Par Anne-Marie Dufes le samedi 18 avril 2020
Catégorie: Textes d'ateliers

Une douceur animale (Triptyque 1)

Sous la treille de Clinton, la porte bleue de l'écurie s'ouvre en deux battants. Sur le bas, les planches disjointes laissent des trous, souvent, j'y épiele bouc avec un mélange de terreur et d'attrait que je ne comprends pas. Aujourd'hui, il n'est pas là. Blanchette, au milieu, me regarde, elle domine le troupeau. Elle a dû faire sa toilette parce que sa robe est toute propre. Elle mâchouille quelques herbes qu'elle a choisi, elle choisit toujours les meilleures... Je la connais, elle est très gourmande. C'est une aristocrate ... Blanchette.

Je me hausse sur la pointe des pieds et attrape la cale de bois pour ouvrir et je pénètre dans l'écurie. Grisette vient chercher une caresse, je mets mon nez dans son encolure, j'aime cette odeur animale à la fois acre et suave.... Sa chaleur et la mienne, deux douceurs entremêlées. Une petite gratouille et la voilà qui repart à la recherche de Lisette, la banude du troupeau, avec ses cornes fièrement dressées sur la tête, mais celle ci tape de sa patte arrière, non, elle ne veut pas de sa compagnie. Tiens, grand-père a mis du foin frais dans le râtelier, comme il sent bon, un mélange de miel et de sucre. Au sol les "pécoules" sont nombreuses, pour certaines alignées comme le chapelet de grand-mère avec ses perles noires et brillantes... Il faudrait de la paille fraîche. J'aperçois Joséphine, avec sa robe chamoisée, elle lèche la pierre de sel qui ressemble à une vertèbre, des trous se sont formés.... Il m'arrive parfois d'en sucer les bords, c'est mon petit secret. Nanou, où es-tu ? Ah! C'est l'heure de la traite, peut-être grand-mère me permettra-t-elle de traire, j'aime bien serrer les trayons, c'est doux et chaud à la fois. Les petits pas de grand-mère qui descendent l'escalier et sa voix chaude qui m'enveloppe: "Ma Nine, tu es là!" Elle prend son escabel et s'approche de Blanchette, une tape sur la croupe et celle-ci se met en place. Elle s'assoit et commence à traire. J'affectionne ces moments-là dans la tiédeur de l'écurie, les mains toutes ridées de grand-mère sur les mamelles de la chèvre et la musique cadencée du lait qui gicle sur le seau en zinc. " Va me chercher Grisette... Attrape-la par son collier." 

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