Par Sixtine le samedi 28 novembre 2020
Catégorie: Textes d'ateliers

Triptyque

Premiers pas

La main qui tient le rebord de la table est toute potelée, une petite merveille de fraîcheur et de santé.

Le papillon qui s'est invité par la fenêtre ouverte, ailes frémissantes dans le soleil de juin, excite sa convoitise et fait résonner son rire. Chatouillis dans la gorge, gonflement des joues, bouche qui s'ouvre, cette sensation si nouvelle et en même temps si familière.

Vêtue d'un body rayé jaune et blanc, elle avance la jambe : un instant suspendu, l'équilibre se rétablit et elle s'enhardit.

Premier pas qui se cherche, la jubilation de la découverte efface l'hésitation. La main se tend vers le papillon toujours posé et sans s'en rendre compte, elle se lance dans le mouvement de la vie.

Le déplacement de l'air a alerté l'insecte qui s'envole par la fenêtre, accompagné par le rire émerveillé de l'enfant. Encore un pas et elle se laisse tomber sur les fesses, ses yeux ne quittent pas l'endroit de la disparition.

Pas de deux

La main qui remonte la mèche de ses cheveux auburn pour terminer le chignon est impeccablement manucurée.

Elle tourne sur elle-même et le soleil de juin qui entre par la fenêtre réchauffe son ventre distendu. Comme à l'unisson de son mouvement, une vague fait onduler le tissu jaune et blanc de sa robe.

Elle penche la tête et pose les mains sur la petite protubérance qui vient d'apparaître, elle sent une sensation de chaleur enfler dans sa poitrine en continuant à tourner et à se balancer doucement.

Un petit pas de deux s'amorce, bercé par son rire qui vient du cœur. Elle est le véhicule de la vie qui palpite en elle et tout autour d'elle.

Elle s'approche de la fenêtre et s'accoude pour regarder dehors, et ce faisant, elle regarde un peu plus à l'intérieur d'elle-même. Elle sent toute l'importance de ce moment, la plénitude qui l'envahit, émotion qu'elle sait fugitive mais dont l'intensité la marque à jamais.

A petits pas

La main qui vient de froisser la feuille de papier se crispe et elle sent à peine les ongles qui rentrent dans sa paume.

Ses yeux se perdent au loin par la fenêtre ouverte et ne cillent même pas dans la lumière du soleil de juin qui inonde la pièce.

Des larmes coulent le long de ses joues, elle a l'impression que ses yeux se noient et que rien ne pourra arrêter ce débordement.

Elle laisse toute cette douleur se répandre comme une bête furieuse qui déchiquète tout sur son passage, pas de quartier, pas d'abri.

Au bout d'une heure, d'un mois, d'un siècle, qui se soucie du temps dans les griffes du chagrin, elle trouve la force de se lever. Elle se dirige vers la fenêtre, sort son briquet et met le feu à la lettre qu'elle lâche juste avant de se brûler.

Alors ses yeux voient à nouveau, elle noue son foulard blanc à pois jaunes dans ses cheveux et sort d'un pas déterminé de la pièce. 

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