Par sylvieB le lundi 9 janvier 2023
Catégorie: Textes d'ateliers

Synesthésie de l’absence

Il est dix heures, je pousse la porte. Son grincement fouille mes nerfs comme une lame de couteau, l'augure d'une lutte future résonne à mes oreilles.

Un rayon de lumière tranche l'espace en deux, impose une géométrie implacable à ce lieu de douceur. C'est une ligne de plus ajoutée à ma douleur, depuis qu'elle est partie. J'effleure sa disparition entre chaque objet comme si la distance qui les sépare contenait encore la trace de ses gestes.

Le chuchotement de la soupière en étain déplace la poussière.

Son absence raye les surfaces cirées, trouble le reflet des instants évanouis.

J'aurais aimé briser la vieillesse comme on pourfend l'énigme, m'enfoncer dans l'épaisseur de ses rides, chahuter la fragilité de ses caresses hésitantes.

J'aurais voulu plonger dans l'obscurité de ce corps souffrant, caresser la plainte pour en trouver le chant, piétiner l'opacité de la tumeur pour la rendre invisible.

Tout n'est qu'ombre.

Mais voilà que le kentia cogne à la fenêtre, dessine sa présence de ses doigts acérés, assoiffé du désespoir d'avoir été quitté. Sentinelle exotique autrefois si choyée.

Tout un chaos de silences s'agite et vient mourir à l'orée du tapis, pour me narguer. Déplacer les spectres, oser toucher les ténèbres.

La révolte tapie dans l'armoire, embusquée dans les piles de linge repassé, entame une ronde infernale jusqu'à détruire les repères de son existence ordonnée. Les mots gisent à terre, désertant le sens que nous leur avions donné. Les discussions s'étiolent puis s'envolent dans un fracas goguenard.

Je ferraille avec ce vacarme glacé dont l'emprise m'étreint. Je le somme de restituer les apparences, de respecter les règles, de ménager le manque.

Alors, j'ouvre la huche et, comme on se love dans un giron, je me glisse dans l'odeur du pain frais. 

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