Réflection with two children est un tableau peint par l'artiste en 1965, un de ses nombreux-autoportraits, auto-représentation qu'il désigne aussi par les termes de reflet ou réflexion.
Il semble que le peintre ait disposé un miroir au sol et qu'il peint ce qu'il y voit, son reflet, un homme mûr au corps dense accentué par le point de vue en contre-plongée. Au centre du tableau, le regard du sujet est dirigé vers celui qui le regarde, l'artiste mais aussi le spectateur. Le peintre est doublement sujet de son œuvre. Son visage presque en gros plan est marqué de traits anguleux et sombres qui lui donnent un air sérieux, un costume gris d'apparence souple révèle sa corpulence. Les deux éclairages qui le surplombent, la nudité des murs, accentuent la hauteur du plafond et situent le personnage dans un environnement clos mais vaste et profond qui semble tourner autour de lui. Il s'expose à lui-même et à nos yeux, sans concession. Il est là.
Sur la gauche du tableau deux enfants, un garçon souriant à la chemise bleue, une petite fille aux cheveux blonds, le visage fermé. Le spectateur est saisi par le fort contraste dans la représentation des personnages qui place père et enfants dans deux plans différents, un mur les sépare, les isole, leur différence de taille souligne la vulnérabilité des enfants face à l'adulte et malgré leur proximité avec celui-ci, ils semblent surgir d'un autre tableau et n'être que de passage.
La présence des enfants interroge la place du père aux yeux du spectateur.
L'auteur de ce tableau, père de 14 enfants, est Lucian Freud. Il est le fils du psychanalyste Sigmund Freud.
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Pour réaliser mon portrait, je choisirai un fauteuil très confortable dans lequel je m'enfoncerai, un fauteuil à oreilles, de style anglais, au cuir un peu fatigué, une pièce aux murs blancs, sobre, assez épurée, quelques piles de livres ça et là, des tapis colorés au sol, des coussins. A portée de mon regard, sur le mur opposé à la fenêtre, une photo, une photo grand format en noir et blanc, elle occupe toute la surface. La photo dite la photo-piano.
Je la regarde.
Cinq enfants, aux âges échelonnés, l'air sérieux, grave, sont réunis autour d'un piano à queue. La plus grande, assise sur le tabouret du pianiste, fait face au photographe, elle tient dans ses bras un bébé âgé de quelques mois, assis sur le couvercle un petit garçon est occupé par le jouet qu'il tient dans les mains, à gauche du piano, debout, son frère plus grand observe celui qui prend la photo de manière très concentrée, à droite du clavier, près de sa sœur ainée, une petite fille un peu ronde regarde l'objectif, un éclat enfantin dans les yeux.
Elle me regarde.
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Quand est-ce qu'on va se baigner ? L'un après l'autre nous passions la tête à la porte de son bureau pour lui poser la question. C'était le même refrain, chaque été, chaque mois d'août, lorsqu'il était là. On sentait bien qu'il préférait rester dans son refuge, au milieu de ses dossiers et que nos intrusions le dérangeaient. Il ne répondait pas tout de suite, se faisait attendre puis alors que la partie semblait perdue, il sortait de son bureau, Allez on est parti …et il fallait réagir dans l'instant parce qu'on savait qu'il n'attendrait pas les retardataires. A ce jeu-là, il ne nous surprenait plus, nous étions rodés.
Les filles se chargeaient du goûter, des serviettes, les garçons de la bouée qui allait nous servir de radeau, vieille chambre à air issue d'un tracteur qui avait rendu l'âme, pas besoin de seau ni de pelles pour construire d'éventuels châteaux de sable, la plage était faite de cailloux. Chacun avait mis son maillot, nous étions fins prêts.
Dans l'eau, la rivière et son courant dictaient les jeux, pas de nage possible nous n'étions pas assez bons nageurs, notre père restait à distance, il ne se baignait pas, en short, assis sur son siège pliant, la pipe à la bouche, il lisait son journal.
La bouée arrimée à un ponton était le château fort des garçons et la place n'était pas facile à prendre pour ne pas dire impossible, ils y régnaient en maîtres c'était leur prérogative et nous les filles, n'étions là que pour la renforcer. L'après-midi se passait ainsi dans ces tentatives toujours échouées de prendre le dessus sur les garçons.
A distance, le père évaluait l'intensité des éclats de voix et la gravité des disputes mais n'intervenait pas quel que soit le rapport de force et lorsque d'un geste, il donnait le signal du départ, nous sortions à peine de l'eau qu'il était déjà à la voiture.
Des années plus tard, à l'âge de 80 ans, notre père écrivit ses Mémoires, texte qu'il envoya à chacun de nous ainsi qu'aux plus âgés de ses petits-enfants. J'attendais avec impatience d'y trouver les mots qui combleraient son silence de toujours, son retrait. Il y racontait ses parents, la guerre de ses frères, la sienne, sa maladie, la rencontre avec notre mère, son métier, ses bagarres, ses réussites, mais sur nous, ses enfants, rien, pas un mot. Nous ne faisions pas partie de son monde.
Lorsque je lui fis part de mon étonnement et de ma peine, il marqua un temps d'arrêt, réalisant sur le moment ce que cela impliquait pour ses enfants de désintérêt, d'indifférence.
Il n'en avait pas eu conscience en écrivant, il le regrettait.