Par Jean-Francois Dietrich le samedi 4 novembre 2023
Catégorie: Textes d'ateliers

Cévennes

Les armées cotonneuses en uniforme blanc et gris s'avancent lentement, si lentement, vers des combats d'orages possibles. Elles naviguent en voiles mouvantes, silhouettes rondes aux arrière-garde effilées. Elles surplombent, hautaines, les combats au sol, là où d'autres frémissent, tremblent en feuillage, agitent des bras verts, brassent le vent et ploient l'herbe fine.

Le soleil est transparent.

De massifs corps de pierre endormis s'imposent, s'apaisent lourdement. Ils ne se retournent pas dans leur sommeil. Peut-être parfois glissent-ils à peine en d'infimes danses tectoniques insoupçonnées. Ces ogres inconscients ont des colères inondées, des pleurs dévastateurs et ils s'en moquent. Ils se rendorment, parfois ils ronflent.

On ne devine pas leurs rêves.

Leur repos n'est pas dérangé par les mouvements d'ailes, les crissements, les fouissements, les chants d'alerte des dévorés et des dévoreurs ; tout cela lutte, cogne, se terre, s'échappe, s'envole. De l'existence à n'en plus finir, des grouillements et des foisonnements engloutis, étrangers à nos témoignages aveugles. Nous savons observer mais nous ne voyons rien.

Nous, il nous faut marcher, grimper, faire rouler les cailloux, triste chatouillement de nos pas inconsistants. Il nous faut tracer des chemins à fleur de terre, ces fines rides à peine perçues. Les ogres n'ont pas la coquetterie de s'en inquiéter. Ils dorment et glissent leurs pieds dans les draps d'océan.

Il semblerait que tout est là.

Mais les ogres eux aussi sont transparents.

On voudrait voir au-delà, explorer l'incertain, ouvrir des routes infinies, des espaces silencieux. On lève les yeux vers le ciel ironique.

Ailleurs, de lointains titans, en habits sombres et aux bouches édentées engloutissent des étoiles entières et la lumière incertaine. Des dévoreurs et des dévorés inconcevables. Des océans d'absence et de renouveau, jusqu'à la source, là où le temps lui-même oublie sa naissance.

Rien n'est plus rien.

Infime marin naufragé dans ces tempêtes, je suis transparence.

Mais qu'importe, puisque je peux, moi, si je veux, écrire des mots d'amour. 

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