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Lily des îles

tanna02 Stage Nouvelle

Assise sur une natte devant la case qui m'a été attribuée, j'accueille l'univers végétal dans lequel se fondent les sociétés que je suis venue rencontrer. Imagine ! Les habitations en bois, fibres et lianes, les « nambas qui portent haut le pénis des hommes, les jupes d'herbes qui tourbillonnent à chaque pas sur les hanches des femmes.

Je suis venue assister aux fêtes du Toka de Tanna. Mon contact des îles, Blandine, dont je t'avais parlé, m'a orientée vers Lily, une femme au physique imposant, qui vit dans le village où se déroule le cérémonial. L'âpre visage de Lily s'est fondu en lumière lorsque j'ai formulé le prénom de Blandine.

J'aurais voulu camper mais peine perdue, il m'a fallu accepter l'accueil dans cette case d'où je t'écris. Peut-être n'a-t-on pas souhaité que je plante ma tente et occupe, même momentanément, un coin de terre indigène ? Je suis même conviée à me servir dans un grand plat garni d'ignames et de taros, disposé sur une table, au centre de l'habitation. Suffisamment pour faire honneur, pas trop pour laisser à manger au chef de famille qui prendra ma suite, puis les enfants et en dernier lieu, la femme qui a préparé le repas. Le décor est planté !

Tanna, c'est l'île des banians et du volcan Yasur, restée réfractaire à la modernité. C'est le berceau des cultes du cargo avec les rituels un peu fous auxquels se prêtent les indigènes, en quémandant à la mer richesse et prospérité. J'ai eu l'occasion d'assister à l'une de ces cérémonies. Mais c'est une autre histoire.

Tanna a été l'enjeu comme toutes les îles de l'archipel, de la course éperdue entre les Français et les Anglais pour s'emparer du Pacifique. Sa réponse a été de développer un réseau d'alliances claniques, sans aucune logique géographique. Et les fêtes du Toka sont une célébration de ces alliances, par lesquelles les tribus ritualisent leurs échanges et réaffirment leurs intentions de paix, dans une ivresse collective. Tu te représentes mon impatience !

On attend plus d'un millier d'individus, dans cet endroit habituellement assez peu peuplé. Je vois les retardataires qui arrivent en étoile par les chemins de terre. Ils viennent du nord- ouest, du sud, par l'est, le corps empli de poussière après de longues heures de marche. Ils portent de lourds paniers tressés en fibres de cocotier. La fatigue marque déjà leurs visages et la fête n'est même pas commencée ! Ils ont devant eux plusieurs jours pour festoyer sans limite et danser en communion jusqu'à la transe.

Comment te transmettre cette ambiance de tranquille agitation qui prélude à la cérémonie imminente ? Autour de moi, des déplacements furtifs, des pas feutrés. On transporte les racines de kava que nous avons acheminées la nuit dernière, à la lueur des chemins d'herbes embrasés à la torche. Et, devine ! Les jeunes gens vont les mâcher pour en extraire le jus. Le breuvage emblématique sera partagé sous le banian.

Les mouvements sont lents, nonchalants. Dieu a créé une quantité infinie de temps !

De loin, j'aperçois les jupes en fibre de pandanus, « les gras sket », disposées en rouleaux devant les cases du village. Vues d'ici, elles semblent un jeu de mikado géant avec leurs bandes de couleurs franches. Prêtes pour la fête.

Lily vient vers moi. Les femmes m'invitent à les rejoindre dans la case où elles se maquillent à la lueur d'une lampe à pétrole. Allez, je te quitte, je ne veux rien perdre ! A tout-à-l'heure ! Tu seras mon témoin.

Accroupies, dans une atmosphère ouatée, ces dames se peinturlurent la moitié du visage, grand papillon rouge et ocre cerné de noir autour des yeux. Les petits pots de poudre à coloration synthétique ont remplacé les teintures extraites de pigments naturels. Mais les couleurs fondamentales demeurent celles que nous renvoie la littérature anthropologique. Dans leurs cheveux, les guirlandes de noël cohabitent avec les parures végétales. Qu'importe l'artifice, pourvu qu'il fasse d'elles des êtres flamboyants. Figure-toi que le comble de la coquetterie est de nouer un paréo sur une épaule, en laissant apparaître une bretelle de soutien-gorge sur l'autre. J'ai relevé tout de même une contrainte dans l'ornementation : la plume d'oiseau plantée dans la chevelure est réservée aux seules femmes de chefs.

