait jamais eu pour agréables les temples que son prêtre avait construits et les victimes qu’il avait immolées en son honneur, de s’en souvenir et de lancer ses traits sur les Grecs pour leur faire expier ses larmes. » bVoilà, mon ami, comment se fait un récit simple, sans imitation.   - Je comprends, dit-il. - Comprends donc aussi, dis-je, qu’il est une espèce de récit opposé à celui-là, quand, retranchant les paroles du poète qui séparent les discours, on ne garde que le dialogue. - Je le comprends aussi, dit-il : c’est la forme propre à la tragédie. - C’est en juger très justement, dis-je. Je pense qu'à présent tu vois clairement ce que je ne pouvais pas te faire saisir tout à l’heure, à savoir que la poésie et la fiction comportent une espèce complètement imitative, c c’est-à-dire, comme tu l’as dit, la tragédie et la comédie ; puis une deuxième qui consiste dans le récit du poète lui-même ; tu la trouveras surtout dans les dithyrambes; et enfin une troisième, formée du mélange des deux autres ; on s’en sert dans l’épopée et dans plusieurs autres genres. Je me fais bien comprendre ? - Oui, j’entends, dit-il, ce que tu voulais dire. - Rappelle-toi aussi qu’antérieurement à ceci nous disions que nous avions traité de ce qu’il faut dire, mais qu’il restait à examiner comment il faut le dire. - Je me le rappelle. - Or je disais précisément qu’il fallait décider entre nous si nous permettrions aux poètes de nous faire des récits purement imitatifs, ou d’imiter telle chose, et non telle autre, et lesquelles dans l’un et l’autre cas, ou si nous leur interdirions absolument l’imitation.   - Je devine, dit-il, ce que tu as en vue, savoir si nous admettrons la tragédie dans notre État, ou si nous l’exclurons. - Peut-être, dis-je, peut-être d’autres choses encore ; je n’ensais rien pour le moment ; mais partout où le souffle de la raison nous poussera, nous nous y rendrons. - C’est bien dit, répondit-il."
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Dialogues et roman

Pas trop de dialogues dans un roman !

Voici un de ces lieux communs de l'écriture littéraire qui ont la vie dure. Si la littérature est un art et non un produit standardisé ou un rituel, elle doit pouvoir utiliser dialogue, description ou récit à sa guise. Mais il s'agit ici du roman me direz-vous, c'est un genre avec ses codes dont il faut tenir compte. Jacques Le Fataliste, roman "hybride" selon l'expression de Marie-Hélène Boblet, nous prouve que le genre « roman » n'a jamais été une forme pure. Aujourd'hui plus encore, le mot roman et donc le genre  qui porte ce nom, n'est qu'un moyen de se repérer et non une série de règles et de recettes à respecter.

Un bon dialogue offre des possibilités spécifiques qui ne pourront pas être atteintes sans lui : impression d'immédiateté, reconnaissance des différences entre les personnages par leur façon de s'exprimer, saisie directe de leur "voix" et, ce qui me semble essentiel, une façon subtile de cerner les relations entre les personnages sans passer par la machine à expliquer que devient si vite le narrateur. Le dialogue allège le rythme et laisse la place au lecteur : sous-entendus, allusions … sont pris au vol et non révélés par une instance indépendante. La forme des répliques, leur alternance prennent ici une valeur spécifique.

Paresse de l'auteur? L'écriture serait-elle une épreuve de bonne conduite ? Une démonstration de force littéraire et de bonne volonté ? Etrange positionnement ! Doit-on en conclure que le théâtre est le domaine des fainéants ? Un dialogue vivant et réaliste n'est pas facile à écrire. Une question d'équilibre ? La recherche systématique de l'équilibre court le risque d'exclure l'originalité, la fulgurance, la forme inédite… Explorer le roman dialogué, se situer à la limite du roman et du théâtre ? Pourquoi pas, si cela apporte de nouvelles pistes, correspond au thème et se déploie avec talent ? Le dialogue n'est-il pas aussi une manière de faire confiance à la force du verbe ?

Rester ouvert au travail d'un auteur sans à-priori me semble indispensable pour échapper à la sclérose. Curieusement, ce sont souvent ceux qui dénoncent la standardisation de la littérature contemporaine qui, d'un autre côté, jugent une œuvre d'après de tels critères, etrangers à sa logique interne.

Quelques pistes de lecture :

- Le Roman dialogué après 1950. Poétique de l'hybridité, Marie-Hélène Boblet (Honoré Champion )

- Diderot - Jacques le fataliste

Parmi tant d'autres l'on pourrait citer de nombreux livres d'Amélie Nothomb, mais aussi de Marguerite Duras, de Nathalie Sarraute qui sont des romans dialogués.

- Le Bruit et la fureur de William Faulkner est essentiellement un roman dialogué.

Un exemple extrême, Le diner en ville de Claude Mauriac n'est constitué que par les échanges polyphoniques de huit convives autour d'une table dans un diner mondain. 

Les goélands
L'ATTENTE

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Phrases d'auteurs...

"Si vous avez quelque chose à dire, tout ce que vous pensez que personne n'a dit avant, vous devez le ressentir si désespérément que vous trouverez un moyen de le dire que personne n'a jamais trouvé avant, de sorte que la chose que vous avez à dire et la façon de le dire se mélangent comme une seule matière - aussi indissolublement que si elles ont été conçus ensemble."  F. Scott Fitzgerald

"Le romancier habite les seuils, sa tâche est de faire circuler librement le dedans et le dehors, l'éternité et l'instant, le désespoir et l'allégresse."  Yvon Rivard

" La vie procède toujours par couples d’oppositions. C’est seulement de la place du romancier, centre de la construction, que tout cesse d’être perçu contradictoirement et prend ainsi son sens."  Raymond Abellio

"Certains artistes sont les témoins de leur époque, d’autres en sont les symptômes."  Michel Castanier, Être

"Les grandes routes sont stériles." Lamennais 

"Un livre doit remuer les plaies. En provoquer, même. Un livre doit être un danger." Cioran

"J'écris pour me parcourir. Peindre, composer, écrire : me parcourir. Là est l'aventure d'être en vie."Henri Michaux

"La littérature n’est ni un passe-temps ni une évasion, mais une façon–peut-être la plus complète et la plus profonde–d’examiner la condition humaine." Ernesto Sábato, L’Ecrivain et la catastrophe

"Le langage est une peau. Je frotte mon langage contre l'autre. " Roland Barthes, Fragments d'un discours amoureux 

 

 

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