Par David T. le vendredi 16 février 2024
Catégorie: Textes d'ateliers

Course

Au détour du chemin, je sens mon cœur gronder, mon souffle se raccourcit et mon rythme cardiaque s'accélère. Je m'essouffle et manquant d'air et d'oxygène, je suis en train de me colorer en violet ou en pourpre, je ne sais exactement. Ce qui est sûr, c'est que mon cœur résonne voire il cogne dans ma poitrine en montant en rythme comme je le souhaitais. Après le premier kilomètre, il peine toujours, étant plutôt dans le rouge, mon cœur pour autant commence à ne plus râler contre moi. Ne comprenant pas au départ mon choix stupide d'aller courir, courir après quoi et pour qui, en tout cas pas pour lui, surtout après une journée de travail stressante. Resté assis toute la journée, sans transition, je lui demande de se réveiller et de s'accélérer pour propulser ces jambes restées passives depuis ce matin. Ces jambes sans couleurs, toutes transparentes d'efforts commencent elles aussi à prendre de la couleur.Cette couleur n'est pas encore arrêtée ou bien déterminée. Elle est liée et en déclinaison directe avec le haut du corps lui aussi en mouvement et en situation de chauffe sur des tons pourpres. Le coup, de suite transpirant comme le front qui est suintant et hésitant entre un rose dégoulinant et un rouge pale qui c'est sûr, ira plus tard vers l'éclatant.

A ce moment là, je sens mes doigts de pied exister dans mes baskets au contact des cailloux écrasés par mes pas dans ces fines semelles de mes ballerines de noir uni. C'est à partir de ses premières sensations que je me mets à exister, à relier mon intellect et mes pensées à mes doigts de pied, à écouter mon corps, ce corps qui crie mais qui enfin existe. J'entends dans mes pensées les voix de ce reportage de France inter où ce médecin marathon-man explique ses recherches sur les bienfaits de la course à pied, débarrassé de tout artifice, courant sans chaussures à cru ou pieds nus. C'est prouvé déclame t-il, le psyché est exclusivement connecté aux pieds afin d'assurer sa protection contre toutes les agressions de cette partie du corps laissée sans protection à même le sol. Le corps et l'esprit réunis, même avec mes chaussons de course, je le sens, ils forment tous deux un même arc, une même odeur celle de la vie en mouvement.

C'est une odeur particulière que celle de la vie qui s'oppose très distinctement à celle de l'immobilité et de l'inertie. Cette odeur s'approche elle-même de celle si particulière qui est l'odeur de la mort. Autant l'empreinte olfactive de la mort pénètre et ne vous quitte pas rentrant dans vos narines et votre âme et vous paralyse autant l'odeur de la vie est multiple. Elle est une succession d'odeurs de tout ce qui vous entoure, de tout ce qui s'additionne et se marie. A ce moment du mouvement de ma vie, je sens la moindre parcelle de vie. Même en allant vite, tout est détail et ralenti. En frôlant ce buis, en écrasant cette pousse de thym et de romarin, mes narines enflent. Je visualise ce ragoût de pommes de terre qui a mijoté des heures durant en conversation permanente avec ces herbes aromatiques. Mes narines identifient et enregistrent toutes ces différentes senteurs et leurs donnent à chacune un nom, une couleur qui éclatent dans ma tête. Je sors de la douleur et rentre y compris avec mon cœur devenu mauve fuchsia dans la saveur d'être là, vivant dans cette nature vibrante qui m'accueille, me reconnaît, me salue et m'encourage à continuer.

J'entends maintenant les oiseaux, un chardonneret et un rouge-gorge qui me parlent et me remercient, ils attendaient depuis longtemps ma visite. Je leurs réponds sans même émettre le moindre son, je suis en communion avec eux et avec tant d'autres espèces. Le lézard que j'ai évité d'écraser se retourne pour me remercier et me souhaite une belle journée. Sa voix est profonde et emprunte plusieurs tons, je pariais sur un violon car son coffre est si petit alors qu'il s'agît bien d'un violoncelle. J'entends les cigales qui ne sont pas encore arrivées, elles préparent à coup de séries d'abdos leurs cymbales et l'été qui ne serait tarder. Quelle joie, quelle plénitude, c'est du bleu azur immaculé et profond qui s'est emparé de mon esprit et aiguisent mes sens,il sourit sans discontinuer. Je cours, je sue mais je suis, je vis… Je suis un sanglier de la famille des écureuils qui court, grimpe et saute plus léger que les plumes qui poussent sur ma tête. 

Je m'approche de ce sentier vertigineux, celui qui serpente tout en haut du massif montagneux, sur les crêtes. J'ai maintenant une vue à 360 degrés et mon regard est plus précis et puissant que celui du rapace qui vole au-dessus de ma tête. Lui guette sa proie et moi, je guette chaque détail de ce panorama XXL. Je vois avec ce temps clair le soleil reluire au loin sur la surface de l'eau, sur cette Mer, ma Mer préférée, la Méditerranée, petite Mer rageuse. Je sens son odeur en étant à plus de 60 kilomètres de sa surface ainsi que son goût de coquillages et d'iode.Je vois avec précision tous ses mouvements et même sous l'eau, cette telline qui creuse dans le sable son habitat, cette libellule hurluberlue à la surface de la vague qui vient me chanter son refrain licencieux.

Je pousse ma mire, mon compas sur le massif d'en face me rapprochant dangereusement du vide, mes chaussures dérapent puis glissent, je chute sans même émettre un cri ni la moindre plainte. Je suis comme dans un manège, je sens tout autour des effluves de barbe à papa.J'accepte la chute et l'écueil du douloureux atterrissage en contrebas mais ce n'est pas une glissade, une chute de 2 ou 3 mètres. Dans ce grand huit, le précipice est abyssal, je ne m'en rends compte que maintenant. Jamais je n'avais détecté cette faille. Masqué par la végétation, nonobstant la précision de mon regard que je croyais de Lynx, je n'avais pas repéré ce trou énorme, profond de plus de 100 mètres.

C'est trop tard, c'est le chaos, le noir absolu, je n'essaie même pas de lutter. Ce noir est silencieux jusqu'à ce que j'entende ces quelques mots qui soulagent ou est-ce plutôt l'outrenoir de Pierre SOULAGES. Pas de chanson, aucun film, aucune vidéo, pas de tic, pas de TOC ni de TIKTOK qui ne jaillissent dans mon esprit. C'est étrange alors que tous mes sens semblaient quelques secondes auparavant comme aiguisés, démultipliés, là plus rien. Une odeur lointaine se rapproche, ce n'est pas une odeur de fraise ni de glace. Dans la chute, mon corps a déjà percuté plusieurs fois et violemment des obstacles. Comment ce manège a-t-il pu à ce point échapper au contrôle de la commission de sécurité ? Un rouge plus vif que le nez du clown et qui ressemble à la couleur de mon sang, oui, à la couleur de mon sang a taché mon costume de somnambule équilibriste.

Tout m'apparaît comme cotonneux, neige-t-il ? Seraient-ce des nuages ?

David T, 30 décembre 23

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