Par Helene HAMMES le vendredi 6 octobre 2023
Catégorie: Textes d'ateliers

Paysage cévenol

Les badinages insouciants du début du voyage avaient laissé place à un mutisme médusé. Nous reprîmes conscience au bout d'un temps, j'ignore s'il fut long ou fugace. Les impros d'un pianiste emplissaient l'habitacle, s'étendaient bien au-delà, jusqu'aux plus noires profondeurs de ce paysage immense. Il faisait nuit, une nuit de Cévennes. De fracassants éclairs se battaient sous un tonnerre sans trêve, des trombes abreuvant ces larges et sombres gorges qui en demandaient encore, jusqu'à en dégueuler. Les notes les plus graves plongeaient dans ce théâtre et n'en remontaient que plus amples, remontaient à nos tympans comme à l'élastique, puis replongeaient dans l'arène, plus lourdes encore, puisant dans cette sève des arômes de mousse détrempée et de bêtes tapies. Chaos de beauté et d'horreur, murmure des racines communiquant le danger aux pierres sèches.

Témoin complaisante et à la fois impuissante, je soupesais le prix de cet inoubliable spectacle : je comparais sa beauté aux tristes découvertes qu'il nous vaudrait demain.... mais pareille comptabilité avait elle le moindre sens, au fond, puisque tout doit finir ?
Le jour vint, puis midi sonna à la fidèle église.

Autour de la maison, une chaleur bouillante se dégageait des flancs pentus et herbeux. Grillons et autres insectes lancinants avaient repris leurs aises, assommants d'immobilisme, assénant leurs aigus avec une frénésie encore plus obstinée qu'avant. Les voix du voisinage s'étaient tapies au frais derrière d'épaisses murailles de grès. Claudiquant de douleur sur des glaives de regain secs, mes pieds se frayaient une voie vers le cimetière. Comme après chaque gros orage, le mur de soutènement, tout de pierre sèche, savamment façonné par de lointains ancêtres et leur science énigmatique des forces, devait malgré tout payer son tribut au temps qui passe, abdiquant chaque fois d'un peu de lui même, par de petites touches, petits éboulis dont j'aurais tant voulu reconstruire le puzzle...

Grisée par la violence des flots de la veille, de la boue avait dégorgé de sous les tombes, rivière brune empruntant le nouveau lit creusé dans le mur. Je savais que j'en trouverais, comme chaque fois. Émergeant de la glaise déjà séchée, quelques côtes cassées, un humérus....Et soudain, creuses comme la mort, deux orbites épouvantées par la lumière brûlante. 

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