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Godeleine L.
20 mars 2024
Textes d'ateliers

La vielle dame s'est installée près de la fenêtre. Le rituel est immuable. Fauteuil, couverture, napperon, tasse, soucoupe, madeleine. La rue est calme, un peu laiteuse. Les étals du marché ont été démontés, les trottoirs laqués d'eau. Le ballet de patois élastiques, d'invectives recuites, de plaisa...

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Le restaurant grec de la rue Didot

Mars 1984

Paris s'ébroue après un hiver sibérien. Un brouillard glacé rôde chaque nuit et les gelées du matin blanchissent les trottoirs et les toits. Le petit restaurant bleu est surchauffé. On distingue mal la rue à travers les vitres embuées. L'après-midi a commencé, chassant les habitués qui ont déjà regagné leur travail. Une seule table est occupée, dans l'angle le plus éloigné de la porte, protégée des courants d'air. Une petite table carrée recouverte d'une nappe blanche, sur laquelle un couvert est mis. Une bougie au milieu ne diffuse ni lumière, ni chaleur, ni odeur mais elle est là, petite flamme dérisoire. A côté, sur le mur, une affiche de Santorin avec ses toits bleus, ses maisons blanches et la Méditerranée. L'homme est assis bien droit, le dos appuyé au dossier de sa chaise et regarde devant lui. Il attend le plat qu'il a commandé. Patiemment. Ses pieds ne bougent pas, posés bien parallèles. Ses genoux se touchent dans une position féminine et réservée. Il attend, il observe, et profite de la chaleur qui l'engourdit. Il a de beaux cheveux, épais et noirs. Courts dans le cou, longs sur le dessus. Une lourde mèche cache ses yeux et la moitié de son visage. Sa main droite s'anime soudain. De ses doigts écartés, il relève ses cheveux et les maintient quelques secondes sur son crâne. Ses yeux clairs apparaissent alors, illuminant un court instant son visage. Puis sa main redescend vers son menton qu'il caresse comme pour vérifier que celui-ci n'a pas besoin d'un rasage. Comme furtivement, un de ses doigts fait le tour de ses lèvres charnues ; puis il repose sa main sur la table. Le patron lui apporte une assiette de souvlaki. Ils échangent quelques mots en grec. Alors qu'ils discutent, l'homme relève à nouveau, d'un même geste lent et appliqué, la mèche de cheveux qui cache son visage et la maintient pendant leur courte conversation. Puis sa main glisse à nouveau vers son menton qu'elle caresse et termine ce ballet sensuel en effleurant le pourtour des lèvres comme pour suspendre le temps. Elle se pose enfin très doucement sur la table à côté du couteau. Sa main gauche est restée immobile. Tout son corps est resté immobile. Son dos est toujours appuyé contre le dossier de la chaise. Seule sa main droite a bougé. Tout en lui est rigide, sauf cette main fine aux doigts écartés. Une belle main, aux ongles courts et soignés. Il regarde son assiette et de la main gauche, prend sa fourchette avec laquelle il détache un morceau de viande qu'il porte à ses lèvres. Il s'est à peine penché pour se rapprocher de son assiette et mâche lentement. Son buste est à nouveau contre le dossier de la chaise. Sa main droite repousse la mèche de cheveux qui atteint sa lèvre supérieure. Il la maintient un instant avant de saisir son couteau pour couper un morceau de la brochette. Il mange avec application, en se servant alternativement de ses couverts. Sa main droite, dans un geste fluide, soulève ses cheveux noirs et lourds. Sa bouche charnue s'ouvre pour absorber les aliments portés par la fourchette tenue de sa main gauche ; il mange ainsi jusqu'à la dernière bouchée. Quand il a fini, le patron arrive avec un café et repart avec l'assiette vide. Avant de boire, l'homme caresse son menton, son majeur reprend le parcours du pourtour de ses lèvres, puis sa main redresse la mèche qui cache la moitié de son visage. Comme dans un film dont les images sont projetées en arrière. Son café fini, il se lève immédiatement, brusquement animé, comme s'il avait oublié un rendez-vous important. Il paye rapidement au comptoir. Dit « au revoir » et sort en refermant la porte soigneusement derrière lui.

