Un petit chapeau aux couleurs fanées sur la tête, ce matin-là, comme chaque matin, tenant à la main son cabas duquel dépassaient poireaux, fanes de carottes et plumes de volaille fermière - c'était jour de marché - Albertine Parut poussa de toutes ses forces la lourde porte de l'église, franchit le ...
Une fin de soirée.
Un homme et une femme se préparent à regarder
un film à la télévision. Les pieds posés sur la table
basse, une tasse de café à la main, l'homme attend
que le film commence ; elle, lunettes sur le nez,
dispose un plaid sur ses jambes, puis se renfonce
dans le canapé avec un sourire de contentement :
Ça y est, ça commence !
Une femme, nue, sur un lit, allongée sur le ventre, s'adresse à un homme qui la regarde, adossé à la tête de lit.
« Tu les vois mes pieds dans la glace ?
- Oui
Tu les trouves jolis ?
-Oui, très !
LUI, surpris par ce qu'il voit, pose lentement sa tasse sur la table basse, sans quitter l'écran des yeux.
Mais qu'est-ce qui lui prend ? Pourquoi elle me montre ça ? C'est un message ? un piège ?
Il se tourne légèrement vers sa compagne comme pour l'interroger.
ELLE, sans le regarder, prend un carré de chocolat sur la table et le met vivement dans sa bouche.
Au moins, lui, il répond quand on lui demande et il répond vraiment !
Et mes chevilles, tu les aimes ?
-Oui.
Tu les aimes mes genoux aussi ?
-Oui j'aime beaucoup tes genoux.
ELLE soupire.
Et moi quand je lui demande s'il m'aime, qu'est-ce que j'ai comme réponse ? Mais tu le sais bien que je t'aime, ou alors les jours où il est un peu énervé par son travail, Tu veux quand même pas que je te le dise tous les jours, ça n'aurait plus de sens ! Parce que ça a du sens de ne pas le dire ?
Le chat grimpe sur le canapé, vient se lover sur les genoux de la femme ; de ses doigts, elle lui caresse le front en faisant des petits cercles, on entend les ronronnements du chat.
Tu les trouves jolies mes fesses ?
- Oui, très !
LUI : C'est vrai qu'elle a une sacrée plastique cette fille !
Et mes seins tu les aimes ?
Oui, énormément !
LUI, il délaisse l'écran et du coin de l'œil, il observe sa compagne dont le visage s'est fermé.
Je sais exactement ce qu'elle pense en ce moment ! Je ne lui dis jamais que je l'aime ! C'est une obsession chez elle ! Mais pourquoi elle ne voit pas que je le lui dis tous les jours, tout le temps ?
Et mon visage ?
-Aussi !
ELLE , Lui aussi, il me le dit que je suis belle et il croit que ça suffit, ma fossette, mes rides au coin des yeux, il aime tout et même mon nez que je déteste, mais ce n'est pas ça dire Je t'aime !
De la main, ELLE soulève le chat et le maintient contre elle, sa tête dans son cou.
LUI, Je l'aime, Je le lui dis quand elle me réveille à minuit pour me lire ce qu'elle a écrit et que je l'écoute, quand nous nous endormons dans les bras l'un de l'autre, quand nous marchons dans les bois avec les enfants. Pourquoi est-ce qu'il lui faut autre chose ?
Tout ? Ma bouche, mes yeux, mon nez, mes oreilles ?
-Oui, tout !
ELLE s'agite sur le canapé, le chat saute par-dessus le bras du fauteuil et s'enfuit.
J'en peux plus d'entendre ça, c'est pas possible, c'est de la provocation !
Elle se lève, pose ses lunettes sur la table basse, le plaid tombe à ses pieds, elle reste debout un instant, puis finalement se rassied.
LUI, la regarde faire, étonné.
Parfois, cette femme est un mystère pour moi !
Donc, tu m'aimes totalement.
ELLE, se passe la main dans les cheveux.
Totalement, waouh ! Ça aurait de l'allure, Je t'aime totalement, j'en connais qui seraient jalouses !
LUI, Mais qu'est-ce que ça veut dire aimer totalement ? Comment peut-on aimer totalement quelqu'un ? Ça n'existe pas ça ! On aime et puis c'est tout !
- Oui, je t'aime totalement, tendrement, tragiquement.
Moi aussi, Paul...*
ELLE attrape un mouchoir dans son sac, le roule en boule dans sa main.
Totalement, tendrement, tragiquement.Non, mais, c'est quoi ça ! Déjà, Totalement c'était pas mal mais là, on n'est pas au théâtre ! Ce qui est tragique c'est qu'il ne le dise pas ! Je ne demande pas des : Totalement, tendrement, tragiquement… Je ne veux rien d'extraordinaire, moi ! Ce que je veux, c'est un vrai Je t'aime, unJe t'aime tout court, les yeux dans les yeux, un Je t'aime, comme au début, c'est pas compliqué.
ELLE ramasse le plaid, le tient contre elle et s'enfonce dans le canapé, le mouchoir sur la bouche.
C'est vrai que la première fois, il a mis du temps !J'entends encore son Je t'aime, sa voix un peu étranglée, une nuit, au téléphone, j'en pleurais. Aujourd'hui c'est loin, c'est à croire qu'il l'a dit une fois pour toutes. Comment c'est possible ?
Ses larmes coulent sans qu'elle ne les retienne.
Je le sais bien qu'il m'aime, puisqu'il est toujours capable de me dire de belles choses pleines de poésie qui me donnent des frissons, mais je voudrais juste l'entendre me dire ces trois mots avec sa voix grave, Je t'aime !
LUI, il sent ses sanglots étouffés, se rapproche d'elle, passe son bras autour de ses épaules, il enfouit la tête dans ses cheveux et la serre contre lui.
Oh ! ce parfum ! Voilà qu'elle pleure maintenant !
ELLE se laisse faire et pleure de plus belle.
LUI, Pourquoi est-ce que je n'y arrive pas ? Le dire, ne pas le dire, le dire toujours, le dire jamais. Je le lui ai dit une fois, vraiment, avec les mots qu'elle attendait, il y a longtemps, au début de notre histoire. Elle en pleurait. Mais si on les redit trop souvent, ces mots-là perdent de leur force. Mais elle, elle les veut, elle les attend, ces mots, tous les jours, tout le temps. Et je ne peux pas les lui donner.
Pourtant, Je l'aime.
*(Extrait du film de Jean-Luc Godard, Le mépris, avec Brigitte Bardot et Michel Piccoli)