Par Sylvie Reymond Bagur le samedi 3 septembre 2022
Catégorie: Questions d'écriture

Dialogues et roman

Pas trop de dialogues dans un roman !

Voici un de ces lieux communs de l'écriture littéraire qui ont la vie dure. Si la littérature est un art et non un produit standardisé ou un rituel, elle doit pouvoir utiliser dialogue, description ou récit à sa guise. Mais il s'agit ici du roman me direz-vous, c'est un genre avec ses codes dont il faut tenir compte. Jacques Le Fataliste, roman "hybride" selon l'expression de Marie-Hélène Boblet, nous prouve que le genre « roman » n'a jamais été une forme pure. Aujourd'hui plus encore, le mot roman et donc le genre  qui porte ce nom, n'est qu'un moyen de se repérer et non une série de règles et de recettes à respecter.

Un bon dialogue offre des possibilités spécifiques qui ne pourront pas être atteintes sans lui : impression d'immédiateté, reconnaissance des différences entre les personnages par leur façon de s'exprimer, saisie directe de leur "voix" et, ce qui me semble essentiel, une façon subtile de cerner les relations entre les personnages sans passer par la machine à expliquer que devient si vite le narrateur. Le dialogue allège le rythme et laisse la place au lecteur : sous-entendus, allusions … sont pris au vol et non révélés par une instance indépendante. La forme des répliques, leur alternance prennent ici une valeur spécifique.

Paresse de l'auteur? L'écriture serait-elle une épreuve de bonne conduite ? Une démonstration de force littéraire et de bonne volonté ? Etrange positionnement ! Doit-on en conclure que le théâtre est le domaine des fainéants ? Un dialogue vivant et réaliste n'est pas facile à écrire. Une question d'équilibre ? La recherche systématique de l'équilibre court le risque d'exclure l'originalité, la fulgurance, la forme inédite… Explorer le roman dialogué, se situer à la limite du roman et du théâtre ? Pourquoi pas, si cela apporte de nouvelles pistes, correspond au thème et se déploie avec talent ? Le dialogue n'est-il pas aussi une manière de faire confiance à la force du verbe ?

Rester ouvert au travail d'un auteur sans à-priori me semble indispensable pour échapper à la sclérose. Curieusement, ce sont souvent ceux qui dénoncent la standardisation de la littérature contemporaine qui, d'un autre côté, jugent une œuvre d'après de tels critères, etrangers à sa logique interne.

Quelques pistes de lecture :

- Le Roman dialogué après 1950. Poétique de l'hybridité, Marie-Hélène Boblet (Honoré Champion )

- Diderot - Jacques le fataliste

Parmi tant d'autres l'on pourrait citer de nombreux livres d'Amélie Nothomb, mais aussi de Marguerite Duras, de Nathalie Sarraute qui sont des romans dialogués.

- Le Bruit et la fureur de William Faulkner est essentiellement un roman dialogué.

Un exemple extrême, Le diner en ville de Claude Mauriac n'est constitué que par les échanges polyphoniques de huit convives autour d'une table dans un diner mondain. 

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