Par Jean-Francois Dietrich le samedi 11 mars 2023
Catégorie: Textes d'ateliers

Draps froissés

Les draps froissés de mon immobilité grise ne chantent plus.

Pourtant, ils ont eu leurs heures rouges, les heures arc-en-ciel, les caresses embaumées et les sueurs cotonneuses. Ils ont claqué en bouquet fleuri dans la fraîcheur matinale des lessives campagnardes. Mes draps se sont tendus sur des matelas fredonnant des promesses de nuits blanches.

Lors de vacances bleues et or, ils ont hurlé des fantômes de pacotille pour effrayer de joyeux enfants en débandade martelante de pieds nus. Ils ont fait toile de cinéma pleine lumière de piano ragtime, Charlot muet, rires en gouttelette cascade, jets d'eau et carillon d'été.

Les draps, certains soirs, ont étouffé la solitude transparente et les abandons ocres ; ils se sont mis en boule au creux de bras sanglotant.
Je les ai laissés boire la sueur verdâtre et amère des nuits assourdissantes de fièvre.
J'y ai connu l'inquiétude froide et grise, les yeux clos du doute.

J'y ai dessiné les colères aux odeurs métalliques, les silences granitiques.

J'abandonne le combat noir aux corbeaux et les champs de bataille à la poussière des estampes effacées. Les mots bruns de réconfort des amis ne m'atteignent déjà plus. Ils s'envasent.
Les peurs bariolées se sont envolées.

Les draps me couvrent de leur blancheur hautaine.
Mes mains écoutent leurs plis, fines cicatrices des instants ultimes. Je respire le bleu pâle du soulagement.
Je n'entends plus que l'immobilité.

Enfin. 

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