Par Jean-Francois Dietrich le lundi 30 janvier 2023
Catégorie: Textes d'ateliers

Les petits noms

Vers 17 heures, Nénette et Lamour sortaient leurs chaises, se posaient sur le trottoir et attendaient la sortie des écoles et des usines. Côte à côte, Nénette et Lamour, rides contre rides, chaussons confort aux pieds, regardaient passer les enfants avec leurs cartables et les ouvriers en bleu à vélo. Les ouvriers disaient bonjour, parfois l'un mettait pied à terre et passait un petit temps à papoter. Puis « Allez, j'y vais, la patronne m'attend, si j'suis en r'tard, j'va m'faire appeler Arthur ! Salut Nénette, salut Lamour. » Et eux, contents, souriaient.

Bien sûr, nous, les gamins on rigolait, tu parles, Nénette et Lamour, à plus de 60 piges, quasi des momies et qui se tenaient encore par la main ! La honte !

Pourquoi je pense en ce moment à Nénette et Lamour ?
Lili me dit : « Non merci, j'ai assez mangé ». Elle ne veut pas des mignardises que je lui tends.
- Allez Lili, laisse -toi tenter, je dis
Tony en rajoute :
- Lilou a peur de grossir. Elle veut ressembler à un cintre.
- Tinou, je t'ai déjà dit, je ne veux pas maigrir, je fais juste attention. Tu devrais faire pareil d'ailleurs, rétorque Lili
Moi, j'insiste « Juste un petit chou, Lili »
- Arrête, faut toujours que tu t'imposes !
Le scud est arrivé du bout de la table, tiré par mon épouse, artificière en chef de mes défauts supposés.
Lili allait tendre le bras finalement, mais le plateau s'est envolé vers Minouche, qui elle n'hésite pas à se servir.
Minouche, la bouche pleine, dit :
-Tinou, passe-moi l'eau.
Tout le monde rit. Elle rougit.
Elle a dit Tinou, et non pas Tony.
Les finales en « ou » sont pour les amours, parce que c'est doux, les finales en « i », pour les amis, parce que ça rime.
Tout le monde a ri, sauf « Ptit cœur » le mari de Minouche. Toujours jaloux. Même si ça rime en « ou ».

Kiki regarde son portable sans cesse. Elle attend un message de Chaton qui ne lui envoie plus de message depuis un bon bout de temps. L'oiseau s'est envolé.
Phil aimerait devenir le Philou, à Kiki, rien que pour elle et qu'elle devienne sa Kikou à lui. Il rêve et il patiente.

On est dix autour de la table, quatre couples, Phil l'éternel célibataire et Kiki la plaquée de service, celle qui a tout largué mais qui ne cesse de nous parler de son ex, Gros chaton, elle regarde s'il a envoyé un message et finit toutes les fêtes en pleurant.

On est dix pour notre rituel annuel, la célébration de l'arrivée de l'été, depuis vingt ans, tous les 21 juin, nous nous retrouvons, les anciens amis de fac avec désormais les partenaires, les mon lapin, les mon chat, Minou, ma ratte, ma caille, mon poussin, la basse-cour entière et l'animalerie réunies, les chéris, Loulou, les Doudous, les Kikou, les Ma douce, les Pioupiou, Mon cœur et toutes les appellations incontrôlées imaginables, au gré des allées et venues de toutes ces années, des ruptures et des nouvelles rencontres copulaires des amis fondateurs.

Et il y a Bénédicte et moi, Quentin.
Ni Béné, ni Quinquin. Non. Bénédicte et Quentin, que du banal nominal. Faut dire qu'avant d'être en couple, Bénédicte et moi nous nous connaissions déjà : nous étions collègues ou pour être plus exact, Bénédicte était ma supérieure hiérarchique. C'est lors d'un séminaire que nos destins jusque-là professionnels se sont amoureusement croisés. Dans l'intimité, j'ai bien tenté un Béné, un Mon cœur, elle de son côté a ronronné un « Mon chat » mais quand en pleine réunion le fameux « Béné » m'a échappé lorsque je me suis adressé à elle, peu après, dans son bureau, elle m'a signifié accepter la démission que je n'avais pas présentée. Soit on était deux en couple soit on était collègues. Pas de confusion. Ce fut donc le couple mais cette expérience a chassé définitivement toute velléité d'interpellation intimo-sensible.

Même nos textos respectent la règle:
- Je suis au marché, Bénédicte
- Je rentre tard, réunion au club de sport, Quentin
- Appel de ta sœur, faut la rappeler. (Pas de signature). Bises. - Je suis allé chercher la voiture au garage. Bisous.
Les bises et bisous viennent au hasard du climat.

Maintenant, les invités sont partis. On s'est dit rendez-vous l'année prochaine, on a réconforté notre amie divorcée en lui assurant qu'elle trouverait un compagnon pour les vacances. Nous avons rangé les assiettes, les verres dans le lave-vaisselle On a éteint les lumières du salon, on est allé se coucher.

Dans le noir, Bénédicte murmure : Bonne nuit... Mon amour. 

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