Tes yeux noirs qui pétillent. Une lumière dans tes yeux. Ce ne peut être une lumière noire. Je ne saurais la définir, la lumière de tes yeux. Ta barbichette noire qui se tend vers l'avant, insolente et pointue. Ton regard de diable cherche à séduire quelqu'un.
Autour de toi, les dames. Ce sont elles que tu vois. Il y a les hommes aussi. Tes rivaux. Il y a les hommes aussi mais tu n'en as pas peur. Tu connais ta force. Tu ne gagnes pas toujours mais tu gagnes souvent.
Tu es dans un salon, comme à ton habitude. Tu aimes les salons. Agricoles, littéraires… qu'importe pourvu qu'il y ait des femmes !
Dehors, les cerisiers en fleurs. C'est le printemps, la saison des amours. Des amours ou des accouplements ? Ce soir, tu auras quitté ce jardin pour un autre, le tien. Ce salon pour une chambre, la tienne. Tu ne seras pas seul. Une elle, tu ne sais pas encore qui, une elle sera là.
Chaque année, tu l'attends, ce printemps, ce temps privilégié entre tous où ton corps danse avec ceux des oiseaux.Mais tu n'en as pas vraiment besoin. Séducteur tous salons, séducteur toutes saisons, tu sais que quel que soit l'état de la Nature, elle arrivera, la joie de la conquête. Tu sais que s'épanouiront les nuits qu'on appelle folles mais que tu considères comme les seules dignes d'être vécues. Ces corps, oh, ces corps ! Plus ils sont blancs, plus ils te plaisent.Bronzés, ils ont pour toi un certain charme. Mais blancs, ah blancs… Pour ton voyage au pays des sens, tu les aimes plus blancs qu'écume, que goéland, que la voile d'un navire.
Dans un salon, dans un jardin, dans une chambre aux rideaux blanc femme, ne dépasses-tu jamais cette joie physique ? Ne débarques-tu jamais dans un autre sentiment ? Une joie plus haute par exemple ? Plus haute, non, mais plus vaste, oui. À certains moments, ton navire t'entraîne au bout des océans et tu séduis en songe des Africaines à la splendeur de peau ébène ou des femmes Peau Rouge, une plume dans leurs cheveux.
D'autres fois pourtant, il ne s'agit pas d'une joie mais d'un regret. Le regret d'une femme, blanche certes –les autres couleurs sont pour toi chimériques – mais blanche une fois pour toutes. Toujours du même blanc. Décider de prendre en compte ce regret, tu ne le feras jamais.
Car ce regret, te l'es-tu seulement confié à toi-même ?Tu ne l'as jamais avoué à personne. Ni à moi, ta sœur, ni à ta mère, ni à ton psychanalyste, j'en suis sûre. Ni à moi, ta sœur. Ni à moi et pourtant je sais qu'il existe. Je me souviens… tu dois te souvenir. J'avais quatre ans, tu en avais cinq. On essayait ensemble de construire un château de sable sur une plage bretonne. Tu m'as dit : quand je serai grand je me marierai avec Diane. Parce qu'elle te ressemble. Diane a épousé un avocat.
Je suis toujours là et seule, blanche au milieu des dames blanches. Je suis blanche et seule. Et je ressemble à Diane.