Les Bacchus de Caravage m'obsédaient, leur chair délicate, légèrement rosée, que l'on devinait subtilement parfumée, cette chair secrètement désirée que je voulais frôler, caresser, dévorer même. Chefs d'œuvre ! Mais lorsque je l'avais abordé, c'est d'abord son odeur qui me retint, intense, aux effluves déroutantes et nouvelles qui convoquait plutôt Bacon, une odeur de sueur fauve évoquant la fosse aux lions du zoo de Vincennes, une odeur de crainte et de conquête à la fois, quelque chose de chaud et d'humide, vaguement écœurante. Un mâle souverain comme le grand gibier, altier, blessé aussi.
Adossé à la baraque n° 17 il m'avait regardé approcher un rictus amer aux lèvres. Sa nonchalance laissait supposer une expérience que je ne possédais pas. Tout s'était déroulé très vite, dans une sorte d'urgence éperdue. Des sapes au sol se détachaient une odeur d'ail frit, prégnante, huileuse comme les reflets qui découpaient ses muscles sur la crudité de cette nuit ; je me collai contre lui, nous échangeâmes quelques paroles murmurées puis ses lèvres s'entrouvrirent et j'y bus un goût de tabac mêlé de salive rêche, une clope à laquelle je n'avais pas touché depuis trois ans et dont il m'offrait avec volupté la jouissance. Je cherchai ses mains, brutales, crevassées de plâtre, j'empoignai son épaisse chevelure noire en songeant aux caresses Baudelairiennes « Laisse-moi respirer, longtemps, longtemps…mon âme voyage sur ton parfum… » Une impalpable poussière s'éleva du sol comme un nimbe alors que nous ondulions, peau à peau, affolés de plaisir, fulgurance, puis il s'était retiré, trop vite, me laissant languide, esseulé, absent à moi-même.
J'étais devant la toile, dans la lumière douce de l'atelier, une odeur d'encens flottait dans l'air, je devais retrouver la puissance de ce corps qui m'avait chaviré. Alors Caravage et Bacon se dressèrent dans une radicalité impérieuse qui me sembla soudain irréductible.