Par Chantal G le lundi 30 mars 2020
Catégorie: Textes écrits hors atelier

Prisonnière

Je commence à tourner en rond dans ma cellule. Tout à l'heure, pendant la promenade, j'ai tenté un échange de regards, un partage de sourires mais chacun semble recroquevillé dans son papier bulle. Le mal rôde et nous nous regardons en chien de faïence, faiblement éclairés par une lumière maussade. Nous sommes tous détenus en attente de jugement et potentiellement dangereux mais les gardiens veillent. Aucune substance douteuse ne doit être échangée. Pas de poignée de main, pas de rapprochement physique, pas de conversation.

Nous marchons sans mot dire et nous acceptons nos conditions de détention du mieux que nous pouvons. J'ai la chance d'être seule dans mon espace clos, un luxe en cette période trouble. Ce matin, une nouvelle rumeur a circulé mais il y en a tellement. Prudence. Une libération sous contrôle pourrait être envisagée prochainement pour les moins néfastes d'entre nous mais qui peut prétendre l'être. Notre capacité de nuisance est grande et cette incarcération nous protège y compris de nous-mêmes, alors comment savoir lequel d'entre nous est un criminel en puissance puisque nous crions tous notre innocence.

Certains ont cherché à s'évader mais ça c'était avant, avant notre malédiction. Ils ont été rattrapés et se trouvent dans un autre établissement. Heureusement, nous aurions été bien trop nombreux ici.

Notre aération va bientôt prendre fin. Chacun retourne docilement vers son univers, je rejoins le mien. Cette marche m'a étourdie et je ne suis pas mécontente de pouvoir me calfeutrer à nouveau. Quel silence. Quel impressionnant silence nous enveloppe depuis que je suis ici. Quel bonheur de l'écouter se répandre en moi, lui qui est resté confiné depuis si longtemps et que je ne percevais qu'à travers les mailles d'un tintamarre permanent. Je le désirais comme un amoureux, je déplorais son absence aux rendez vous que je lui proposais. Mais je ne lui en veux pas. Ça n'est pas sa faute. Il n'était juste pas de taille à vaincre un ennemi puissant et adulé par la population. L'agitation frénétique qui nous a envahis sans que nous lui opposions la moindre résistance. L'adversaire a pu s'installer tranquillement, progressivement et comme personne ne contestait son développement, bien au contraire, il en a profité pour gagner du terrain. Que pouvait donc faire ce malheureux silence si impopulaire.

A présent il est dans mes mots, mes pensées, mon imaginaire. Il glisse à l'intérieur de moi et je me redresse, sensation étrange d'avoir vécu courbée, le nez à raz de terre, engluée dans la matière. Ma vie au ralenti m'élève, me rend plus légère. Plus de contraintes, enfin, je veux dire à part celle d'être en maison d'arrêt mais une fois posée à l'intérieur, je jouis d'une liberté sans borne, peu importe l'heure, le faire comme le rien faire, l'occupation du temps n'est conditionnée à rien. Seul mon corps est à l'étroit, un peu raidi par le manque de mouvement que je compense en écoutant de vieux tubes entrainants qui invitent à la danse. Nul besoin de discothèque ni de partenaire pour se trémousser joyeusement sur un rythme endiablé. Malgré l'interdiction de visites, je ne me sens pas seule puisque l'administration pénitentiaire n'est pas regardante sur les moyens de communication virtuels. Peut être craignent ils une mutinerie.

La surveillante m'a fait passer une lettre ce matin, des phrases étranges couraient sur le papier. Il y était question de recettes : confiture de solidarité sans sucre ajouté, confit de papier hygiénique molletonné et marmelade de médiocrité dans son jus. Seule celle de la confiture m'intéresse mais je ferai suivre le courrier à mes voisins, car nous n'avons pas tous les mêmes goûts.

Contrairement à ce que j'écrivais au début, à bien y réfléchir, je ne tourne finalement pas en rond. Je fais juste pivoter ma vie sur de nouveaux appuis.

Chantal Gélabert

Maison d'arrêt rue Cuvier / cellule 3

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