Mai 1999

Le soleil inonde la terrasse dont toutes les tables sont occupées et les parasols bleus déployés. L'homme n'est pas seul aujourd'hui. Un autre homme l'accompagne. Il l'appellera Marc, d'un ton excédé et désespéré quand celui-ci repoussera violemment sa chaise et partira. Ils se disputent. Marc fait de grands gestes irrités. Sa voix est haut perchée et son buste bascule d'avant en arrière comme un culbuto têtu. Ses mains pleines de colère déchirent l'espace devant lui. L'homme bouge la tête de bas en haut doucement, ses cheveux cachant son visage et ses yeux embués par la douleur que lui inflige cette querelle. Il a d'abord joint ses mains dans un geste de prière muette mais très vite il les a entrelacées pour les empêcher de trembler. Il relève sa mèche de cheveux. Marc l'imite en exagérant le geste. Plusieurs fois de suite très rapidement sa main relève une mèche imaginaire. Sa bouche se tord en un rictus haineux et laisse échapper un rire méprisant. La main de l'homme retombe. Derrière l'écran de ses cheveux, il ne voit plus la haine imprimée sur le visage de son compagnon, ni ses yeux révulsés de colère. Il ne voit plus le soleil de cette journée pathétique. Il ne voit plus l'issue qui s'approche. Mais tous entendent la voix sifflante de Marc qui lui crache au visage « regarde-toi, pauvre type...! » L'homme s'est recroquevillé sur sa chaise, abandonné, épuisé par cette tempête. Marc apostrophe le serveur, se lève en repoussant violemment sa chaise et part. Les lèvres de l'homme s'entrouvrent pour laisser échapper comme dans une ultime prière « Marc ». Mais déjà Marc a disparu à l'angle de la rue. L'homme sent les regards posés sur lui et maladroitement attrape la chaise pour la remettre en place. Les conversations et les bruits reprennent. Tous oublient déjà l'incident. Lui reste un moment prostré. Son buste se soulève au rythme de sa respiration oppressée. Bientôt, de sa main droite tremblante aux doigts écartés, il repousse la mèche de cheveux qui cache la moitié de son visage dans un geste rapide, agacé. Il maintient quelques secondes ses cheveux en place et dans un soupir laisse bientôt sa main glisser sur son visage jusqu'au menton envahi d'une barbe grisonnante qu'il caresse machinalement, comme malgré lui. Sa main se pose sur la table. Elle tremble encore. Il reprend son souffle et pose ses mains de part et d'autre de son assiette. Il les regarde peut-être. Voit-il l'assiette que le patron pose devant lui ? Sent-il la main que celui-ci pose sur son épaule ? Veut-il autre chose ? Il bouge la tête de droite à gauche dans un mouvement de dénégation. Il mange lentement, machinalement. Sa main gauche porte les aliments à sa bouche dans un geste d'automate. Son assiette est encore à moitié pleine quand il tourne la tête vers le serveur et lui demande un café. Sa voix est à peine audible au milieu des bruits de la terrasse et de la rue. « Un café, s'il vous plaît ! » Répète-t-il ! Presque suppliant. Le soleil l'éblouit. Il met ses lunettes de soleil. La lourde mèche striée de blanc cache son visage. Autour de lui, les conversations diminuent, les habitués partent. Quelques-uns le saluent. Il leur répond en baissant la tête, un vague sourire entrouvrant ses lèvres qu'il oublie de caresser. Son corps lui échappe, avachi sur la chaise, appuyé contre la table, comme liquéfié. Pourtant à la fin du service, quand le patron sortira, il échangera avec lui quelques mots en grec.

Septembre 2004

L'homme déplace son regard de la photo de Santorin dont les couleurs sont ternies à la peinture bleue qui s'écaille sur les murs. Dans quelques jours le restaurant fermera définitivement. Depuis la dispute, il n'est pas revenu. Il avance sa chaise pour se rapprocher de la table. Essaie de caler son dos douloureux contre le dossier trop droit. Son buste est légèrement penché vers l'avant. La mèche plus longue qui tente de cacher la peau blanche de son crâne tombe devant ses yeux. De sa main droite il touche son menton rasé de près, puis passe un doigt dans le col de sa chemise qui comprime la peau fripée de son cou. Ses lèvres légèrement entrouvertes laissent échapper un souffle rauque et court qui soulève son buste. De petits soubresauts. Il relâche la tension dans son dos et se courbe un peu plus en grimaçant. Il allonge ses jambes puis les replient. Il les allongera à nouveau, pour les replier à nouveau car nulle position ne soulagera ses crampes. Ses cheveux cachent en partie son visage mais il ne les relève pas. Ils ne semblent pas le gêner. Il tourne légèrement la tête pour parcourir la salle du regard. Deux tables sont occupées. La femme qui lui fait face lui adresse un petit signe de la main et semble l'inviter à se joindre à elle. Il détourne la tête comme s'il n'avait pas compris, et se plonge inutilement dans le menu. Il soulève sa main gauche pour appeler le serveur qui ne le voit pas. Il reste ainsi quelques secondes puis laisse retomber sa main sur la table. Il rectifie la position de la fourchette qu'il a déplacée. Le plat commandé arrive enfin. Il écarte ses cheveux en deux maigres bandeaux de part et d'autre de son visage. Sa main tremble quand il porte la fourchette à sa bouche. Il mastique avec application, ses lèvres s'entrouvrent et se ferment au rythme de ses mâchoires dans un rictus primitif. La fourchette soudain lui échappe. Elle rebondit sur son genou et dans un bruit métallique atterrit sur le sol. De ses deux mains, il repousse la table et péniblement se penche pour la ramasser. Ses cheveux le gênent, il tâtonne avant de la trouver. Il se redresse lentement, pose la fourchette, puis remet la table en place. Il reste un moment immobile avant d'essuyer le couvert avec sa serviette dans un geste appliqué et précautionneux. Il tamponne aussi son menton comme si des éclaboussures l'avaient atteint. Il adresse un regard apeuré à la femme de l'autre

table. Elle ne lui adresse aucun reproche, aucune moquerie. Elle ne le regarde pas. Il soulève sa main droite qui reste un instant en l'air, hésitante, comme à mi-chemin. Il mange deux ou trois bouchées et s'arrête. Il repousse son assiette. Hésite encore et finit par se lever. Il enfile lourdement son imperméable posé sur le dossier de la chaise en face de lui et garde son chapeau à la main. Il va au comptoir pour payer. Des mots sont échangés. Le patron le prend soudain dans ses bras, lui dit « adieu » en français. L'homme garde les bras le long du corps, chancelle un peu après cette accolade, sourit, le regard dissimulé. Il pose son chapeau sur sa tête et y emprisonne la mèche de cheveux, puis il sort pour la dernière fois du restaurant grec.

Dominique Jarraud Ribemont 

Un geste ou deux
Terramer

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vendredi 29 mars 2024

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