Par Sylvie Reymond Bagur le vendredi 27 janvier 2023
Catégorie: Textes d'ateliers

Stéphanie, troisième prix au concours Livressence

Félicitations à Stéphanie qui participe à l'atelier de Nîmes du mardi soir ! Elle a remporté le troisième prix du concours d'écriture organisé par la librairie parisienne Livressence avec un texte qu'elle avait écrit ici en atelier suite à une proposition sur l'épiphanie.

Le sujet du concours était : "LA RELATION DE L'ÊTRE HUMAIN AUX AUTRES ESPÈCES " et son texte pouvait correspondre à ce thème. 

Le voici : 

« GLISK » 

J'ai 47 ans, je ne suis plus jeune, mais pas encore vraiment vieille. C'est un âge un peu ingrat, pour une femme, je trouve, surtout quand on n'a pas d'enfant. Et je n'en ai pas. Je bois depuis des années. Un alcool mondain, comme on dit. Je sors beaucoup, je bois beaucoup, je fume beaucoup. Je suis actrice, vous comprenez, et dans ce métier il est impératif d'être vue, car on vous oublie très vite. Il faut créer la rencontre. Plaire, être aimée, désirée, c'est éreintant vous savez. Au début, je ne buvais qu'en soirée, je m'interdisais de boire quand j'étais seule, puis j'ai commencé à acheter de l'alcool de temps en temps. Un petit verre de vin blanc, le soir, pour me détendre, puis tous les soirs et la bouteille entière. Une routine bien huilée, l'angoisse le matin et les regrets. Vite nettoyer les traces de la veille. Puis boire un verre avant de sortir, avant une audition, avant de donner un cours, pour me donner du courage. Oui, parce qu'en réalité, je peux vous le dire, je gagne plus d'argent grâce aux cours de théâtre qu'avec mes cachets de comédienne. Boire pour taire la douleur et combler le vide. Boire pour continuer à vivre, puis finalement ne vivre que pour continuer à boire.

J'habite à côté d'un parc, que je traverse souvent pour aller faire des courses, rejoindre des amis ou attraper un bus. J'y passe du temps aussi pour lire, travailler mes textes. J'aime y aller le dimanche, m'asseoir sur une de ses chaises en fer vert à disposition, regarder les gens, les enfants jouer, autour de la fontaine où s'entassent tous leurs bateaux. J'aime traverser le parc le matin ou le soir quand il n'y a presque personne, quand le brouillard s'amuse avec les lampadaires à rendre le monde flou. Il y a un mois, un matin, après une de ces soirées jaune comme un sourire, terminée comme souvent dans un lit inconnu, je rentrais chez moi par le parc, traînant avec moi les sales odeurs de la veille, presqu'en courant. C'est là que je l'ai vu, un œuf. Un œuf de canard pour être plus précise, seul survivant d'un carnage. Seul au milieu d'un nid détruit, des coquilles vides de ses frères et sœurs de couvée. Un œuf. Et je l'ai pris. Je l'ai sauvé. Je l'ai glissé sous mon pull, au chaud. Je n'ai pas vraiment réfléchi, je n'ai pas bien compris mon geste, mais je n'ai pas vraiment cherché à le comprendre parce qu'il s'est imposé à moi comme une évidence, une nécessité. Il fallait que je m'occupe de cet œuf. Ilfallait que je le sauve. A partir de cet instant, je l'ai couvé. Plus rien n'a eu d'importance que cette petite vie prête à éclore. Je l'ai gardé contre moi, à la chaleur de mon corps pendant plus de 3 semaines. Je ne suis plus sortie même pour mes obligations professionnelles, l'œuf entre mes seins retenu par mon soutien-gorge. Au 28ème jour, j'ai entendu de petits bruits à l'intérieur de l'œuf. J'ai préparé l'éclosion, j'avais acheté une lampe, en ligne, construit une couveuse de fortune. Et il est né, ce tout petit canard qui croit que je suis sa mère, il s'ébat dans ma baignoire, me suit au parc pour jouer dans la boue. Et je ne bois plus du tout. Il a rempli le vide.

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