Par Marie-France P. le samedi 10 avril 2021
Catégorie: Textes d'ateliers

Désirs

Faire un vœu et convoquer une fée pour sa réalisation, exprimer le plus cher de ses désirs, celui-là même dont on sait la concrétisation hautement improbable. Je désirerais vous parler d'une affaire importante …. Désirez-vous autre chose ? Un désir d'ailleurs, de rencontres, de retrouvailles ? Quand avez-vous désiré pour la dernière fois ?Allez, faites un effort, un dernier désir avant la fin, la toute fin, celle qui emporte.

J'ai envie de toi. Prononcer cette phrase et se l'entendre dire. Quelques mots faits pour le murmure, la pénombre et les regards qui se noient. C'est la phrase des grands lits et des corps enlacés. Combien de pages se sont attardées dans des descriptions du désir ? Quel que soit le talent de la main qui écrit, on y retrouve pêle-mêle le champ lexical de l'expansion, du crescendo, et la palette variée des différents bruits dont est capable une gorge humaine : gémissements, petits cris, stridence d'un hurlement et subtilités au pluriel d'un hoquet qui s'éteint dans un dernier râle … Ce sont rarement les plus beaux passages d'un roman. On s'y ennuie un peu.

Il y a longtemps, un ami confiait que souvent tard la nuit dans son immeuble s'élevaient les cris d'une femme. Il hésitait sur leur signification tant leurs modulations échappaient à un seul registre. Plaintes, cris, fulgurance aiguë du plaisir, expression de la douleur, supplications suivies de longs silences avant la reprise da capo de cette étrange partition. L'ami expliquait combien ces irruptions sonores au cœur de la nuit étaient perturbantes. Elles rompaient l'évidence du silence nocturne mais le renvoyaient aussi à sa propre solitude. Pour nous, son récit n'avait rien d'ennuyeux. Il sentait le sexe et nous imaginions cette femme. Quelle bourgeoise de cet immeuble cossu aux appartements avec parquet en chêne, cheminées et moulures au plafond se transformait la nuit en objet consentant d'une libido impétueuse ? Et avec qui se livrait-elle à ces jeux érotiques, tumultueux et sonores ? Car l'ami était formel : il n'avait jamais perçu une autre voix ou une autre expression de volupté. De même, qu'il n'avait jamais entendu quelqu'un de l'immeuble se plaindre de ce qu'il fallait bien appeler du tapage nocturne. Quelque temps plus tard, il rencontra sa future épouse et déménagea. « La bourgeoise insatiable » comme nous l'avions nommée, disparut de nos conversations tardives mais aujourd'hui, au détour de cette page, son souvenir me revient et avec lui, l'envie de l'appeler La Femme solitaire aux mille désirs.

Arzier, le 9 avril 2021

Marie-France Purro 

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