Texte d'origine : « La douleur qui précède la chute. Les fantômes qui dansent devant les yeux. Autour, tout est anéanti. C'est vide, déserté. L'image sans le son. On regarde autour de soi. Les formes, les objets, les gens qui habituellement font sens, sont vidés de leur substance. Comme lorsqu'on lit le mot « table » et qu'à force de l'examiner, on n'est plus sûr de la signification de ces signes juxtaposés. Ils nous semblent étranges, comme un dessin, un code qui ne transmet plus sa signification.
Crevée à l'intérieur de moi-même, le barrage de ma gorge en feu retient le flot, laisse le liquide acide refluer et me dévorer l'âme.
Seul un cri, venu du fin fond de mes entrailles et traversant les âges, pourrait exprimer l'indicible. Je le sens monter, comme une vague irrépressible et sourde. Ce tremblement qui part du bas de mon corps, ce hurlement qui déboule en avalanche ascendante, qui arrache ma gorge et me déchire le ventre, explosant tout à l'intérieur et à l'extérieur ».
Mise en abyme de la mise en abyme. L'auteur, à travers moi, doit réaliser un exercice de réécriture, au sein d'un texte lui-même réalisé dans le cadre d'un atelier, et je ne peux m'en détacher. Ainsi je fausse un peu la consigne car le texte en lui-même est influencé par ce contexte. J'ai l'impression de formaliser ce qui me traverse l'esprit quand je fais un travail de réécriture pour un de nos ateliers mensuels.
Il est différent de modifier un texte lorsque qu'on dialogue entre soi et soi. Dans le cas de l'atelier, s'invitent les pensées parasites telles que : « que vont penser les autres ? » « que pense l'animatrice ? », « est-ce que mon style doit-être plus comme ça ou comme ça pour répondre aux attentes ? ».
On se situe ici sur un nœud sensible. On ne doit pas écrire pour faire plaisir aux autres MAIS comment faire la part des choses entre les modifications de texte qui nous font progresser, les modifications de texte qui nous font nous perdre, les modifications de texte qu'on fait pour correspondre à ce qu'on imagine que les autres attendent ?
Mon cerveau est un moulin sans fin, ces questions de réécriture le torturent. Un texte est un élan où, pour une fois, le cerveau se tait, ou bien il fonctionne différemment. Une fois accouché, on ne veut plus toucher au bébé. Pourquoi ? Parce que ça a été déjà tellement difficile de le mettre au monde, on s'est déjà posé tellement de questions, on a déjà modifié tellement de choses, retouché à ci ou ça, qu'à la fin on estime que l'objet est terminé. On ne veut plus en entendre parler. Il ne nous appartient déjà plus. On préfère presque réécrire un nouveau texte que de devoir coller par-ci un peu d'argile, tel un pansement stupide qui ne fait pas corps avec le reste de la sculpture, ou d'enlever artificiellement par-là des petits morceaux. Ou bien doit-on casser et tout remodeler ?
Voilà pourquoi, dans le cadre de cet atelier, concernant le « texte cobaye » que l'auteur doit retoucher, j'ai fait exprès d'écrire quelque chose d'un peu brut, que j'aurais moins de scrupules à retravailler, car je sais que la forme est en construction. J'ai biaisé en quelques sorte. Je n'ai pas passé 2 heures à transpirer sur mon texte, je l'ai écrit en quelques minutes.
Alors, allons-y, mettez-moi ça sur la table et qu'on l'observe !
Ah, attendez ! Avant toute chose, en repensant à ce que je viens de vous dire à l'instant, on pourrait avoir l'impression de quelqu'un de très prétentieux qui estime que son texte est parfait et qu'il n'y a rien à y apporter de plus une fois terminé. Loin de là. C'est juste un objet qui existe, beau ou moche, expressif ou non, ou se situant dans toute la palette qui existe entre ces 2 extrémités. Mais il est là, et on ne peut pas le changer. Il y a même parfois quelque chose de l'ordre du sacré. Ce n'est pas avec ce mot que je vais redonner de l'humilité à ce que j'essaye de vous expliquer. Mais je me réfère à l'élan d'écriture, c'est à cela que je donne une dimension sacrée. Vous, à qui je parle, vous avez tous ressenti ça. Cet élan, cette vague qui vous emporte, qui vous transporte. Même si ça n'empêche pas de douter, de se débattre, de se décourager quand on sent qu'on « n'y est pas ».
