Par sylvieB le dimanche 9 février 2020
Catégorie: Textes d'ateliers

Ecrire la folie

Cette nuit, une de plus, je ne dormirai pas.

J'ai décidément besoin d'écrire.

Pour l'instant un repère, cette chambre et une certitude, remettre de l'ordre dans le chaos de sa mémoire, puzzle éparpillé par un génie brouillon et pervers puis repartir à zéro.

Il faut que je m'apaise, que je raisonne. Sois raisonnable ma fille, rabâché comme un principe depuis longtemps égaré comme si le réel ne s'énonçait qu'à l'aune de cette faculté dans une quête illusoire d'équilibre.

Je suis partie, pour m'isoler, pour écrire, il faut donc que j'écrive.

Elle sort son ordi, elle trouve ça plus pratique et puis ça lui permet de vérifier rapidement qu'elle ne fait pas de faute, qu'elle n'a rien oublié, que comme ça elle pourra toujours glisser entre deux virgules le ou les mots manquants car il manque toujours un mot n'est-ce pas. Elle lit : Il fait chaud, très chaud. Si seulement un souffle d'air consentait à m'effleurer, je lui livrerais chaque parcelle de mon corps en sueur comme une prostituée. Dans l'aboiement du chien j'entends la promesse de l'éclair. La nature fait silence, j'attends. Rien. La fraîcheur n'est plus qu'un songe, l'attente est vaine, la délivrance n'aura pas lieu. Cette nuit, une de plus, je ne dormirai pas.

C'est quelle version déjà ? celle de ce matin ? comment ai-je indexé l'autre ? quel numéro ?

Ah oui la voilà, elle lit : Il fait chaud, très chaud. Si seulement un souffle d'air consentait à m'effleurer, je lui livrerais chaque parcelle de mon corps en sueur comme une prostituée. Dans l'aboiement du chien j'entends la promesse de l'éclair. La nature fait silence, j'attends. Rien. La fraîcheur n'est plus qu'un songe, l'attente est vaine, la délivrance n'aura pas lieu. Cette nuit, une de plus, je ne dormirai pas.

Celle-ci est beaucoup mieux, en même temps j'aime bien l'autre aussi, cette promesse de l'éclair on sent l'attente et puis oui, il faisait chaud très chaud, il faudra que je pense à l'écrire car c'est une sensation dont je me souviens très bien, dans cette chambre où je m'étais isolée pour écrire.

Elle ferme l'ordi, s'allonge, pense à dormir mais le texte la taraude et puis il fait chaud, très chaud, elle est en sueur. Bon sois raisonnable, tu es crevée, l'attente est vaine. Et le chien, j'ai parlé du chien ? elle rouvre l'ordi et cherche dans quelle version bon sang elle pense avoir omis de parler du chien, chaque version a son importance, apporte des nuances qu'il faudra bien sûr indexer. Elle est heureuse, se sent mieux, le texte avance, elle a bien fait de s'isoler dans cette chambre. Elle s'allonge à nouveau, glisse un bras sous l'oreiller, semble s'abandonner. La petite lumière rouge de l'ordi clignote près de sa tête, paisiblement, comme un appel.

Elle attend le sommeil, l'orage gronde au loin. Elle n'a jamais aimé l'orage surtout dans le noir, surtout au lit. Parce qu'entre deux grondements il y a le silence qui a comblé de bruits sa mémoire depuis tant d'années, qui l'a encombrée, saturée, émiettée. Sois raisonnable. Elle rouvre l'ordi, sa lumière est comme un baume qui vient apaiser l'obscurité des mots qui l'assaillent. Le silence suinte sur mon corps, je n'entends aucune fraîcheur, c'est mouillé, les chiens n'aiment pas ça et puis les mots aboient. Remettre de l'ordre. Je me noie comme une prostituée, je dois délivrer le chien. Le texte…désordre…écrire des mots d'orage qui blessent, écarter le fracas de ma mémoire, retrouver le silence de la caresse sur mon corps, corps ami, corps perdu, à corps perdu, perdre les mots du corps, les maux du corps, renoncer au texte…motifier la vie ou ce qu'il en reste. Je suis partie, ça s'écrit. Donner du sens, manger les mots, chasser le raisonnable. Attendre, il viendra me délivrer en m'offrant un corps bleu dégagé de tous nuages.

Elle a chaud, très chaud. Elle éteint l'ordi, s'endort.

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