Extrait de l'enregistrement n°27-12, entretien réalisé par le Professeur LEARY : Julia, sujet féminin, douze heures après l'absorption de 150 microgrammes de LSD. (Laboratoire de Harvard, 12 mai 1962)
« Au début, je sens comme une explosion de couleurs, orange chaud qui traverse la pièce en me laissant sur la langue le goût d'une pièce de monnaie.
Je tends la main vers mon verre d'eau et me perds dans la contemplation de mes ongles : cupules rouge sang qui teintent le liquide transparent de filaments vaporeux en poussant de petits cris de souris. Il me semble voir les globules rouges courir dans mes veines et je me sens emplie d'une étrange joie de vivre. D'un seul coup, tout prend un sens nouveau.
Je suis une petite planète, non plutôt une petite comète. Je goûte le son des étoiles qui brille comme une cloche. Cette vibration profonde traverse tout mon corps. Jaune du foie, rouge du cœur, bleu des poumons, tout mon système interstellaire s'anime et me transporte.
Et vous savez Professeur, c'est maintenant que je comprends ce qu'est l'amour.
J'arrive encore à percevoir le système de tous les êtres vivants que je croise. Vous, par exemple, êtes environné d'un halo pourpre et vos yeux sonnent comme un diapason. Néanmoins, je ne pense pas que votre accord chromatique et le mien s'harmoniseraient.
Sur le chemin pour venir au laboratoire, j'ai croisé le vieux chat roux qui traîne dans le parc. Je me suis arrêtée pour le caresser et j'ai senti la transparence de son amour.
Voilà ma quête désormais Professeur : rencontrer l'être vivant dont la pulsation chromatique fera vibrer mon âme.
N'est-ce pas d'ailleurs ce que nous recherchons tous ?
Alors, encore merci de m'avoir permis de participer à votre expérience, je me sens transformée, libre comme la rosée du matin. J'ai brisé le reflet des années grises et inspiré la clarté de demain. »
Fin de l'enregistrement