Par Michel Joye le vendredi 30 avril 2021
Catégorie: Textes d'ateliers

Texte en miroirs

 Cher Toi-même

Enfant, je me suis vu grandir. Trois fois par jour, tu me regardais tourner ma brosse à dent. Je me suis intéressé à toi le jour où tu m'as montré ces horribles boutons d'acné. Je me suis rapproché de toi, je t'ai scruté, je voulais voir et aussi savoir ce que tu avais à me dire. Tu me donnes des messages, tu es muet. Tu m'as fait adorer et détester mes coupes de cheveux. Mes premières lunettes, m'ont permis de te transpercer encore plus profondément. Tu as fait briller mes premiers cheveux gris, pour me les faire mieux compter. A travers toi, j'ai détesté mes premières rides qui ont déclenché les suivantes, ces traces des années qui me diminuaient. Ami, tu me renvoies aussi chaque jour le plaisir d'exister. En me regardant, je me projette dans mon rapport aux autres, pour la journée qui s'annonce. Gardien, tu me montres mes excès et tu m'invites à les corriger. Tu m'aides à m'aimer pour mieux aimer les autres. Cette image secrète que je suis seul à voir avec moi- même, je voudrais la manipuler, la façonner, parfois la tordre et la déchirer. Pourtant, jamais je ne te ferai du mal, je dois accepter la vérité que tu m'imposes. Une complicité est née entre nous. Les autres ne peuvent la percer, elle est secrète, elle est codée, elle est inversée. Avant de t'approcher pour que tu me reflètes, je m'assure toujours de notre intimité. Tu me quittances que j'existe, tu ne me demandes rien, comment te dire merci. Mon Ami, je sais que tu ne me quitteras pas.

Bien amicalement

                                                                                        Moi-même

                                                                          Cher Moi-même

Chaque matin je t'attends, je suis là pour toi, fidèle au poste. Pour me dire bonjour, tu me jettes une grimace. Oui c'est encore toi, même à l'envers. Pour faire connaissance, j'ai dû supporter tes postillons lorsque tu agitais ta brosse à dents dans ta bouche, mais tu étais si mignon. J'ai aimé te voir grandir. Je t'ai montré tes premiers boutons d'acné. Enfin tu restais un peu avec moi, j'étais là pour toi et j'étalais tout mon savoir- faire. J'existais enfin au travers de ton regard, tu me dévisageais. J'avais envie d'une amitié, je te donnais tout ce que je savais faire et toi, tu ne m'offrais jamais rien, tu prenais toujours. Alors je me suis bien souvent révolté. Oui, mes messages ont pu te sembler parfois si durs, si provoquants. Que faisais-tu pour les adoucir. Tu te laissais aller et tu me rendais responsable de ton mal-être. Ensemble nous avons vieilli. Usé par toutes ces années de déceptions, de tristesses, je deviens opaque. Je floute tes flétrissures et c'est encore toi qui bénéficies de ma lassitude. Nous sommes un vieux couple qui a tenu secrète son intimité dans leur salle de bains, véritable sanctuaire de notre attachement. Je t'ai aidé à t'accepter, pour mieux te faire aimer par les autres et aussi pour mieux me laisser seul. Ils comptent énormément pour toi et pourtant, tu ne me laisses pas les refléter et tu me dis que je suis ton meilleur ami. Je suis ton ami d'enfance, avec qui tu partager des images effacées, un ami avec qui tu ne joues plus.

                                                                           Bien amicalement

Toi-même

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