Par Françoise Million le dimanche 5 décembre 2021
Catégorie: Textes d'ateliers

Aux marches du palais…

« Aux marches du palais… » cette chanson lui trottait dans la tête. Mais où diable se trouvait ce palais ? « Y a une tant belle fille lonlère… » Cet air de naguère dans un pays de carton-pâte, papier mâché avec des déités en barbe à papa et bras à gogo, chromos multicolores, poudres fluorescentes rose indien jaune safran, parfums d'encens, odeurs entêtantes, relents nauséabonds, klaxons enrayés, musiques à tue-tête, tout un vacarme assourdissant.

La saturation de tous les sens et la poudre aux yeux écarquillés, voilà ce qu'il lui racontait chaque soir. Car, depuis son plus jeune âge, papa l'emmenait en voyage à l'heure où les petites filles sages se contentent de dormir. Carla, hypnotisée, avait suivi ce père fantasque dans ses pérégrinations insensées qui la ramenaient sans cesse au pied de ce palais mirifique.

Elle ne lui en voulait pas, consciente dès sa prime jeunesse que son père n'était jamais tout à fait revenu de là-bas.

De fornications éphémères en fortifications instables bâties sur des sables mouvants, il s'était construit un monde imaginaire dans lequel il avait essayé de l'attirer malgré lui. Il s'était enfermé derrière ces hautes murailles d'ocre, aux couleurs changeantes sous le soleil d'Orient – prisonnier d'un mirage désespéré après lequel il courait haletant.

Jaisalmer ! C'était son nom et il l'avait aimée à en perdre haleine et la raison, à s'en rendre malade, jamais amer, toujours aimant. A qui la faute ?

Non, elle n'en voulait pas à ce père fantasque qui la conduisait chaque soir aux portes de ses rêves dérangés. Elle ne lui en voulait pas, se disant juste que quand elle serait grande, elle se rendrait aux marches du palais. Ce palais qui n'était pas un château de cartes, pas un château d'eau ni un château en Espagne, mais un immense château de sable dans l'Inde fantasmée de son père bien-aimé.

18 septembre 2021 

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