Les femmes viennent de déployer autour de la taille leurs jupes multicolores et à mon grand étonnement, elles ont enfilé par-dessus des jupes en fibres naturelles non teintées, simplement trempées dans l'eau de mer et séchées au soleil. Mais nous allons danser m'ont-elles dit! Quelle évidence ! Plus elles allaient virevolter au cœur de la fête, plus elles donneraient à voir les couleurs de leurs jupons. Quoi de mieux pour attirer l'attention sur la hardiesse, la détermination, la fougue, l'acharnement, l'endurance qu'elles mettraient dans la danse ?

Lily, qui pourvoie aux en-cas, m'épluche une nouvelle canne à sucre. J'en suis à ma troisième de la journée ! Elle manie consciencieusement son large couteau, de haut en bas. En marmonnant elle insiste « pas comme vous les français, qui ramenez le couteau à soi de bas en haut, toujours pour vous faire mal...».

Où sont passés les hommes ? Ils sont à part, entre eux, dans leur rôle. Là où les femmes ne peuvent pas les rejoindre. Des endroits comme le « nakamal », cet espace réservé aux seuls hommes, où les affaires courantes du village sont arbitrées. Un fois j'ai été invitée à me joindre au cercle, sous le banian. J'ai cru comprendre qu'on faisait le procès d'une femme de la tribu. Elle avait osé suivre son mari pour le surprendre en flagrant délit d'adultère. Nous buvions tous à la même coupe de kava qui circulait de lèvre en lèvre. Un murmure grave parcourait l'assemblée. Chacun s'exprimait d'une voix basse, presque pâteuse. Mon voisin m'a expliqué qu'elle était condamnée à ne jamais quitter le village, faute de quoi elle serait définitivement bannie de la tribu.

Les bruits sauvages de la forêt me parviennent plus distinctement maintenant. Ecoute. Laisse-toi gagner par les grognements, les battements d'ailes, les caquetages. Des sifflements, une avalanche de sons, un concert de de vie déferlent de la jungle toute proche.

Et une vibration, un bruit sourd, comme un appel. Je guette une deuxième fois, pour clarifier le son, et pense reconnaître, est-ce que j'ose, le souffle de la conque. Ce signal, je l'attendais ! Une convocation adressée aux hommes et seulement à eux, afin qu'ils se mettent ensemble en condition pour les danses du Toka. J'ai tellement envie de courir avec eux pour répondre à cette invite ! Les coulisses des spectacles m'enchantent, les préparatifs de fête me subjuguent tout autant que les réjouissances elles-mêmes. Bien sûr, je pourrais jouir de mon statut de femme étrangère, et peut-être ? Mais alors me démarquer de Lily qui m'a si bien accueillie, qui me gâte et me guide ? Pourquoi ...

« Let us go ! Allons rejoindre les hommes ! La conque a sonné trois fois ». La voix forte de Lily vient couper court à mes ratiocinations. Le visage ébène de ma complice papoue s'est éclairé d'un sourire triomphant.

Les femmes étrangères n'ont pas de couleur. 

Tobias Wolff, Engrenages
Samedi 29 octobre atelier et concert-lecture

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Commentaires 1

Sylvie Reymond Bagur le mardi 11 octobre 2022 17:22

Un récit haut en couleurs,dépaysant qui donne envie de découvrir cette mystérieuse île de Tanna et cette fête du Toka. La découverte aussi de traditions étonnantes autour des notions de féminité et de communauté.

Un récit haut en couleurs,dépaysant qui donne envie de découvrir cette mystérieuse île de Tanna et cette fête du Toka. La découverte aussi de traditions étonnantes autour des notions de féminité et de communauté.
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