Par Marie-josé L. le vendredi 4 mars 2022
Catégorie: Textes d'ateliers

L'enfant

 Depuis combien de temps est-il là, immobile, à contempler la mer ? Debout sur une butte, le dos tourné à son île, l'enfant regarde au loin. Derrière lui, l'ancien volcan semble endormi sous l'épaisse forêt tropicale, camaïeu de verts et de brumes vagabondes, de végétation et d'humidité entremêlés, il est le cœur de l'île. L'enfant semble l'avoir oublié. Qu'est-ce qui se joue dans ce regard qui se durcit, derrière ces yeux plissés par l'envie de voir plus loin que l'horizon ? Et l'on aurait envie de se rapprocher, de lui demander ce qu'il ressent, s'il est encore conscient de son corps qui se dresse et s'étire pour regarder au-delà de la mangrove. Mais, c'est inutile, l'enfant n'a plus de corps, il n'est plus qu'un regard au-delà de l'écume blanche qui éblouit la barrière de corail. Il est là-bas, ailleurs, au-delà de la mer.

Que voit-il ? Que projette-t-il sur l'écran du grand large ? Et l'on se prend à penser que ce sont les visions transmises lors de soirées de veilles, quand son père, le père de son père, les anciens, racontaient encore et encore ou bien lors de fêtes tribales, quand on mimait et dansait les évènements survenus dans l'île. Alors, sans doute voit-il le débarquement des pirogues des habitants de l'île voisine, venues conquérir la terre de ses ancêtres ? Ou peut-être, aperçoit-il le frêle esquif d'un aventurier solitaire ? Ou alors, les baleiniers surgissant des flots lourdement équipés ? Guette-t- il les embarcations des trafiquants écumeurs de grèves et recruteurs de main-d'œuvre ou encore les goélettes des missionnaires venus sauver l'âme des siens ?

Et nous viennent les images, incongrues, douloureuses des trafics incessants, des forêts d'arbres tronçonnés, allongés, embarqués sans pitié. Les images des expéditions successives, celles venues en quête d'un marin français disparu et de ses frégates échouées sur les récifs tout proches et le flot incessant des bateaux accostant ici, les expéditions ajoutant chacune, son lot de questions, de technologies et de savants. Comme celle qui, aujourd'hui, a investi les lieux. Un gros ballon survole l'île, une équipe d'archéologues sonde le sol, creuse des trous carrés, une autre s'enlise dans la mangrove, des plongeurs aux énormes tuyaux aspirent les fonds marins autour d'une des épaves.

L'enfant immobile tourne le dos. Il contemple la mer. Il rêve. Ailleurs... Peut-être ? Sur sa tête est posé un casque colonial.

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