Je me suis complètement éparpillée et cet objet auquel je donne naissance est biscornu et décousu. Qu'importe, acceptons l'ébauche, le brouillon. C'est ainsi que je vous le livre, avec ces divagations, élucubrations comme dirait Edouard Baer. Je vous livre un plat indigeste fait d'expérimentations culinaires. Je vous ai perdus, je m'en réjouis. Je joue avec vous, je joue avec la consigne, la mise en abyme. Je m'adresse à vous dans un contexte précis, pour notre rendez-vous de ce samedi 13 janvier 2024 à 10h, par zoom, avec des participants définis, ce qui n'en fait pas un texte universel. Excusez-moi pour ce manque de sérieux, je m'appliquerai plus la prochaine fois, promis.
Et pour aller au bout de mon impertinence, je ne relirai pas mon texte. Une fuite ? Oui ! car vous l'avez compris, la réécriture est pour moi un travail très douloureux. Je prends sur moi.
Bon. Ok. Après avoir bien parlementé avec moi-même, j'arrête de prendre le sentier de traverse et je vais regarder mon petit texte du début dans le blanc des yeux.
Salut toi.
La première chose qui me saute aux yeux, c'est cette succession phrases de courtes : « Autour tout est anéanti. C'est vide, déserté. L'image sans le son. On regarde autour de soi ». Cela peut en énerver certains, car ça fait penser à un effet de mode de l'écriture contemporaine. Ce n'est pas pour répondre à une mode que j'écris comme cela. Pour moi, l'écriture c'est un rythme, une musique, avec des phrases qui scandent, des mots qui chantent et se répondent.
Parfois même, on me reproche que cela n'a pas de sens, comme une écriture désincarnée. C'est d'ailleurs visible dans le petit texte. Il n'y a pas de personnages, pas de lieu. En effet, je n'aime pas les descriptions. C'est problématique car c'est un peu comme si je me détachais du réel et cela peut créer du désintérêt pour le lecteur qui a besoin de choses concrètes, sinon ça flotte dans l'air.
Il faudrait donc ajouter une introduction, qu'on sache qui est cette femme désespérée, qu'on comprenne les évènements qui l'ont amenée là. Est-ce qu'elle a perdu un enfant, est-ce qu'elle est dans un deuil insurmontable et inacceptable ? Raccrocher les mots qui s'envolent à la vie sur Terre.
Je poursuis ma lecture « Je le sens monter, comme une vague irrépressible et sourde ». Est-ce que le mot « sourd » n'est pas un peu trop attendu ? On est baignés de formules toutes faites, j'essaye de me détacher au maximum de ces recettes déjà utilisées et auxquelles mon oreille est accoutumée malgré moi. Aucune idée ne vient pour l'instant, j'y reviendrai plus tard.
Je tombe ensuite sur une phrase qui me semble un peu redondante : « Comme quand on lit le mot « table » et qu'à force de l'examiner, on n'est plus sûr de la signification de ces signes juxtaposés. Ils nous semblent étranges, comme un dessin, un code qui ne transmet plus sa signification. »
Je crois aussi que parfois mon défaut c'est que je me répète, car j'ai envie de trouver le mot qui exprime exactement ce que je veux dire. Alors je l'approche, je tourne autour avec différentes variations pour cerner au mieux le sentiment. L'enserrer dans un moule qui le fait ressortir en filigrane.
Alors, aller droit au but ou faire des virevoltes ? L'alternance au gré des ressentis me semble un bon cheminement.
L'autre défaut de cette phrase c'est qu'elle commence par « comme », ce qui n'est pas très joli stylistiquement. Il faut que je retravaille ça. Je me laisse parfois un peu trop de liberté à ce niveau-là, car j'ai l'impression que le plus important pour moi est d'exprimer l'émotion. L'émotion pure, brute. C'est ce qui me raccroche à l'écriture. Je veux bousculer le lecteur, je ne veux pas qu'il s'endorme, je veux lui transmettre ma vibration.
Il est difficile d'apporter une conclusion à tout ça, tant le débat est encore vif en moi.
Je dirais que l'important est de conserver l'identité de son écriture, ce qui en constitue le cœur… tout en accueillant les apports qui assouplissent la matière, élargissent les horizons et la font grandir et s'épanouir.